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Ancien maire de la vallée de la Bérarde, Xavier Charpe s’aide d’une métaphore montagnarde pour fustiger la cécité de l’Église dans sa gouvernance.

Chers amis,

C’était l’injonction des guides de St Christophe en Oisans, lors des courses d’escalade, dans les belles montagnes de la vallée de La Bérarde. C’était durant les camps de montagne d’une association qui avait trois centres dans la vallée.

Le guide était dans la cordée de tête ; il ouvrait la voie, avec un ou deux stagiaires sur sa corde. Derrière, selon la difficulté de la « course », il y avait deux ou trois cordées qui suivaient, chacune avec un.e chef.fe de cordée. Et il arrivait que ces chef.fes de cordées n’aient pas bien repéré le cheminement du guide ; ils allaient se mettre dans des endroits impossibles. Le guide leur disait à sa façon de savoir ouvrir les yeux, de regarder où il était passé, de grimper avec leur intelligence, de s’adapter au rocher, avec ses fissures, ses vires, ses dalles, les bonnes prises et de vérifier la solidité de celles-ci. Coller à la montagne et au rocher. Une sorte d’humilité par rapport à la montagne qui a toujours le dernier mot, quand on ne la respecte pas. C’est une belle école d’adaptation au réel et à la vie. La montagne, c’est une belle école d’humilité, mais aussi d’engagement et de courage. Sinon on reste les pieds dans ses pantoufles. Quand l’engagement et le courage manquent aux chefs de cordées, entendez aux dirigeants, ils feraient mieux de se retirer et de remettre les pieds dans leurs pantoufles.

Il y a des « voies » merveilleuses d’intelligence du cheminement et d’adaptation à la montagne. La voie ouverte par Pierre Gaspard à la Meije, pour ceux qui ont eu la chance de pouvoir faire la traversée des arêtes de la Meije. Ou bien la « voie Boell » ou plutôt la voie Leray (le chef de la Résistance en Isère) à l’aiguille Dibona. Quelle intelligence, quel sens de l’adaptation à la montagne, quelle vista ! Quelle joie de pouvoir suivre cette intelligence !

Il y a la même chose pour les sentiers de la vallée, parfois très « aériens » (vertigineux). Ce sont des « sentiers intelligents », qui savent se faufiler entre les barres, prendre des vires et éviter les obstacles. Des sentiers qui savent économiser l’énergie des montagnard.es. L’intelligence du réel.

Vous devinez qu’en évoquant ce rappel à l’ordre des guides de l’Oisans, je pense à la politique. Il y a des maires qui grimpent « la tête dans le sac », sans réfléchir ; ils prennent les mauvaises voies, engagent leurs communes dans des impasses. Ce sont des aveugles qui guident des aveugles, selon la formule de l’évangile du dimanche qui vient. Ils manquent de clairvoyance ; ils ne savent pas coller au rocher, je veux dire coller au terrain et au réel. Ils conduisent leurs concitoyens et leur commune dans le trou (Luc 6, 39).

Nous avons eu des présidents de la République qui ont été de mauvais chefs de cordée. Sympathiques parfois, voire drôles, mais ils ont conduit le pays dans le trou, dans des impasses : la hausse du chômage, l’affaiblissement de la capacité des entreprises, l’envolée de l‘endettement, des quartiers partis à la dérive. On ne demande pas à un guide d’être gentil. J’ai connu un aspirant guide très gentil et brave garçon, mais qui commettait sans cesse des erreurs d’itinéraire et ne savait pas conduire le groupe qui lui était confié. On ne demande pas à un président de la République d’être gentil, mais que le chômage diminue, que l’économie se redresse et que plus de jeunes trouvent du travail, que les écoles forment bien les enfants, qu’il n’y ait pas l’anarchie, le désordre et la violence dans nos rues et dans nos quartiers, en sorte que chacun puisse vivre en paix. Je me permets de vous renvoyer au chapitre 13 de la lettre de l’apôtre Paul aux Romains et pourquoi pas à Martin Luther sur l’office de la Loi.

Vous devinez que je transpose à notre Église le rappel à l’ordre de nos amis guides. Veuillez pardonner mon imaginaire débridé : et si c’était le Christ qui disait à certains de nos évêques : « Grimpe pas la tête dans le sac ! » ? Car certains de nos dirigeants nous donnent parfois l’impression de grimper « la tête dans le sac ». Ils se comportent comme des aveugles qui conduisent des aveugles et c’est notre Église qui tombe dans le trou. Ils devraient avoir les yeux rivés sur le guide qui est en tête et qui ouvre la voie, je veux dire le Christ. Ils devraient coller à son enseignement. Or régulièrement ils s’en écartent ; ils inventent des commandements et imposent des règles qui n’ont rien à voir avec les enseignements du Christ et avec la Loi de Dieu. « Paradosistôn anthropôn, » à la place de la « paradosistou Théou », la tradition des hommes à la place de la tradition de Dieu, ce que faisaient certains pharisiens que Jésus fustige (Marc 7). « Tu n’invoqueras pas en vain le Nom du Seigneur » ; ils font passer leurs commandements humains pour des commandements de Dieu, leur fausse monnaie pour du vif argent. Pire, ils s’écartent souvent des commandements les plus obvies du Christ : « Ne vous faites pas appeler "père" ; un seul est Père, celui qui est dans les cieux ! Ne vous faites pas appeler "guide" car un seul est votre guide, Christ. » Seul Dieu engendre à la foi ; nous ne sommes que des témoins et des frères qui encouragent  leurs frères, se tiennent à leur côté et les réconfortent ; la « paraklèsis », chère à l’apôtre Paul. Encore faut-il que nous ne soyons pas des témoins de mensonge. Foin des pseudos gourous, à la manière de l’abbé Mercier ou des frères Philippe et de tant d’autres. 

On voit certains grimper sans intelligence et sans lucidité. Ils ne collent pas au rocher, ils ne collent pas au terrain, ils ne collent pas au réel de la vie et de la situation des hommes. Ils ne veulent pas réfléchir en profondeur. Ils se contentent de lever les bras au ciel devant les dérapages à répétition sans s’interroger sur les causes profondes de ces récurrences. Si les affaires se suivent et se répètent, c’est qu’elles ont des causes ; il faut en venir aux raisons de ses dérapages.

Ils ne collent pas au terrain et au réel ; ils manquent de lucidité. Ils ne veulent pas regarder en face la réalité de la sexualité, et que c’est une force en chacun et que s’il faut la maîtriser cela ne peut se faire qu’à certaines conditions et dans certains cadres. Ils croient pouvoir la nier. D’où l’imbécilité que le supérieur de l’abbé David Gréa lui prodiguait lors de ses années de séminaire. En montagne, quand on ne colle pas au réel du rocher, on « dévisse » et on se « casse la gueule ». Certains semblent être sur ce point les disciples de Grégoire de Nysse qui prétendait qu’à l’origine Dieu avait créé Adam et Ève sans organes sexuels et que c’est seulement après la faute originelle que Dieu les aurait « revêtus de fourrure », entendez, leur aurait donné un sexe. Sauf la gratitude que je dois à Grégoire de Nysse pour m’avoir ouvert les yeux avec son traité sur l’Esprit Saint, sur cette affaire de notre sexualité il a fait dans le ridicule et l’erreur. Plus irréaliste encore de croire que chaque curé, chaque ministre, chaque religieux ou religieuse, n’ont pas comme tout un chacun une affectivité. Dieu nous a créés comme êtres en relation, faits pour l’amitié et pour aimer, pour la fraternité.

Nombre de nos évêques font fonctionner leurs curés dans des conditions détestables. Ils les déplacent comme des pions, comme le gouvernement déplace les préfets et comme le Vatican les déplace eux-mêmes et les parachute dans des diocèses où ils ne sont pas adaptés et à leur place, comme s’ils n’étaient que des sortes de préfets ecclésiastiques. L’évêque Philippe Barbarin parachuté à Lyon, contre l’avis de l’épiscopat français et sur intervention du Nonce Apostolique de l’époque et probablement du cardinal Lustiger, au mépris de la tradition et du corps ecclésial de cette belle Église de Lyon. Il fallait « remettre de l’ordre » dans cette Église de Lyon, pensaient-ils. Chacun peut juger du résultat.

Ils grimpent sans intelligence et sans lucidité, commettant une erreur grave sur ce qu’est le « Ministère ». Ils raisonnent en termes de pouvoir et de place, en termes de rites et de célébrations liturgiques, alors qu’il n’y a de ministère que les ministères de la Communion ; à commencer par le ministère de l’évêque qui se devrait d’être un ministère de la communion avec ses frères et sœurs de l’Église ; il devrait en être l’animateur et le « paraklètos ». Certains de nos dirigeants n’ont pas compris l’épisode de Marc 10, 35-45, quand Jacques et Jean, les fils de Zébédée, demandent à occuper les premières places ; Jésus les tance sévèrement et leur rappelle qu’ils ne sont là que pour le service et qu’ils seront jugés sur la qualité du service qui était requis d’eux. A-t-on appris cela au nonce Luigi Ventura, aux mains parait-il baladeuses, quand il était à « l’Académie ecclésiastique pontificale », cette sorte d’ENA Vaticane, censée former les futurs nonces ? Les évêques qui ont été promus sur les recommandations de ce nonce ne doivent pas être très fiers de lui ; même s’ils ne sont pour rien dans ses comportements détestables. Comment peut-il être encore en poste à la nonciature ? S’il était un simple préfet mondain, il serait déjà remercié…

Grimper avec intelligence, en ne perdant jamais le guide qui « va devant » et qui ouvre la voie, cela devrait impliquer de réfléchir en profondeur à ce qu’est la réalité de la sexualité dans la situation humaine qui est celle de la création, notre lot à tous ; à poser en termes réfléchis la question de l’engagement dans la voie du célibat qui ne peut être qu’un engagement librement choisi et dont je crois qu’il serait sage qu’il soit conduit dans le cadre d’une vie religieuse communautaire ; ce qui en tout cas n’est pas la vocation de tous et ne saurait faire l’objet d’une obligation ; coller au réel, ce serait aussi nous obliger à réfléchir calmement et posément à la question de l’hétérosexualité et de l’homosexualité. On ne grimpe pas bien en se mettant un bandeau sur les yeux ; une bonne lampe frontale, c’est très utile en montagne, par temps de nuit noire. Et ces temps-ci, la nuit de notre Église, en tout cas de notre Église dirigeante, est bien noire.

Veuillez me pardonner mes métaphores alpines, qui ne parleront probablement pas à ceux qui n’ont pas eu la chance de pratiquer la montagne. Et en vous priant de m’excuser encore une fois d’avoir été trop long.

Amicalement à tous et à chacun. 

Xavier Charpe.
Licencié et “lecteur” en théologie. 
Intervenant au Centre Théologique de Meylan.
Ancien maire de la vallée de la Bérarde.

Crédit photo
Thomas Mareschal de Pixabay
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