Et si on redonnait toute leur pertinence au doute et à la diversité ?
Le Synode qui vient de se conclure est resté conforme aux pronostics et en deçà des attentes. Avec 54 femmes sur 365 membres (nommés et non élus) il ne représente pas la diversité des croyants. Il n’a pris aucune décision concrète puisque celles-ci devraient se conformer à la doctrine existante. Pas de sacerdoce pour les femmes mais, très éventuellement, le diaconat.
La séparation des Églises d'Orient et d'Occident de 1054, appelée ironiquement schisme de Rome par les orthodoxes, provient de l’insistance du Vatican à régenter la chrétienté orientale. Les grandes querelles christologiques comme celle du Filioque et l’aspiration de la Papauté à dominer la scène politique sont des tentatives de créer l’unité par l’uniformité.
S’il fallait élire une distinction fondamentale entre d’une part l’Église catholique et d’autre part les Églises réformées et anglicane, elle porterait sur la doctrine, uniforme pour la première, diverse et fluctuante dans les secondes. Parmi ces dernières dans le vaste monde, on peut trouver aussi bien des évangéliques fondamentalistes que des protestants libéraux. Il n’y existe aucune autorité magistrale qui départagerait une inexistante orthodoxie des hérésies. Celles-ci ne signifient pas des déviations dangereuses par rapport à une norme, seule véridique, mais des controverses autour de certains thèmes : que penser de la nature de Jésus, de ses miracles, de sa résurrection, que signifie la vie éternelle, qu’est-ce que l’eucharistie ? Autant de mystères, ouverts à la méditation, qu’il est hasardeux de standardiser en dogmes catéchétiques.
La Congrégation pour la Doctrine de la Foi est l’héritière de l’Inquisition, qui fut fondée à l’origine par Paul III en 1542 pour défendre l'Église contre les hérésies. On s’en était dispensé pendant quinze siècles jusqu’à ce qu’il faille se prémunir dans l’urgence contre la Réforme, en instaurant une norme dont aucun catholique ne peut s’écarter. Or, historiquement cette institution s’en est prise surtout à de remarquables théologiens, comme pour notre temps : Hans Küng, Charles Curran, Leonardo Boff, Eugen Drewermann, Yves Congar. En leur interdisant d’enseigner, la Rome vaticane a stérilisé la recherche.
Il est éclairant de comparer cet objectif, obtenir par une procédure de nature judiciaire l’unité par l’uniformité, avec la pratique en sciences naturelles. Il n’existe aucune instance internationale qui accréditerait ou réfuterait des contributions à la recherche en physique. Sur certains sujets comme la cosmologie plusieurs modèles sont proposés en parallèle sans que quiconque s’avise d’en condamner certaines thèses. La science naturelle progresse par le hasard et la nécessité : l’énoncé de toutes les thèses possibles et leur confrontation avec la réalité expérimentale. Le télescope tranche les débats.
Le but de la recherche en sciences naturelles n’est surtout pas de conforter la science existante, mais au contraire de la remettre perpétuellement en question. En ce sens, la science est subordonnée au doute par méthode, alors que les croyances, les idéologies et les dogmes s’en gardent comme de la peste, tant ils sont fragiles. Le doute systématique est le moteur du progrès dans le savoir. Dès 1845, Newman a posé le problème de l’évolution dogmatique, comme Maurice Zundel au Caire en 1948. Le pape François utilise une formulation astucieuse : défendre le dogme sans dogmatisme. Il faut donc considérer que ce pourrait devenir l’assise essentielle de la foi et de la pratique religieuse. Une affirmation figée de la doctrine peut devenir contreproductive. Ce qui est adéquat dans une langue, une culture, une société, une époque devient contradictoire dans une autre.
L’exemple le plus connu est celui de l’encyclique Humanae Vitae. Paul VI installa une commission d’experts qui recommanda, à la majorité de 66 contre 6, de ne pas condamner les méthodes artificielles de contraception. Le pape négligea cette conclusion et promulgua l’encyclique. Celle-ci est restée lettre morte et ne fut pas respectée par la majorité des catholiques. Sans le consensus des fidèles, l’autorité doctrinale du pape est inopérante et fragilisée.
Parce que l’on maintient dans le discours ecclésial des doctrines dépassées et des dogmes insoutenables, l’incrédulité croît dans les pays développés et dans les sociétés les plus instruites. On ne peut exiger un effort de la volonté pour admettre ou pratiquer ce qui est inadmissible ou irréaliste. De nombreuses personnes sont confrontées à des propositions impensables pour elles, sauf à s’accommoder d’un trouble permanent, qui est de la mauvaise foi, dans les deux sens que l’on peut donner à ce terme.
Non seulement on ne promeut pas l’unité des chrétiens en visant leur uniformité mais on la rend impossible. Les démocraties politiques sont plus robustes que les dictatures parce que la diversité des partis assure toujours une solution de rechange. Le pape François s’élève régulièrement contre les dictatures. Il est vital que les chercheurs en théologie soient, eux aussi, libres de défendre toutes leurs thèses afin que la plus nécessaire d’entre elles finisse d’émerger par suite du consensus des fidèles.