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Vendredi 7 avril 2023 – Vendredi Saint – Is 52, 13 – 53, 12 ; He 4, 14-16 et 5, 7-9 ; Jn 18, 1 – 19, 42

La crucifixion de Jésus a pu être perçue comme la fin tragique d’une victime ou bien comme l’acte courageux d’un héros. Elle a pu aussi être comprise comme le prix à payer pour que nous devenions enfants adoptifs de Dieu. Selon l’épître aux Hébreux le sacrifice de Jésus nous apporte le salut parce que Jésus a été à la fois grand-prêtre exempt de toute faute et victime consentante.

Dans son livre L’Épître aux Hébreux au regard des Évangiles, Martin Pochon souligne combien la vision du Galiléen comme homme soumis et obéissant va à l’encontre des récits que nous proposent les évangélistes : Jésus au Temple parmi les docteurs (Luc 2), « Eh bien moi, moi, je vous dis » (Mt 5).

La figure qui parle peut-être le plus à l’homme d’aujourd’hui est celle du Serviteur souffrant d’Isaïe (52,53) – cf les Crucifixions du peintre Marc Chagall qui associe les pogroms et la mort de Jésus clairement présenté comme membre à part entière du peuple juif.

Comme l’ont montré des biblistes comme Paul Beauchamp ou André Wénin, ce n’est pas tant ce qui arrive au juste persécuté qui revêt un caractère salutaire. Ce n’est pas la mort de Jésus qui sauve l’humanité mais bien plus la prise de conscience que celui qu’on avait cru coupable (cf Is 53,4) était en fait un juste (cf Luc 24,47). Cette prise de conscience nous engage et fait de nous des témoins. Elle ne conduit pas à la culpabilisation des proches du Serviteur souffrant – quelles qu’aient été leurs turpitudes. Elle ne nous invite pas non plus à chercher un coupable – même si l’historien est en droit de tenter de reconstruire le procès de Jésus à la lumière du droit romain et de la loi mosaïque.

Reprenant les conclusions d’un exégète du début du 20e siècle, le père Raymond Brown caractérise ainsi le récit de la Passion du quatrième évangile :

  • Sa visée apologétique : les Juifs sont les seuls coupables et Pilate nous est présenté sous un jour sympathique ;
  • Sa visée doctrinale : Jésus vit sa passion non pas comme victime mais de manière souveraine et surhumaine ;
  • Sa forte tonalité dramatique qui s’appuie sur des ajouts de Jean dont on peut discuter le bien-fondé historique.

En hommes de la modernité nous ne pouvons éviter de nous demander si Jésus est mort du fait des autorités judéennes de son temps ou bien s’il est mort à cause de sa fidélité à la foi de ses pères. Peut-être un peu des deux. Mais ne nous voilons pas la face ! Pendant 2000 ans le procès de Jésus a servi à faire le procès des Juifs (cf le titre d’un livre de la collection Lectio Divina). Et en tant qu’hommes de foi nous pouvons peut-être faire nôtre cette prière apocryphe attribuée à Jean XXIII : Nous avons conscience aujourd’hui que des siècles et des siècles d’aveuglement ont fermé nos yeux et que nous ne pouvons plus voir la beauté de ton peuple. [] Pardonne-nous d’avoir faussement attaché une malédiction à leur nom de Juifs. Pardonne-nous de t’avoir une nouvelle fois crucifié dans leur chair (cf Cahier Évangile Supp. 105, p. 104).

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