Commentaires
l'ordre du monde
Sur la question : pourquoi Pharaon est-il frappé par Yahvé, j'ai lu dans un livre "ce que la Bible doit à l'Egypte" ouvrage collectif chez Bayard 2008, préfacé par Thomas Römer, que tout le Levant partage avec la Mésopotamie l'ordre du monde: la ma'at : concept égyptien selon lequel l'ordre qui règne naturellement dans le monde doit être respecté de manière stricte. Toute action contraire à l'ordre peut faire s'écrouler cet ordre et donc, il y a nécessairement une sanction. Toute faute, même non voulue, inconsciente ( la faute objective comme disent les juristes) doit être réparée car tout doit rester à sa place. j'ai trouvé l'explication intéressante. Ce qui m'a plus "interpelée", c'est la réaction de Pharaon, qui ne punit pas Abram et le laisse partir avec toutes les richesses et les biens. il est simplement renvoyé, mais riche...l'Egypte n'est pas toujours l'ennemi exemplaire qu'on se représente...
Vous avez raison, la…
Vous avez raison, la proposition de Römer est très éclairante, car elle situe le texte dans le cadre plus vaste des représentations anciennes de la divinité et de l'ordre du monde.
Je voudrais aussi revenir sur ce que je vous disais dans la feuille de notes et synthèse n° 1 :
Tout au long de la Bible, les relations d’Israël avec l’Egypte sont extrêmement ambivalentes.
L’Egypte est, certes, la figure de l’esclavage, de la servitude et de la mort, dont Dieu par l’intermédiaire de Moïse va faire sortir le peuple (la figure sera reprise à la fin de l’exil à Babylone).
A ce titre, il y a toujours un peu de négatif dans l’évocation de l’Egypte et des Pharaons.
Mais l’Egypte est aussi le lieu où en cas de famine les nomades vont se réfugier et se nourrir.
Une belle réhabilitation de l’Egypte est présente dans l’histoire tardive (5ème s. ? ) de Joseph qui clôt la Genèse ; la diaspora juive en Egypte est ancienne, importante et jusqu’au 1er s. av. J.C. très bien intégrée.
Enfin une magnifique vision des relations Israël/Egypte/Assyrie (autrement dit Israël et ses ennemis héréditaires) se lit en Isaïe 19, 19-25 : faites le déplacement, il vaut la peine !
On peut donc considérer que cette forme du récit reflète une tradition ambivalente envers l’Egypte, mais qui montre que le Pharaon peut être plus généreux et moins « pervers » qu’Abram ! Les auteurs considèrent que Pharaon a su être à l'écoute de la divinité (l'ordre du monde) qu'il avait mis à mal, et a été capable de revenir sur ses propres choix pour le restaurer. Ce qu'Abramn 'a pas encore su faire.
Et je trouve courageux de la part des auteurs de reconnaître que le grand ancêtre partout idéalisé a su aussi être très moche !
Ensuite, j’ajoute que cela fait partie de la conception même du livre et de la pensée « théologique » des auteurs. Dieu reste incompréhensible, et nous n’avons pas toujours à « justifier » Dieu, avec nos petits préjugés et notre sens de la justice tellement sujets à caution !
J’essaie de comprendre et d…
J’essaie de comprendre et d’avancer dans vos questions.
1.Vous avez raison, il y a vraiment un écho ou une continuité entre le couple prototype Adam/Eve, et le couple réel empêtré dans les affaires humaines Abram/Saraï.
Sur le caractère un peu immature de ces messieurs, et la passivité de ces dames, j’ai une opinion qui diffère de celle de Wénin (mais je n’ai pas la vérité !).
Je crois qu’il faut accepter le caractère massivement patriarcal des mentalités dans le monde où vivent les auteurs. Et donc, même si je suis d’accord sur le « côté qui doit remplacer la « côte » (venant d’un contre-sens de la traduction latine), et sur le vis-à-vis d’une aide qui corresponde, je pense que tout est vu du point de vue masculin.
Oui Dieu « présente » donc la femme à l’homme, comme un don. Clairement il ne vient pas à l’idée des auteurs d’écrire l’inverse ! Et clairement aussi ils sont bien convaincus qu’Adam s’est émerveillé : « celle-ci est la chair de ma chair ». Wénin y voit un cri d’appropriation et une volonté de maîtrise, mais pour l’époque, c’était l’affirmation d’une égalité inouïe !
De même, pour les auteurs, il n’y a pas de question : c’est la femme qui la première se laisse séduire par le serpent ! Wénin peut bien nous expliquer que c’est une conséquence de sa frustration antérieure… C’est d’abord une conséquence du machisme le plus traditionnel !
Mais il ne faut pas s’en tenir là. Ces mêmes auteurs perçoivent bien que cette attitude peut devenir problématique, qu’il y a un risque de domination et de soumission iniques, et au contraire que la femme a d’une façon ou d’une autre une égale dignité avec l’homme.
Les auteurs de Genèse 1, en tout cas, l’affirment tranquillement : mâle et femelle, il les créa, à son image il les créa. Il faut les deux pour qu’il y ait image de Dieu !
Les auteurs de Genèse 2- 3 perçoivent aussi quelque chose de très fort dans la femme, même dominée par son mari : elle est la Vivante, et c’est sa descendance qui écrasera le serpent !
Pour Abram et Sara, il me semble que Wénin voit mieux les choses : Saraï qui n’a pas la parole est de fait le jouet d’Abram qui la vend au Pharaon pour sauver sa propre peau ! Mais au fil des chapitres, elle va sortir de son silence, prendre des initiatives (pas toujours terribles, mais elle fait ce qu’elle peut etc.)
Autrement dit, dans ce monde patriarcal, les auteurs bibliques s’efforcent de soulever un pan de la burka, et de donner une autre vision du couple humain, où chacun peut avoir sa place.
Il faut mesurer leur effort non pas par rapport au mouvement #Me too, mais par rapport au poids des traditions environnantes. Tout de même, par rapport à d’autres textes bibliques (Esdras et Néhémie, qui au retour d’exil, exigent le renvoi des femmes étrangères), ils sont très en avance.
(Preuve que ce n’est pas facile d’avancer : où en est la question de l’ordination des femmes dans l’Eglise au 21 ème siècle ?)
2- La femme, un don, un présent ? Non, bien sûr. Mais c’est amusant, car le mot « présent » peut s’entendre en deux sens : soit un paquet cadeau, dont Adam fera ce qu’il voudra ; soit un cadeau qui l’honore et manifeste sa dignité ! Mais le mot n’est pas dans la Bible, et Wénin l’introduit à tort.
3- Je veux bien que ce soit Saraï qui ait parlé au Pharaon… ou que tout finisse par se savoir… Mais franchement, quelle importance cela a-t-il ?
Lisez une autre version de la même histoire (sur la trame d’un petit récit légendaire), en Genèse 26, 6-11, les auteurs vous offrent une autre possibilité assez savoureuse !
Vous vous scandalisez de l’affaire du Pharaon, et d’un Dieu d’une injustice crasse, qui ne dit pas un mot pour reprocher à Abram sa conduite détestable ! Vous n’avez pas fini de vous scandaliser ! On pense aux plaies d’Egypte, mais on plaint Pharaon. Et finalement c’est lui qui a le beau rôle.
Disons que Dieu ne félicite pas non plus Abram. Et que les auteurs n’ont pas éprouvé le besoin d’idéaliser leur ancêtre (c’est notre manie de vouloir des saints partout). Il a été très moche, et comme tout être humain, il va devoir faire un dur chemin pour arriver à répondre mieux à la proposition d’alliance de Dieu. C’est le titre du livre de Wénin : « l’apprentissage du dépouillement ».
Notre idée de Dieu a changé, certes. Mais comme toujours, les auteurs bibliques recueillent les vieilles histoires et les aménagent tout en gardant ces traits obscurs de Dieu que les légendes portent avec elle… le Dieu de la Bible est multiforme, selon ce que les humains ont dit et compris de lui à travers les siècles. Il se révèle chaque fois à la petite mesure de nos cerveaux conditionnés par les conformismes spéciaux. Et les auteurs bibliques savent bien à quel point Dieu est incompréhensible, « un Dieu qui se cache », dit Isaïe 45, 15… Nous l’expérimentons si souvent ! Et qui peut percer les plans de Dieu ?
Finalement dans chaque cas, on peut voir le verre à moitié plein ou à moitié vide : une promotion de la femme étonnante pour l’époque ou une domination sans complexe des mâles ; un Dieu qui sauve son peuple de la servitude et de la mort, ou un Dieu qui maltraite les Egyptiens et tue leurs premiers-nés (la liturgie juive s’y réfère pour demander pardon) ?
Cela nous force à nous demander : où en sommes-nous de notre compréhension de Dieu. Nous n’avons pas de verre plein, mais notre propre contribution à ajouter à la Bible…