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Croix résurrection

 La célébration était présidée par Frère Benoit Billot, bénédictin. Anne Soupa était en charge de la prédication.

Texte sur lequel porte la prédication : 1ère lettre aux Corinthiens, chapitre 1, versets 18 à 31 (traduction TOB)
La parole de la Croix, en effet, est folie pour ceux qui se perdent, mais pour ceux qui sont en train d’être sauvés, pour nous, elle est puissance de Dieu. Car il est écrit : Je détruirai la sagesse des sages et j’anéantirai l’intelligence des intelligents. Où est le sage ? Où est le docteur de la loi ? Où est le raisonneur de ce siècle ? Dieu n’a-t-il pas rendue folle la sagesse du monde ? En effet, puisque le monde, par le moyen de la sagesse, n’a pas connu Dieu dans la sagesse de Dieu, c’est par la folie de la prédication que Dieu a jugé bon de sauver ceux qui croient. Les Juifs demandent des signes, et les Grecs recherchent la sagesse ; mais nous, nous prêchons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les païens, mais pour ceux qui sont appelés, tant Juifs que Grecs, il est Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes.
Considérez, frères, qui vous êtes, vous qui avez reçu l’appel de Dieu : il n’y a parmi vous ni beaucoup de sages aux yeux des hommes, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de gens de bonne famille. Mais ce qui est folie dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre les sages ; ce qui est faible dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre ce qui est fort ; ce qui dans le monde est vil et méprisé, ce qui n’est pas, Dieu l’a choisi pour réduire à rien ce qui est, afin qu’aucune créature ne puisse tirer quelque fierté devant Dieu. C’est par Lui que vous êtes dans le Christ Jésus, qui est devenu pour nous sagesse venant de Dieu, justice, sanctification et délivrance, afin, comme dit l’Écriture, que celui qui fait le fier, fasse le fier dans le Seigneur.

Prédication d’Anne Soupa :
Quelle force dans cette exhortation de Paul ! Il explique pour les Corinthiens la parole de la Croix, son langage, son message, son mystère aussi. De fait, à deux semaines de la Passion, la Croix, encore et encore, nous fait signe. Et elle inquiète toujours, malgré 2000 ans de distance. La Croix, c’est « l’intranquillité » du christianisme. Qui ne peine à la comprendre, qu’il soit chrétien ou non ? Faut-il mourir sur une croix pour accomplir une œuvre de salut ?
Pourtant, Paul ose affirmer, quelques lignes après le passage que nous venons d’entendre : « je n’ai voulu voir en vous que Jésus crucifié. » (1 Co 2, 2) Alors, la Croix serait-elle le viatique de nos relations interpersonnelles ? L’objet que l’on porte parfois à son cou serait-il plus qu’un signe d’appartenance, serait-il un langage qui recèlerait des propositions de vie, qui nous porterait vers autrui, serait-il même le seul langage dont un chrétien et qui sait, peut-être même donc quelqu’un de non croyant, aurait besoin ? Je propose que nous explorions ensemble ce langage de la Croix

  1. Commençons par « faire simple ». Un homme est pendu au bois. Qu’advient-il ? Comme toute personne soumise à un tel supplice, il meurt. Et c’est cela, ce fait d’une banalité déconcertante, que Paul appelle « puissance de Dieu ». Eh oui, les légions d’anges ne sont pas venues délier les liens du condamné. Jésus est resté pieds et poings liés à sa condition d’homme. Voilà la première parole du langage de la croix.
  • Parole inacceptable, insupportable, rapporte Paul : les Juifs crient au scandale, les Grecs à la folie. Pour les Juifs, le scandale est d’assigner Dieu dans les limites d’une vie humaine. Honte à ces « chrétiens » qui voudraient limiter l’illimité, mettre la main sur le Tout Autre, l’inaccessible par excellence ! Pour les Juifs, si le Tout Autre sait se faire proche, s’il s’est penché vers la terre, c’est pour donner la Torah à son peuple, mais il ne peut se compromettre avec la finitude humaine. Les Grecs, eux, ne croient pas que les Dieux s’intéressent à l’humanité. Platon croit en un Dieu principe, et la mythologie grecque nous a habitués à des dieux capricieux, fantasques, tout puissants et arbitraires. Et pour eux, la faiblesse n’est pas une qualité, mais un défaut. Voilà pourquoi ils crient à la « folie » : une aussi lamentable démonstration d’impuissance ne pourra jamais annoncer la Toute-puissance de Dieu.
  • Rien de ces refus n’a de quoi surprendre. Je n’en retiendrai ici qu’un seul : c’est une tendance de toujours que de vouloir « disposer » d’un Dieu fort que l’on peut faire descendre dans l’arène du monde et que l’on instrumentalise pour servir ses propres desseins. Dieu doit être un champion, puisqu’il est mon Dieu, mon « plus que moi ». Et pour être bien certain qu’il est avec moi, il faut que je prouve sa force. Ah ! la preuve… Quel allié précieux quand on veut mettre la main sur Dieu ! La preuve me conforte dans mon choix : ce Dieu-là est bien le bon ! Et si ce Dieu bouleverse les lois de la nature, la preuve devient parfaite. Je cherche donc à prouver que Jésus a bien accompli des miracles, que Marie a bien enfanté en étant vierge, et je convoque même la gynécologie pour l’affirmer. Et s’il s’avère que les archéologues, les exégètes ou les historiens découvrent, par exemple, que les Hébreux n’ont sans doute jamais traversé la Mer ou que le furieux tonnerre du Sinaï n’est qu’une façon de parler, tout le monde, croyant ou non, criera à la duperie. Haro sur ces Écritures qui disent n’importe quoi ! Entendons-nous bien : la preuve que l’on veut avoir, c’est la preuve clinquante, celle qui nous rendra grands aux yeux des hommes, mais si le Dieu de Jésus prouve en nos cœurs que sa parole est efficace, saurons-nous l’entendre et la dire ?
  • Le langage de la croix, c’est donc d’abord de refuser ce Dieu façon Hollywood, d’accepter de se couler dans sa condition d’homme, ce qu’a fait Jésus et que souligne la Lettre aux Philippiens : « Lui de condition divine, il n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu […], mais il s’est abaissé devant obéissant jusqu’à la mort, et la mort sur une croix. » (2, 6-8) Attention, Paul ne critique pas la sagesse du monde : la science, la prudence, le recul de l’ignorance, tout cela contribue à un « art de vivre » qui est légitime. Et de plus, qui interdirait à Dieu de se manifester comme bon le lui semble ? Mais Paul, à la suite de Jésus, redit que ce n’est pas la preuve qui fait croire. Cette sagesse mondaine n’a pas reconnu le Christ. Elle ne conduit qu’à elle-même, à des gens qui s’auto-glorifient d’être sages. C’est une impasse, dit Paul.
  • En somme, il faut arrêter de croire pour commencer à croire. Ou pour le dire autrement, croire peut survenir quand je n’attends rien d’autre que d’assumer ma vie humaine. Mais rien d’autre. Car, pour accepter sa mort, Jésus n’a pas misé sur une résurrection. Il ne s’est pas dit : « C’est juste un mauvais moment à passer. » Non, il l’a regardée comme la regardent les êtres humains. Avec la sueur de l’angoisse, la gorge nouée et la peur au ventre. Alors, quand quelqu’un croit de cette manière, en « terrien ancré dans sa terre », il n’a plus les yeux levés vers le ciel, mais c’est dans son œil que le ciel, peut-être, va aller se nicher, comme le représente Magritte, qui a peint un œil dont l’iris est un beau ciel pommelé de nuages blancs. Oui, le ciel dans les yeux pour regarder le monde, c’est le début de la foi. Ou, pour le dire avec les mots du poète Jean Grosjean : « Tout ce que nous savons de Dieu tient dans une vie d’homme. » Oui, la première parole du langage de la Croix, c’est qu’elle est notre grande leçon de choses, à nous autres gens de la terre. Au point que vivre une vie humaine, la sienne, pas celle du voisin, y mettre tout son désir, toutes ses forces, est appelé par Paul « puissance de Dieu ». Projet grandiose que de vivre sa vie du mieux qu’on le peut, projet en-thousias-mant, c’est le sens même de ce mot : projet qui conduit à Dieu.
  • Les Pères de l’Église des 4e, 5e siècle, les Grecs surtout, ont jubilé en découvrant que c’était dans le périmètre même de l’humanité que Dieu s’était révélé. Et que, par conséquent, l’être humain était « capable de Dieu ». Avec une audace qui nous confond encore par sa modernité, ils parlent de la « divinisation de l’homme » dont Jésus est la promesse faite chair. Et les Corinthiens auxquels Paul s’adresse ne sont « ni sages, ni puissants, ni de bonne famille ». Paul les invite à jubiler devant la gratuité de la grâce qui se manifeste chez eux, eux qui sont des gens sans mérites, justement afin que Dieu révèle sa force dans la faiblesse de leur condition.
  1. La seconde parole du langage de la Croix consiste à se demander pourquoi Jésus est mort sur une croix, et non dans son lit, comme le voudraient les sages à la manière du monde. Pourquoi Jésus n’a-t-il pas refusé la Croix ? Qui ne s’est posé cette question ? Prenons, encore une fois, les choses par leur bout le plus simple.
  • Écartons d’abord trois interprétations, assez proches les unes des autres, trois sœurs, en somme, les trois mauvais génies – un mot sans féminin, étrange ! – du christianisme, dont je voudrais montrer qu’elles ne mènent à rien.
  • La souffrance, d’abord. Chez ma grand-mère, il y avait des tableautins avec les instruments de la Passion, les clous, le marteau, les épines, et le voile de Véronique au milieu. Et dans les missels de sa table de chevet, je lisais que plus on souffrait, plus on était près du Bon Dieu. La souffrance sauvait. Il était de bon ton de se faire du mal, de tendre sa volonté pour sacrifier tout ce qui était agréable dans la vie. Pourquoi ? Soit par une culpabilité longtemps instillée, de génération en génération, soit par souci de l’exploit, pour devenir un athlète « digne de la croix du Christ ». Peut-être les deux raisons s’ajoutaient-elles, d’ailleurs. Mais c’était faire du christianisme un ascétisme. L’ascétisme, c’est une manière d’exister au prix fort, celui de la mutilation de soi.
    • Or Jésus barre ce chemin : Oui, il n’a pas où poser sa tête, mais il mange « avec les gloutons » (Mt 11, 19). Jésus n’est ni un ascète, ni un adepte de la souffrance. Chez lui, il n’y a aucune volonté de se détruire. Il a même été tenté de se dérober à la Croix, puisque Jean dit qu’il se cachait pour fuir les Juifs (Jn 10, 39).
    • Reste que Jésus a souffert, comme les êtres humains souffrent. Jésus lui-même annonce que « le Fils de l’homme devra beaucoup souffrir, être rejeté et mourir». Oui, la Croix est une épreuve, un supplice, il ne faut pas jouer à le minimiser. Mais rencontrer la souffrance, c’est autre chose que de la chercher, consciemment ou non.
  • La sœur de la souffrance, qui occupait tant de prêches anciens, donc de ce courant qui nous revient aujourd’hui, c’est l’idée qu’il y a une faute à expier, ou une réparation, ou une rédemption à effectuer. Il « faut bien » la Croix, puisque nos parents, au jardin d’Eden, ont fauté. Alors Dieu le Père envoie son fils pour « racheter » l’humanité livrée au péché, au pouvoir du diable. Et au péché d’Ève se substituerait le « oui » de Marie l’immaculée.
    • Mais cette interprétation, qui a été massive au cours de l’histoire, et qui a engendré dans les consciences une culpabilité destructrice, se heurte à une observation très simple. Jésus n’a jamais évoqué le schéma d’une faute originelle qu’il viendrait effacer.
    • Pourtant, on ne peut pas balayer d’un revers de main la présence du mal dans le monde. Donc, oui, Jésus apporte une rédemption, mais pas sous la forme d’un dénigrement de l’être humain.
  • La sœur de la seconde et de la première, malfaisante elle aussi, voudrait que Jésus obéisse à la volonté de son Père. Cette interprétation aussi a fait flores jusqu’à nos jours, presque jusqu’à Maurice Bellet, notre contemporain, qui a osé dire que le Dieu qui livrerait son Fils à la mort serait un Dieu pervers. Certes, dans sa prière au Mont des Oliviers, Jésus dit : « Père, pas ma volonté, mais la tienne ! » (Mc 14, 36). Mais il dit aussi : « Ma vie nul ne me la prend, je la donne de moi-même. » (Jn 10, 18) Alors ? L’interprétation que je vous propose est que l’épisode du Jardin des Oliviers est un moment de tentation terrible pour Jésus. L’approche de l’épreuve risque de le submerger, d’anéantir sa volonté propre, parce qu’il s’expose en vérité à sa nature humaine. L’appel à son Père est destiné à faire davantage mémoire en lui de sa propre vie donnée, afin de le fortifier. Alors, si vous le voulez bien, écartons ce Dieu insensible, hautain, et pervers qui pousserait son fils à la mort. Admettons une bonne fois pour toutes que la volonté du Père, c’est celle même de Jésus.

     Alors, si ce n’est ni pour souffrir, ni pour racheter la faute des origines, ni pour être la marionnette d’un Père autoritaire et pervers, qu’est-ce qui explique la Croix ?

  • Pour entrer dans une sorte de réponse, je propose l’enquête la plus simple qui soit : rebrousser chemin jusqu’au début de la vie publique de Jésus. Refaire pas à pas son itinéraire, regarder comment il a vécu : ses enseignements, ses guérisons, ses exorcismes, sa lutte contre les impuretés rituelles, contre les exclusions sociales, contre la domination du Temple, sa compassion, sa volonté de mettre l’être humain debout, quoi qu’il lui en coûte… C’est Pierre, dans son discours chez le centurion Corneille qui définit l’œuvre de Jésus de la manière la plus directe qui soit : « Jésus est passé faisant le bien, guérissant tous ceux que le diable tenait asservis. » (Actes 10, 38) En somme, aimer et libérer du mal, telle est l’œuvre de Jésus, celle-là même qui le conduit à la Croix.
  • Pourquoi, vous-êtes-vous sûrement demandé, pourquoi faire le bien conduit-il à la mort ? Les réponses viennent, mais elles posent de nouvelles questions : Jésus contrariait les petits intérêts des prêtres du Temple. De ces fonctionnaires d’un culte qui se nourrissait de la culpabilisation des fidèles. Qui faisait de la Loi juive, bonne pour la vie sociale, un carcan pour le peuple.
    Mais faut-il donc que la jalousie, l’appât de l’argent, du pouvoir, aient toujours le dernier mot dans nos vies ? Ne peut-on traverser la jalousie pour accéder à une vraie fraternité ? Ne peut-on se servir de l’argent, plutôt que le servir ? Ne peut-on exister sans abaisser autrui ? Vous le voyez, la question s’invite dans notre propre vie, que nous soyons d’ailleurs croyants ou non. Aux yeux de tous, la Croix est le refus d’une œuvre de bonté. Cela questionne et nous questionnera toujours. 
  • Comment comprendre, ensuite, que Jésus « libère de l’asservissement du diable » ? Cette affirmation de Pierre peut se décortiquer de plusieurs manières. Ce soir, je n’en regarderai qu’une : Jésus, l’innocent, pardonne à ses bourreaux. En effet, en acceptant de pardonner, au prix de sa vie, Jésus a « vaincu le mal ». C’est-à-dire qu’il ne lui a pas laissé le dernier mot. En toute liberté, il est descendu dans les cachots du monde. Comme me l’a écrit l’un d’entre vous ces jours-ci, « Dieu veut dissoudre l'enfer », cet enfer que serait un monde sans pardon. Sans pardon une société s’entretue, car le mal répond au mal, sans fin… Jésus a dit non à ce monde de violence. La plus haute vertu pour vivre ensemble, nous dit la Croix, c’est de pardonner. La Croix, qui dit le pardon, est donc libération des enfers. Si nous ôtons de ce propos sa mythologie sur les enfers, encore une fois, nous constaterons que toute personne, croyante ou non, peut se nourrir de ce message.
  • Si Jésus libère, c’est aussi de la nocivité du pouvoir qui tourne vite à l’oppression. Jésus aime sans puissance, il aime dans la faiblesse, qui ne donne pas d’ordres, qui ne violente pas, qui n’humilie pas, qui ne fait pas d’ombre, qui écoute, qui respecte, qui permet à l’autre de se déployer et qui se réjouit de son existence. C’est la raison pour laquelle Paul ose dire que la faiblesse de Dieu – la faiblesse d’un homme en croix, qui récapitule une vie d’amour – est plus forte que la puissance des hommes.
  • Ce qui est intéressant à se demander, même si cela restera toujours de l’ordre de la conjecture, c’est comment Jésus a pu pardonner. Car il faut avoir « des compensations » pour pardonner à ceux qui vous envoient à la mort. Une cause, un idéal, la reconnaissance d’un amour vécu, si fort qu’il rend la mort « envisageable », presque possible. Quelqu’un de trop malheureux, quelqu’un qui n’est pas comblé par un « ailleurs », ne peut pas pardonner.
  • Or, je crois que Jésus a été comblé. Je crois même qu’il a été heureux. Heureux de quoi ? Je vous livre une réponse, pas seulement la mienne, mais celle à laquelle j’accorde du poids : Jésus pardonne parce qu’il a beaucoup reçu. Et ce qu’il a reçu lui vient de celui qu’il appelle « mon Père ». Qui est ce mystérieux Père ? Le Dieu d’Israël sans doute, car Jésus est juif et connaît ses Écritures. Mais comment Jésus considère-t-il ce Père qu’il prie si ardemment ? Est-ce un mouvement naturel chez lui, une sorte de sortie de lui, de son ego, vers plus grand que lui, vers un Autre qui nourrit sa relation ? Ce Père est-il « l’Amour », comme le dit Jean (1èreLettre de Jean 4, 8) ? En tous cas, cet « Autre » est la source à laquelle Jésus s’abreuve. C’est cette source qui lui a permis d’être compatissant, capable de redresser les êtres courbés et, au final, d’aller librement à la Croix. C’est ce Père qui lui a donné son amour et à la Croix, Jésus le lui rend.
  • Il me semble que ce constat est précieux pour entrer dans ce qui restera toujours le mystère de la Croix. Il permet de dire « Croix » = « par-don » ; ou « Croix » = « don », don du Père au Fils, don du Fils aux frères et aux sœurs que nous sommes. Ou pour le dire autrement, quand la Croix nous semble trop chargée de dolorisme, changeons le mot en celui « don » ou de « par-don ». La positivité de la Croix est alors davantage mise en lumière.

     Telle est la deuxième parole du langage de la Croix que je vous propose ce soir.

  1. La troisième et dernière parole se dégage de la seconde et elle se laisse deviner à travers les enseignements de la 1ère Lettre de Jean. Dans cette lettre, Jean démontre, pas à pas, avec son style lent qui répète en déplaçant juste un mot, ce style qui tourne, comme un escalier en colimaçon, que celui qui aime est né de Dieu et qu’il a la vie éternelle (1 Jn 3, 14). Donc, Jésus, qui aime, est né de Dieu et a la vie éternelle. Pour le dire autrement, sur le bois de la croix, Jésus ressuscite, car celui qui aime est déjà ressuscité. Le tombeau vide du matin de Pâques ne fera que confirmer l’amour donné à la Croix. En somme, la Croix est grosse de la Résurrection. En méditant devant elle, en nous la rendant plus familière, on peut parvenir à la considérer pour ce qu’elle est : promesse et même signe de résurrection.
  • Car, attention à ne pas faire de la résurrection chrétienne le grand chamboulement, la grande subversion de la finitude humaine. La Résurrection, ce n’est pas l’immortalité, ce n’est pas non plus l’homme augmenté du transhumanisme ! La Résurrection est ce qui arrive quand on aime comme Jésus a aimé.
  • Et cet événement assez inconcevable, dont on contemple la promesse sans bien la comprendre, ne s’accompagne de nul prodige surnaturel. Le tombeau est vide, la pierre est roulée, certes, mais le corps du Ressuscité échappera. Jésus le dit à Marie, au jardin : « Ne me touche pas. » Le signe le plus « tangible » de la Résurrection est celui que donnent les anges aux femmes (Mc 16, 7// Mt 28, 7) : Il est d’aller le voir en Galilée, le lieu de la prédication à ses débuts. C’est-à-dire que les anges invitent les femmes à réinvestir leur vie ordinaire, à reprendre à leur compte la prédication de Jésus, à aimer, à se libérer du Mauvais et à en libérer leur prochain, en s’abreuvant, comme Jésus, à la source, de ce mystérieux Père qui, comme le dit Jésus à Marie de Magdala, devient après Pâques « notre Père ».
    Aimer à en ressusciter, telle est la troisième parole de ce langage de la Croix que nous tentons de déchiffrer ensemble.
  • « Porter sa croix » ne serait donc pas la formule bien connue, celle d’être éprouvé, d’être dans la difficulté, ou la douleur, mais ce serait porter en soi, comme une sorte de trésor (celui que précisément Paul invite les Corinthiens à découvrir en eux), cette triple aptitude : à devenir de plus en plus l’être humain que nous sommes, à pardonner pour stopper la propagation du mal, et à donner ce que l’on a reçu du Père. Tel est le langage de la Croix que révèle Paul. Je le résume encore : Jésus a su assumer pleinement sa condition humaine, il a su pardonner à en mourir, et il a su aimer à en ressusciter.
  • Faut-il appeler cela « divin » ? Beaucoup de chemins partent en direction de ce mot intimidant, trop intimidant pour qu’on en use à la légère. Je voudrais juste ici en esquisser deux :
    • Est-ce que ce langage de la Croix est la conséquence de ce que, de toute éternité, Jésus aurait été le Fils du Père, qu’il aurait été Dieu, et qu’il aurait, un jour, revêtu « en plus » la condition d’un homme ? C’est la lecture de Jean dans son Prologue.
    • Ou bien ce langage est-il l’assomption d’une humanité parfaite, accomplie, mais accomplie jusqu’à la moelle des os, achevée, au sens où le comprend saint Irénée, si accomplie que, devant elle, certes, nous défaillons d’impuissance, mais nous sommes dans l’émerveillement. Un émerveillement tel que nous confesserions volontiers quelque chose de ce genre : « Cet homme Jésus, défiguré comme l’est tout supplicié, libéré de tout désir de vengeance, et habité de l’amour le plus purifié qui soit, cet homme, Dieu l’a ressuscité. » C’est, à peu de choses près, la formule de Pierre, le jour de la Pentecôte (Ac 2, 32).
  • Je livre ces questions à notre méditation, je nous laisse tous en ce carrefour, en ce lieu presqu’indécidable, que nous arpentons peut-être depuis des lunes et dont nous ne sortirons peut-être jamais, et je voudrais l’éclairer par la parole du centurion qui était au pied de la croix : « Le centurion qui se tenait devant lui, voyant qu’il avait ainsi expiré, dit : Vraiment, cet homme était le Fils de Dieu. » (Marc 15, 39) Cela pourrait être le point final de ces trois paroles du langage de la Croix.
    Retenons que c’est un païen qui parle. Un homme qui ne regardait jamais le ciel pour y chercher Dieu, mais qui l’a trouvé dans les yeux d’un supplicié. Dans ces yeux déjà blanchis par la mort, le ciel était là, et c’est un ciel à hauteur d’homme que le centurion a contemplé.

Rendons grâce, chers amis, pour ce langage de la Croix qui peut faire jaillir en nous les paroles même de Pierre, à Césarée : « À qui irions-nous, Seigneur, tu as les paroles de la vie éternelle. » (Jn 6, 68)

 

Texte des post-its recueillis après le partage en groupes : il était demandé de dire comment nous « recevions » la mort de Jésus, ou de  formuler une prière, une espérance, ou de citer une phrase qui nous a marqués et avec laquelle nous repartirons ce soir :

  • Ce qui est faible dans le monde, Dieu l'a choisi pour confondre ce qui est fort
  • Père pardonne leur !
  • La croix n'a pas été une bonne nouvelle pour Jésus: Il l'a dit
  • Ce qu'il y a de faible, voila ce que Dieu a choisi pour confondre ce qui est fort. Jésus parle de la Joie de Dieu " Je trouverai ma joie dans mon peuple" Seigneur, avons-nous été la joie de Dieu ce soir ?
  • Le PARDON
  • Mort / Résurrection : Bonne nouvelle ?  Oui, parce que c'est l'authentification de toute la vie de Jésus
  • L'AMOUR de Jésus qui l'emporte sur la mort-------- Résurrection
  • Où est le raisonneur de ce siècle? Dieu n'a-t-il pas rendu folle la sagesse du monde? Bienheureux les "fêlés", ils verront la lumière
  • La Croix, comme le triomphe de l'Amour
  • Ce qui est faible dans le monde, Dieu l'a choisi pour confondre ce qui est fort
  • Merci pour ce signe de fidélité au Dieu d'Amour, jusqu'à la croix
  • Ce qui est faible dans le monde, Dieu l'a choisi pour confondre ce qui est fort - Dieu est avec nous quand nous sommes, nous aussi, sur une croix
  • Aimer, aimer à en ressusciter. Donne-moi Seigneur de le vivre de plus en plus
  • Jésus sur la croix m'aide à vivre les croix du monde (cancer, maladie)
  • Ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes
  • Sur la croix, Jésus est déjà ressuscité car il aime
  • Quelle qualité d'Amour le Christ a-t-il reçu pour supporter/ accepter la croix!
  • La croix est-elle un moment de la vie de Jésus ou une dimension permanent de la vie divine?
  • Vos pensées ne sont pas mes pensées – Isaïe
  • Ta mort nous rend vivants
  • Ce qui est faible dans le monde, Dieu l'a choisi pour confondre ce qui est fort
  • Seigneur Jésus, montre-moi une fois de plus que ce qui t'a permis d'être heureux sur la croix, c'est le pardon
  • La croix est une grande preuve d'amour: mourir pour donner la vie, comme le grain de blé qui meurt pour donner du fruit
  • Il est Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu
  • La parole de la croix, c'est qu'au cœur de ma vie humaine (avec tout ce qu'elle comporte, joie, lumière, plénitude, relations, mort...) je suis en train d'être sauvée
  • C'est par Lui que vous êtes dans le Christ Jésus qui est devenu, pour nous, sagesse venant de Dieu, justice, sanctification et délivrance
  • Pardon
  • Ma vie nul ne la prend. Seigneur, pardon de ne pas avoir su la donner
  • Que celui qui fasse le fier le fasse dans le Seigneur
  • Ce qui est faiblesse de Dieu est plus fort que les hommes. Seigneur donne-moi la force de l'amour qui se dégage de la mort sur la croix
  • C'est, peut-être, la mort de Jésus après l'accomplissement de sa vie qui rend supportable, compréhensible, la fin de la vie de l'homme
  • Aimer à en ressusciter
  • Seigneur donne-moi cette capacité à abandonner toute prétention d'intelligence, de pouvoir, de sagesse et de m'en remettre à ton amour
  • Qu'il me façonne comme tu veux
  • Comment croire que la croix ne s'arrête pas à la Croix ?
  • Ta croix, Jésus, nous l'annonçons quand tu viens au secours de la nôtre, de la mienne
  • La croix c'est l'aboutissement de l'amour. L'amour est présent sur ta croix, déjà signe de la résurrection
  • Cette parole est vraie aujourd'hui. Pour moi l'annonce de la résurrection est la vie du Christ aujourd'hui
  • La bonne nouvelle est que la résurrection est à atteindre dans notre vie  (amour, pardon...)
  • Je détruis la sagesse des sages
  • La croix est folie parce qu'elle est une bonne nouvelle
  • Plein de vie ...le mystère de la croix
  • La croix est pardon car elle détruit notre prétention à expier. Elle est aussi le sacrifice d'abolition du sacrifice
  • Ce Dieu terriblement humain m'invite à le rencontrer dans le tréfonds  de notre humanité
  • La résurrection se réalise quand on aime jusqu'au bout
  • Ce qui me touche est que la croix n'est pas la mort, le trou noir mais débouche sur la vie. La résurrection, victoire sur la mort et puissance de l'amour
  • L'espérance qu'il nous laisse
  • La chance des chrétiens de connaître le pardon
  • Je détruirai la sagesse des sages,  j'anéantirai l'intelligence des intelligents
  • Etre fier dans le Seigneur, quel programme d'humilité !
  • Dieu est venu s'incarner parmi les faibles, les victimes de l'oppression, les pas malins, et mourir comme eux. C'est ça la bonne nouvelle: le monde à l'envers 
  • La mort de Jésus est  la preuve de l'humanité de Dieu
  • Ce qui n'est pas, Dieu l'a choisi. Accepter nos "non -être", nos déserts où Dieu attend
  • Comme il est difficile de sortir de l'éducation des traditions de rachat, de culpabilité pour vivre son humanité pleinement
  • Jésus est mort pour nous délivrer des choses qui nous enchaînent
  • Folie : Dieu est plus sage que les hommes
  • Ce qui est faible dans le monde, Dieu l'a choisi pour confondre les sages
  • La faiblesse de Dieu plus forte que les hommes
  • Dieu tout puissant d'amour
  • Jésus est allé jusqu'au bout de ses convictions jusqu'à en mourir. La croix est nécessaire à la résurrection

Ainsi se vérifie la vocation d’une célébration de la parole : écouter la parole de l’Écriture, proclamée dans notre assemblée, la commenter, puis la partager entre tous et en faire sa prière. Selon les mots du prophète, la parole qui sort  de la bouche du Seigneur « ne revient pas vers moi sans effet, sans avoir accompli ce que j’ai voulu ». Isaïe 55, 11 

Auteur

CCBF