1er janvier 2021 –Sainte Marie, Mère de Dieu – Lc2, 16-21
Marie juive, mère de Jésus, serait aussi mère de Dieu… de quel Dieu ? celui des juifs et des chrétiens ? N’est-il pas étrange de faire de Marie la mère de Jésus posé comme Dieu, à l’égal du Père, alors qu’il n’en est pas question dans les évangiles ? Ajoutons à cela l’Église, qui est dite épouse du Christ, et voilà Marie nantie d’une belle-fille bien encombrante, dont cette mère juive se passerait peut-être bien.
Ce n’est pas Marie qui se proclame mère de Dieu. Ce n’est pas non plus Jésus qui la désigne ainsi. Et il nous est dit peu de choses de Marie elle-même. Seuls Luc et Mathieu l’évoquent dans les récits de l’enfance de Jésus et fort peu dans ceux de sa vie publique.
L’Église a donc élaboré, au fil des siècles, des dogmes mariaux dont celui de « Mère Dieu », en lui donnant une place singulière, au point de la figer dans une image qui va nourrir une importante iconographie. Aujourd’hui, la voici devenue une femme quasi déifiée, une intouchable, inaccessible, de plus en plus loin de l’esprit des Écritures et bien loin de la tradition juive. Pourtant Marie est simplement de la lignée des femmes par lesquelles Dieu a exprimé à ses créatures toute sa puissance créatrice, défiant les règles et les normes ; ici cela est signifié par un récit de subversion des contingences dites naturelles. Ainsi, à des femmes dont le corps est a priori incapable de concevoir, Dieu donne de porter un enfant au destin exceptionnel, pour son peuple et pour l’humanité : Samuel fils d’Anne femme stérile, Isaac pour Sarah, Jean Baptiste pour Élizabeth parvenue à un âge où toute conception est impossible, et pour finir Jésus pour Marie, promise à un autre et « qui ne connais pas d’homme ». Tous les empêchements à l’enfantement sont en quelque sorte revisités.
Lors d’une réunion inter-religieuse consacrée à Marie, des musulmans à qui nous demandions qui était Marie pour eux eurent cette réponse simple et maintes fois redite : « la mère de Jésus ». Rien de moins et rien de plus, mais une expression peut-être plus juste que celle d’un catholique qui nous décrivit Marie comme le modèle de « la soumission libre ». Aucune soumission n’est exprimée chez Luc, mais plutôt l’acquiescement à l’alliance proposée par Dieu. Alors, Son souffle de vie passe par une succession de femmes : stériles comme Anne et Sarah, âgée comme Élizabeth, vierge et promise à un homme comme Marie.
Marie accepte d’être la mère de ce messie tant attendu par ses coreligionnaires. Une place singulière, une grâce, dont on peut imaginer qu’elle soit espérée par toute femme juive de l’époque. Dans le Magnificat, Marie exprime cette allégresse à porter Jésus ; ce poème, cette action de grâce, en forme de credo, reprend plusieurs textes juifs de la Bible, comme autant d’expressions de l’alliance. La formule « Il a porté secours à Israël son serviteur », qui termine cette prière, reprend le sens du nom de Jésus : Jeschoua, « celui dont Dieu est le secours ».
Marie nous montre toute la force, la paix et la joie qu’elle rencontre dans cette subtile intimité avec Dieu. C’est tout naturellement qu’Il passe par une femme pour rejoindre notre humanité et nous proposer de renouveler, revivifier l’alliance entre Lui et nous. Marie est ainsi « mère », matrice, de toute intimité avec Dieu. Elle transmet cette capacité et cette grâce de la proximité que l’on voit dans les évangiles entre les femmes et Jésus : chez la Samaritaine, avec Marie Madeleine, Marthe, et même chez la femme adultère, ou la veuve de Naïm.
Luc, en nous disant « Quant à Marie, elle conservait avec soin tous ses souvenirs et les méditait en son cœur », exprime la grandeur de cette intériorité, simple dans sa relation à Dieu ; puisse toute la « masculinité » de notre Église s’en inspirer pour accéder à cette même intimité de la rencontre avec Dieu, et alors sans fanfaronner ou claironner sa foi, ni avoir à invoquer l’Esprit qui, Lui, demeure naturellement en Marie. En elle, Il respire.