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Dimanche 20 février 2022 – 7e semaine du Temps – Luc 6, 27-38

L’évangile que nous considérons se trouve à la suite des Béatitudes qui invitent à sortir de la suffisance (« malheureux vous les riches ») pour s’ouvrir à recevoir la vie de Dieu (« heureux vous les pauvres »). Et le texte de ce dimanche, dans la même veine, n’est pas plus facile à entendre puisqu’il franchit un nouveau pas, celui de l’amour des ennemis : « Aimez vos ennemis », « Donne à qui te prend », « Soyez miséricordieux comme Dieu, votre Père, est miséricordieux. » Jésus délivre un enseignement qui parait inaccessible et d’autant plus inaudible que ce comportement, et pas moins d’après lui, nous identifie spirituellement à des « fils et filles du Très Haut » ! La tradition chrétienne a certes longtemps mis en avant la dimension sacrificielle de notre foi, portée par l’exemple du Christ en croix, pour interpréter ces paroles « de la joue tendue à nouveau » après avoir été frappé. Jésus a certes brisé le cercle de la violence ou celui de la loi du talion « dent pour dent ». Et son comportement pacifique en a marqué plus d’un quand, alors qu’il était menacé par une foule agressive, « passant au milieu d’eux, il allait son chemin » (Lc 4, 30).

Mais comment entendre ces paroles aujourd’hui quand le cléricalisme commence à être dénoncé, ou quand il est reconnu que plus d’une femme sur deux en France ont déjà été victimes de harcèlement ou d’agression sexuelle ? Car brandir le pardon comme un simple étendard peut avoir des effets pervers. Ainsi, quand le pape François a déclaré une année de la miséricorde, celle-ci porta bien des fruits mais s’avéra aussi douloureuse dans l’Église pour des victimes d’abus sexuels (ou autre), qui se voyaient réciter à tout va le refrain de l’obligation de faire miséricorde.

Dans un autre champ ecclésial, celui de la reconnaissance des femmes (de leur présence, de leurs talents, de la valeur de leur existence indépendamment de leur contribution à la reproduction de l’espèce), la réaction face à de nombreux comportements cléricaux misogynes (tellement banals qu’on pourrait presque ne plus les voir tellement ils sont intrinsèques à l’institution) n’est plus l’envie de pardonner une nouvelle fois poliment, par réflexe, tout en se taisant, mais bien plutôt de ne plus rien laisser passer. Le synode a commencé, l’heure est venue de s’exprimer…

Si le pardon est le propre du christianisme, il y a un temps pour tout. Pardonner ne veut pas dire renoncer à mener le combat de la justice (sociale, raciale, salariale, féministe…), sans se figer pour autant dans des positions victimaires. Car le pardon peut libérer, ouvrir un chemin vers une suite, surtout s’il s’appuie sur une justice réparatrice. Et si en contrepartie de siècles de patriarcat soutenus par certains dogmes catholiques, l’Église se montrait inventive ? Puisque « la mesure dont vous vous servez pour les autres, servira de mesure aussi pour vous ». Heureux vous alors !
 

Laure Pastoureau

Crédit photo
ennemis © Mark Freeth @ pxhere.com - CC BY-2.0
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