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Quand le développement de l’IA vient bousculer des certitudes

Le succès récent de l’« intelligence artificielle » renouvelle le débat classique, qui s’efforce de délimiter une frontière entre ce que peut faire une machine et ce que peut faire un homme. Jusqu`à présent, il était presque évident que l’esprit humain possédait une dimension qui ne serait pas mécanisable. Une machine ne pourrait pas avoir de conscience et donc d’éthique, parce que ce serait le propre de l’homme. L’enjeu lointain de ce débat est l’expression de la foi.

Celle-ci repose sur la thèse dualiste traditionnelle selon laquelle l’homme serait l’assemblage d’un corps d’origine animale et d’un esprit intégralement distinct, baptisé âme. Dans la Genèse, le Créateur insuffle l’esprit dans un corps pétri de boue, de façon radicalement différente de la création des autres vivants. Dès l’origine, l’homme a une marque divine qui le met au-dessus du monde de la matière.

La théorie de l’évolution remet en cause ce concept. L’espèce humaine est le résultat d’une lente transmutation qui s’étale sur plusieurs millions d’années : l’esprit humain, son intelligence, sa mémoire, sa conscience n’ont pas été élaborés par une intervention miraculeuse, mais au contact des nécessités de la survie. L’esprit n’est pas un météore tombé du ciel, mais il est une certaine organisation du cerveau. Celle-ci singularise l’homme par rapport aux autres vivants, tout comme d’autres espèces se sont spécialisées sous l’effet de la compétition pour la survie.

En inventant le concept de logiciel au siècle passé, les informaticiens ont commencé à matérialiser les opérations de l'esprit ou encore, en sens inverse, insufflé un esprit dans la matière. Après avoir fourni au corps humain une foule de prothèses qui étendent ses capacités ou compensent ses défaillances, les ingénieurs en sont maintenant arrivés au dernier des organes qui leur résistait, le cerveau.

Existe-t-il des fonctions du cerveau, qui ne pourraient pas être automatisées ? Toute notre activité mentale, émotions et souvenirs, peines et joies, même la spiritualité, est-elle explicable par le seul fonctionnement du cerveau ? Les dualistes répondirent catégoriquement non. Les neurologues un oui circonspect, auquel l’évolution de l’IA tend maintenant à donner raison et à dissoudre le dualisme dans l’insignifiance, en suscitant une évidente inquiétude.

La question peut être résolue par le test de Turing. Si on enferme dans une pièce un ordinateur et un homme et que les deux communiquent vers le monde extérieur seulement par le biais d’un téléscripteur, est-il possible de poser des questions qui permettent à coup sûr de déceler qui est l’homme et qui est l’ordinateur ? C’est cette supposée différence que les récents développement de l’IA mettent à mal : on ne distingue plus de disparité.

Dès lors, beaucoup voient le futur sous un jour catastrophiste. Pour la première fois sur terre, il y aurait des « esprits » qui auront les capacités mentales plus développées que l’être humain et qui vont gérer le monde avec des capacités cérébrales cent mille fois plus fortes que l’être humain. Ils domineront le monde et l’être humain serait confiné dans des zoos. C’est omettre que l’ordinateur est construit par l’homme qui se reproduit sans ordinateur.

Qu’est-ce qui ferait la différence radicale entre un cerveau biologique fait de carbone et un cerveau électronique fait de silicium, quelles que soient les structures de la machine ? L’évolution se projette en dehors des corps biologiques. Comme elle a bien réussi en nous construisant, pourquoi ne pas lui faire confiance pour la suite ? Répondre par la négative à ces questions relève de la pétition de principe. C’est attribuer à l’homme sans le dire un esprit immatériel qui serait supérieur à son cerveau et pourrait l’influencer. C’est prendre une expression historique de la foi pour sa substance.

L’acte de création n’est pas instantané et situé dans le passé. Il surgit sous nos yeux et paraît tellement étrange que nous ne le reconnaissons pas. Pourtant nous avons été prévenus dès le départ : « Le vent souffle où il veut, et tu en entends le bruit ; mais tu ne sais d'où il vient, ni où il va. » (Jean 3 .8)

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