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Dimanche 10 juillet 2022 – 15e dimanche du temps ordinaire – Luc 10,25-37

Faisons la liste des actions et attitudes du Samaritain : il voit, il est saisi de compassion, il s’approche, il panse les blessures en y versant de l’huile et du vin, il charge le blessé sur sa propre monture, il le conduit dans une auberge, il prend soin de lui. Le lendemain, il sort deux pièces d’argent, les donne à l’aubergiste, en lui disant : « Prends soin de lui ; tout ce que tu auras dépensé en plus, je te le rendrai quand je repasserai. »

Cela ne fait-il pas un peu beaucoup ? Dans quel monde vivez-vous si vous n’êtes pas étonnés par tant de générosité, par cette débauche de générosité ? Qui d’entre nous a déjà été l’auteur d’autant de bien à la fois en si peu de temps, et dans la durée ? Qui d’entre nous a déjà été témoin d’autant de bien en si peu de temps, avec l’engagement dans la durée ?

Un diocèse et des paroisses, par exemple, savent mettre à disposition un logement pour des migrants, tant qu’il ne sert pas. C’est généreux. Ça coûte des sous. Mais dès qu’on a besoin de récupérer le logement, on s’estime légitime : ainsi est rédigé le contrat. Les migrants, il leur arrive quoi ? Ce n’est pas le problème de ceux qui pensent à juste titre avoir déjà fait beaucoup. Le Samaritain ne se limite pas à beaucoup ; il est dans l’excès, dans la débauche de générosité. Les Samaritains ne sont-ils pas peu ou prou des débauchés ?

Je ne vaux pas mieux que ce diocèse ou ces paroisses. Qui vaut mieux ? Personne ne peut se prétendre à la hauteur de la débauche samaritaine de générosité. Mais comment se fait-il que nous ne l’ayons pas plus remarquée que cela, qu’elle ne nous étonne pas, que nous gobions le récit comme si elle était tout à fait normale, habituelle ou naturelle ?

C’est pire encore. Comme les enfants pré-œdipiens, nous nous identifions au héros, au Samaritain ! Personne ne s’identifie au prêtre ou au lévite, qui ont un comportement si proche du nôtre, voire aux bandits qui laissent à moitié mort le pauvre type tombé entre leurs mains. Regardez nos sociétés : on n’exploite jamais que les pauvres ; ce sont eux que la société laisse à moitié morts.

« Nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde » est la forme contemporaine de l’interrogation du docteur de la loi : « qui est mon prochain ? » Ce n’est pas à toi de déterminer qui est ton prochain, parce que forcément tu excluras quelqu’un, vraisemblablement les pauvres et les étrangers, et pire que tout, les étrangers pauvres. Ton devoir n’est-il pas d’abord de secourir tes proches ? La question du docteur est pernicieuse, parce qu’elle désigne, dénonce des lointains dont il serait légitime que l’on s’occupe moins que de ses proches, dont il serait légitime que l’on ne s’occupe pas. « Nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde. »

Jésus ne s’y trompe pas. Il retourne la question. Là encore, c’est étonnant qu’on ne le voie pas parce que le texte nous prévient, la première question du docteur met Jésus à l’épreuve et la seconde justifie cette manigance. « Qui est mon prochain » n’est évidemment pas une bonne question ! Jésus invite chacun à entendre du sanctuaire sacré de sa conscience un impératif catégorique : Agis de telle sorte que tout homme puisse trouver en toi un prochain. Sois malin, débrouille-toi à ce que tous trouvent en toi un prochain. Ce n’est pas à toi de choisir ton prochain, parce que tu éliminerais ton lointain… qui est tout autant prochain.

La débauche samaritaine de générosité commande que l’on n’est jamais quitte avec la charité. La charité nous presse, oblige. Tant pis si cette morale judéo-chrétienne nous culpabilise ! Que voulez-vous, quand le frère crève, est-ce le moment de dire : « désolé, mec, j’ai déjà fait assez, j’ai déjà assez aimé » ? La charité ne peut être qu’excessive, débauche. L’amour ne se vit pas en mode mineur, en mode rigueur ou austérité budgétaire. On sait ce qui arrive lorsque que les aides sociales diminuent : les plus riches s’enrichissent encore.

La débauche samaritaine de générosité est invivable. « Pour les hommes c’est impossible. » Qui aime ainsi, jusqu’à l’extrême ? Qui relève, qui ressuscite le prochain par une vie de débauche (cf. Lc 15) ? Autant qu’il est exigence éthique, l’amour révèle Dieu.

Nous, disciples, le croyons-nous ? Nous, Église, le vivons-nous ? Les gens croiront en Dieu, non quand ils seront bons, se seront enfin convertis à la vérité de l’évangile, mais lorsque les disciples, nous, nous serons bons, lorsque nous serons enfin convertis à l’évangile.
 

Patrick Royannais

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