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Il est absurde d'accuser l’Instrumentum Laboris[1] (IL) d’être l’agenda du synode

Massimo Faggioli
NCR
(National Catholic Reporter)
27 juin 2023

 

Le Vatican a publié le document qui guidera le travail du Synode des évêques qui se réunira à Rome en octobre 2023 et octobre 2024.

La prudence avec laquelle les responsables ecclésiaux en parlent, contraste avec la salve de réponses émanant des influenceurs catholiques conservateurs. Le dernier article anti-François de Ross Douthat, chroniqueur du New York Times, en est un exemple. Il déplore que l'Église catholique " édulcore ses enseignements sur la sexualité, le mariage et la famille, plutôt que chercher un moyen de les réaffirmer" et s'inquiète de la voir tomber dans le piège de la "réconciliation avec notre culture décadente, notre monde post-dionysien déprimant".

Il n'y a rien de tel dans ce texte qui n'est pas un document du magistère, qui n'est ni définitif ni législatif. Il décrit, d'une manière prudente et honnête les questions qui se posent aujourd'hui au catholicisme mondial : ceux qui se sont engagés dans le processus synodal ont été écoutés et entendus et la préparation de l'assemblée d'octobre en est le reflet. "Ce texte a été rédigé sur la base de tous les matériaux recueillis au cours de la phase d'écoute, et en particulier des documents finaux des Assemblées continentales", indique son avant-propos.

 

Le document du Synode ouvre la voie à un vaste débat sur les femmes, les ministères et les structures catholiques

 

Le document est composé de deux parties. La première commente la synodalité : le déroulement du processus synodal, l'importance de la synodalité dans l'Église d'aujourd'hui et l'objectif profond de ce document qui dépasse la seule fonction procédurale de préparation du synode. « L’IL s'efforce d'éviter tout langage diviseur dans l'espoir de favoriser la compréhension entre les membres de l'assemblée synodale qui viennent de régions ou de traditions différentes", peut-on y lire. « La vision de Vatican II est le point de référence commun. »

Le problème est que certains des commentateurs les plus virulents, les plus influents et les plus concernés par les « affaires » dans l’Église ont une vision de Vatican II caricaturale à l'opposé de celle du pape François, du bureau synodal du Vatican et de l'écrasante majorité des catholiques qui ont participé au processus synodal de consultation.

La deuxième partie du document est composée de 15 fiches de travail qui révèlent une vision dynamique de la synodalité - communion, mission et participation - par le changement de priorité par rapport au vade-mecum publié en septembre 2021 qui était communion, participation et mission.

C'est dans cette deuxième partie qu'apparaissent, sous la forme de questions sujettes à discernement, les sujets controversés : les femmes et le ministère, le modèle de sacerdoce et le cléricalisme.

Un choix important a été d'organiser le texte de manière thématique et non géographique, sans mettre l'accent sur les questions typiques de l'Église dans un continent ou dans un autre. Des différences existent, mais si le catholicisme est pluriel dans le monde d’aujourd'hui il n'est pas aisé de le séparer en différentes identités régionales. Le document du synode reconnait que nous vivons dans un monde de "croyants sans frontières", ce qui n'était pas encore le cas à l'époque de Vatican II.

 

Pour la première fois depuis Vatican II (plus encore dans sa préparation que dans son déroulement) un dialogue approfondi entre les Églises locales et les responsables du synode s’est mis en place. Le texte s'en fait l'écho en mettant toutes les questions sur la table sans tenir compte des tabous. La seule question qu'il laisse explicitement de côté est la possibilité de l'ordination des femmes à la prêtrise, qui, si elle était mise à l'ordre du jour, allumerait instantanément la mèche de la bombe anti-synodale et schismatique.

Il pose plutôt la question de la promotion de la dignité baptismale des femmes. Il est très conscient de l'opposition aux changements qui pourraient être actés mais aussi de l'opposition et de l'inaction à l'égard de ce que François a déjà décidé. Par exemple l'ouverture officielle aux femmes des ministères de lecteur et d'acolyte et la création du nouveau ministère de catéchiste.

Cependant une question de discernement est très claire : "La plupart des Assemblées continentales et les synthèses de plusieurs Conférences épiscopales appellent à considérer la question de l'inclusion des femmes dans le diaconat. Est-il possible de l'envisager, et selon quelles modalités ? "

Le texte maintient le débat ouvert, avec de petites indications sur ce qui peut et ne peut pas être fait, sans susciter d'attentes irréalistes. Il mentionne la question de la réforme de la formation des futurs prêtres, le débat sur l'ordination sacerdotale des hommes mariés et le renouvellement du ministère épiscopal dans une Église synodale. Il précise qu’il - comme l’ensemble du processus - doit être compris comme partie d'un synode en deux sessions. Il s'inscrit également dans une perspective à plus long terme, considérant ce processus synodal comme une nouvelle phase de la réception de Vatican II.

 

La partie ecclésiologique du document est inachevée, peut-être à dessein, car les rédacteurs veulent manifestement marcher avec légèreté sur le chemin synodal. Elle s'appuie beaucoup sur Lumen Gentium : Les références explicites à Vatican II se limitent presque exclusivement à cette Constitution sur l'Église. Si Vatican II a une théologie de l'épiscopat, sa théologie du sacerdoce n’est pas sans équivoque (ainsi l’IL ne cite que Lumen Gentium 28, et non Presbyterorum Ordinis, le décret du Concile sur le ministère et la vie des prêtres).

Le texte semble ignorer l'exhortation apostolique Amoris Laetitia de 2016 et son ecclésiologie de la famille. Le mot "mariage" n'est utilisé qu'une seule fois en référence aux défis pastoraux posés par le mariage polygame, le mot "époux" seulement dans le cas des mariages interconfessionnels et les mots "famille" et "familles" sont utilisés comme points d'attention et non comme sujets ecclésiaux.

Notons le contraste avec ce que le texte reconnaît : Les synthèses des Conférences épiscopales et des Assemblées continentales appellent à plusieurs reprises à une "option préférentielle" pour les jeunes et les familles, sujets et non objets de l'attention pastorale.

Le texte mentionne le rôle des Églises locales dans le discernement des ministères. Peut-être s'agit-il d'un pas en avant par rapport au rejet partiel des propositions du synode de 2019 pour la région amazonienne sur les prêtres mariés, tel que formulé dans l'exhortation Querida Amazonia de 2020 ?

La question majeure est le vaste programme de la troisième section de la deuxième partie, centrée sur la réforme de l'architecture ecclésiologique de l'Église dans le contexte de la synodalité. Elle traite de la primauté papale, de la collégialité épiscopale (y compris au sein du synode des évêques et des conférences épiscopales) et du ministère sacerdotal.

 

 Une autre question de discernement (dans la partie B 3.5) fait clairement allusion à la nature expérimentale du processus synodal : "Comment perfectionner l'institution du Synode pour qu'elle devienne un espace sûr pour l'exercice de la synodalité, assurant la pleine participation de tous - le Peuple de Dieu, le Collège des évêques et l'évêque de Rome - tout en respectant leurs fonctions spécifiques ?

Il est encore plus intéressant de constater que le récent élargissement - pour la première fois - du synode à des membres laïcs votants, y compris des femmes, est qualifié « d'expérience ». Les changements dans la structure du synode ne seraient-ils pas permanents ?

Les questions ecclésiologiques abordées sont les plus risquées, plus encore que les questions relatives aux femmes, aux prêtres mariés et à l'inclusion des catholiques LGBTQ.

C'est peut-être l'une des raisons pour lesquelles la question de la participation a été déplacée et est désormais la troisième et dernière après la mission. Il est peu probable que cette assemblée du synode ou la suivante soit en mesure d'aborder ces dilemmes architecturaux très complexes : le rôle de la papauté, des conférences épiscopales, des patriarcats régionaux dans une Église synodale confrontée à une forte diversité mondiale.

Bien que ces questions soient à l'ordre du jour, le synode semble mieux préparé à traiter celles sur la reconnaissance et l'inclusion de tous les membres de l'Église.

Le texte a le génie de François et aussi quelques faiblesses. Mais il est honnête et plein d'espoir. C’est une préparation au synode en utilisant les matériaux issus du processus de consultation mondiale, sans la plier à une option théologique particulière et sans nier la réalité. Il est absurde de l'accuser d’être un agenda, celui du pape ou un autre.

Il s'agit d'un moment très délicat dans la vie de l'Église.

Ce texte reflète les positions et les sensibilités très diverses sur certaines questions (la sexualité, les femmes, la sécularisation…) entre les différentes Églises locales. Être un "catholique global" aujourd'hui, c'est être un peu partout à la vue de tous. Ce n'est ni la faute du synode, ni celle de François ou de Vatican II.

 

Cet article fait partie de la série d'articles sur le synode et la synodalité.
Voir la série complète.

 

[1] Le document de travail destiné aux participants du synode

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