Commentaires
Évangile de ... ou selon... ?
Pour essayer de répondre à cette question : évangile de … ou selon … , le Petit Robert donne quatre sens au mot “selon“. Si on écarte les sens 3 et 4 qui portent sur une alternative ou une circonstance, le choix est entre le premier sens “en se conformant, en prenant pour modèle“, et le deuxième sens “si l’on se rapporte à“.
Le petit Robert penche pour ce deuxième sens en citant : “Évangile selon Saint Jean : évangile de Saint Jean“. Ainsi pour le Petit Robert “de“ est un sens particulier de “selon“ ; cela montre qu’il ne faut pas trop chercher de différence entre ces deux prépositions.
Papias identifie Matthieu, Marc et hésite entre Jean l’ancien et Jean l’apôtre pour le 4ème évangile.
Justin personnalise les témoignages qui s’appuient sur la mémoire des apôtres, ce qui pose quand même un problème pour Marc, pour Luc et peut-être pour Jean qui n’étaient pas des apôtres.
Irénée parle de Matthieu, Marc, Luc et Jean comme des auteurs d’évangiles, mais sait-on la différence en grec entre “selon“ et “de“ ?
Ces trois auteurs à mon avis personnalisent les auteurs des évangiles. Luc qui n’est pas un apôtre dit qu’il a réuni une documentation complète. Le jeune Marc sachant écrire en grec, est un tout jeune converti qui vraisemblablement n’a pas connu Jésus, mais que Pierre avait auprès de lui à Jérusalem entre les années 37 et 41 : il a écrit son évangile sans doute à ce moment-là sur la base du témoignage de Pierre qui lui a conféré son autorité pour qu’il soit repris en partie dans les autres évangiles synoptiques.
Si les évangiles n’ont pas de titre, un auteur leur est attribué par la tradition et ces auteurs sont aussi des saints que l’on peut prier en lisant leur évangile. Ces évangiles s’inscrivent aussi dans les écoles des Églises naissantes, ils s'adressent selon le cas à des Juifs ou à des non-Juifs et ont été modifiés dans le temps par ceux qui avaient autorité sur ces Églises.
Merci à Roselyne et à Christine de nous faire réfléchir à cette interrogation qui n’est pas futile sur la personnalisation des auteurs des Évangiles qui participe à mon sens à leur crédibilité.
Je vous remercie car je …
Je vous remercie car je pense que votre réponse peut aider à y voir un peu plus clair dans la tradition chrétienne du premier au second siècle.
Mais j'y ajouterai deux choses :
1-D'abord que le grec sait très bien faire la différence entre "l'évangile de" et "l'évangile selon", avec un complément au génitif dans le premier cas, et la préposition kata dans le second.
En grec, euaggelion est un nom d'action : la belle annonce, la bonne nouvelle. Paul parle couramment de "l'évangile de Jésus Christ" et de "l'évangile de Dieu"; ce qui signifie, grâce au double sens du génitif (complément de nom) à la fois que Jésus a lui-même annoncé au peuple la bonne nouvelle du Royaume, et qu'il est lui-même "une bonne nouvelle". Le génitif grec peut signifier l'origine, mais il peut aussi expliciter le mot qui le soutient : la bonne nouvelle qu'est Jésus lui-même.
C'est ainsi que l'évangile de Marc s'ouvre sur ces mots : "commencement de la Bonne nouvelle de Jésus, Christ, Fils de Dieu ».
Au contraire parler de « l’évangile selon », suppose un mot évangile qui est devenu le nom d’un genre littéraire écrit, et l’adverbe « selon », le met en lien avec, le rapporte à un évangéliste, Jean, Matthieu ou Marc. Ce sont des référents et des auteurs, seulement au sens étymologique où ils « autorisent », « donnent de l’autorité » à ce qui est écrit (mais qu’ils n’ont pas écrit eux-mêmes).
2-Sur l’identité de ces personnages, ce que vous en dites vient des compilations de documents faites par Eusèbe de Césarée au 4ème siècle. Sur ce point, il dit citer Papias le presbyte (=l’ancien) qui a vécu au début du second siècle. Jusqu’où faut-il considérer que Papias rapporte des faits ou qu’il établit lui-même des liens avec les premiers disciples, puisqu’il s’agit d’une succession de témoignages, d’un passage de témoins !
Une excellente question pour…
Une excellente question pour lancer notre forum !
Les évangiles ont été écrits sans titre et sans nom d'auteurs.
Pourtant, déjà Eusèbe de Césarée (4ème s) cite un fragment de Papias vers 110 qui identifierait Matthieu et Marc. Papias distingue aussi Jean l'ancien et Jean l'apôtre fils de Zébédée, pointant déjà une difficulté pour identifier l'auteur de l'évangile selon Jean ! Mais de quels textes Papias parle-t-il ?
Vers 150/160 Justin parle des "mémoires des apôtres que l'on appelle "évangiles". Et vers 175 Irénée de Lyon attribue clairement les quatre évangiles aux quatre évangélistes (Contre les hérésies III, 11). De façon frappante, Irénée parle de Matthieu, Marc, Luc, Jean comme auteurs des évangiles, mais il dit aussitôt et toujours « l’évangile selon Matthieu… selon Marc … selon Luc… selon Jean », ou, à la façon elliptique du grec « le selon Matthieu… le selon Marc etc. ». Ajoutons que tous les manuscrits qui portent un titre ou un nom (en gros à partir du début du 4ème s.) portent « évangile selon… ».
Cela signifie qu’à la fois on rapportait l’évangile à une figure apostolique marquante à laquelle on se réfèrait, et on reconnaissait que l’évangile écrit est toujours « selon » ou « d’après », ce qui marque une distance, celle du ou des derniers rédacteurs à la figure éponyme. L’évangile n’appartient à personne ! Il est Bonne Nouvelle de Jésus Christ, que chacun rapporte à sa manière, aussi bien qu’il le peut.
C’est un magnifique exemple, pour moi, de ce « sens fidei fidelium », « sens de la foi qu’ont les croyants », tel qu’on le définira plus tard.
Ceci dit, on peut parler couramment de "l'évangile de Matthieu... Jean", comme le fait Zumstein. Je préfère le "selon", en tout cas, il faut en être conscient !