Dimanche 15 octobre 2023 – 28e dimanche du temps ordinaire – Mt 22, 1-14
La tonalité des lectures de ce dimanche est joyeuse et conviviale. Le Seigneur invite à un festin, métaphore du Royaume des Cieux. Dans l’évangile, le festin est ouvert à tous, les mauvais comme les bons, plutôt du genre SDF. Le salut concerne les païens comme les Juifs. Il n’y a plus de peuple élu qui se distinguerait des autres.
Cette ambiance festive est curieusement gâchée par les trois derniers versets de l’évangile de Matthieu : il y est question d’expulsion d’un individu qui n’a pas la tenue de noce, symbole de la foi qui sauve. Non seulement il est condamné à une préfiguration de l’enfer, mais le dernier verset est sans appel : « Car beaucoup sont appelés, mais peu sont élus. » L’évangile de l’ouverture se clôt sur une fermeture qui le contredit. Avec un tel verset on peut élaborer une théologie d’inspiration janséniste, si tentante pour les dévots qui essayent de justifier leur vie pieuse par son utilité. Leur salut n’est avéré que par la damnation des autres. Définition d’une foi élitaire qui va à rebours du fondement du christianisme. Il faut noter que dans la version courte de cette lecture, ces trois derniers versets sont supprimés, sans doute parce que les auteurs du choix des lectures en ont saisi l’incongruité.
Il est intéressant de comparer la version Matthieu de la même parabole dans Luc au chapitre 14, beaucoup plus sobre, sans condamnation aucune à des ténèbres extérieures. C’est la parabole toute simple du salut des pauvres, des rejetés, des exclus ; c’est la porte du festin ouverte à tous. Les deux versions puisent à la Souce Q considérée comme le « plus ancien témoin » de la tradition chrétienne, un évangile apocryphe dont le texte est perdu.
L’écrivain coloré qu’est Matthieu en rajoute : c’est un festin de noce ; celles du fils du roi ; les invités récalcitrants tuent les envoyés ; le roi les fait massacrer. Et en fin de compte un invité, mal vêtu, est expulsé : il a refusé la robe nuptiale que l’hôte remet à chaque invité, c’est-à-dire la métaphore de la foi. En fait Matthieu, féru de l’Ancien Testament et écrivant pour une communauté juive, reprend presque mot pour mot une citation du livre d’Esdras au chapitre 8 : « Beaucoup sont créés, mais peu seront sauvés. »
En plus de leur message propre, les lectures de ce dimanche nous apprennent combien il est hasardeux de citer un verset de l’évangile hors de son contexte, pour lui attribuer la puissance et l’universalité d’une parole divine, incontestable. Les textes de la Bible ont des auteurs et ne sont pas comme le Coran une parole dictée par un ange. Il faut donc les apprécier comme toute œuvre humaine avec leurs forces et leurs faiblesses.
L’annonce du Royaume des Cieux par une parabole n’a pas la précision d’un énoncé catéchétique. Que sera ce Royaume ? Toutes les interprétations sont ouvertes : une vie dans un Ciel hors cosmos ; la paix entre les nations ; la sérénité de chaque personne. Mieux vaut ne pas trancher. La promesse emprunte l’allégorie du festin, une expérience vécue par chacun, qui est un instant de bonheur complet si aucun des invités ne manifeste un esprit querelleur. En quittant cette lecture, songeons à préparer des banquets pour ceux que nous aimons.