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Qu’est-ce qui a préparé votre engagement dans l'Église ?
Je suis né le 19 janvier 1938, à Clichy (92), près de Paris. J’ai donc 76 ans. Je suis prêtre depuis 46 ans, ordonné à Versailles en 1968, pour servir dans ce diocèse. Souvent cette question m’a été posée : « Pourquoi êtes-vous devenu prêtre ? » Voici ce que je dis, aujourd’hui, avec le recul des années.
Mes parents, d’origine bretonne (Ille-et-Vilaine), habitaient et travaillaient à Paris, où j’ai été baptisé dans l’église Sainte-Marie des Batignolles. Ne pouvant me garder à cause de leur travail, en 1939 ils m’ont confié à une tante, la marraine de ma mère, qui avait déjà élevé ma mère. Cette tante (52 ans à l'époque) avait été mariée deux fois. Elle n’avait pas eu d’enfant. Son premier mari était mort des suites de la guerre 14-18. Son deuxième mari, dans les années 36-37. Après la mort de ce dernier, elle a dû quitter la petite ferme qu’elle tenait avec son mari et elle est venue habiter à Tinténiac, avec une de ses sœurs qui était « impotente », depuis son enfance. La maison que nous habitions était tout près de l’église. La guerre et l’occupation ont fait que mes parents, restés à Paris, n’ont pu venir me voir qu’en 1943, en vélo…, puis en 1945. Ils m’ont repris avec eux en 1947. J’avais 9 ans.
Pour répondre à votre question… De cette enfance, parmi les souvenirs qui me restent, je retiens : l’école maternelle chez les sœurs, puis en primaire, l’école Saint-Joseph où j’étais enfant de chœur à 7-8 ans. J’ai baigné dans la foi chrétienne durant mon enfance ! Ma seconde maman – car j’avais deux mamans : celle de Paris et celle de Tinténiac, qui travaillait comme « journalière » dans les jardins ou en faisant des lessives et qui s’endormait le soir en disant ses prières –, c’est progressivement que j’ai réalisé combien je lui dois de m’avoir transmis la foi. C’est la première des béatitudes – que ce soit Matthieu et Luc – qui me vient à l’esprit quand je pense à cette femme. Elle est morte en 1975, à 87 ans.
Puis avec mes parents à Paris, en septembre 1947, quel changement ! Ils étaient commerçants : une petite boutique de vins à emporter ou à consommer sur place avec un petit rayon d’épicerie. Étant donné le monde qui y passait chaque jour, j’ai rapidement pris le rythme. Mes parents m’ont inscrit à l’école Saint-Michel, avenue de Saint-Ouen, qui n’était pas loin. J’y suis resté 6 ans, jusqu’en 1953.
C’est à cette époque que j’ai senti l’appel à être prêtre. J’avais 15 ans et la question commençait à me trotter dans la tête. J’étais en seconde et, chaque fin de semaine, le directeur venait dans la classe pour nous remettre le livret scolaire, tout en faisant quelques commentaires. Ce jour-là, il a voulu savoir si nous commencions à réfléchir sur notre avenir, ce que nous aimerions faire plus tard, et il nous a interrogés les uns après les autres. Les premiers interrogés dirent le métier ou l’orientation qu’ils souhaitaient. Pendant qu’ils parlaient, la question qui me trottait revint très vite à ce moment-là, mais il n’était pas question que je le dise, les copains auraient rigolé ! Comme j’étais bon élève en chimie, je dis « ingénieur chimiste », ça faisait plus sérieux ! Quand tout le monde s’est exprimé, le directeur eut ces paroles qui m’ont marqué pour toujours : « Aucun d’entre vous n’a pensé à être prêtre ? Pourtant je suis persuadé que parmi vous certains doivent y penser. » J'ai pris ces paroles pour moi.
Et puis quelques semaines passées, j’en ai parlé à notre aumônier, l’abbé Larcher, puis à ma mère : « Mon gars, tu feras ce que tu voudras », puis à mon père : « Tu iras travailler, ça te changera les idées. » Ça n’a pas traîné. À cette époque, il n’y avait qu’à ouvrir les journaux, les offres d’emplois ne manquaient pas. Je n’ai donc pas terminé l’année scolaire. J’ai été embauché le 6 juin 1953 à Ford SAF à Poissy pour être « garçon de courses » au magasin d’exposition de l’avenue des Champs-Élysées, où je suis resté deux ans, jusqu’en I955, quand l’usine de Poissy est devenue Simca. Durant ces deux ans, l’idée d’être prêtre s’était progressivement éloignée. J’étais bien entouré, l’ambiance était bonne. Je pouvais aller ou chez Simca ou vers la nouvelle société Ford créée pour vendre des voitures importées. En fait, je suis alors rentré dans la compagnie d’Assurances « La Paix », rue Taitbout à Paris. À cette époque, les Banques et Assurances formaient leur personnel. Je travaillais à la « surveillance du portefeuille ». J’y suis resté jusqu’en février 58. C’est à ce moment-là que je suis parti pour accomplir mon service militaire.

Et « l’idée d’être prêtre » alors ?
En fait, c’est entre 18 et 20 ans que l’appel à être prêtre a refait surface. Il y avait deux choses dans ma vie : le travail et la relation avec mes parents, car j’habitais avec eux. En 1953, ils ont changé de commerce. Du vin, ils sont passés à une crèmerie rue Lepic (18e), un quartier très vivant. Je n’étais pas très loin de mon travail. Le soir, après le travail, quand je rentrais, j’aidais les parents, ce que je faisais de bon cœur, surtout que, parmi les clients, il y avait une jeune fille, un peu plus jeune que moi, qui habitait à 50 mètres et venait régulièrement à la boutique. Je m’arrangeais pour la servir. Très vite, je l’ai aimée, mais sans le dire. C’est à ce moment-là que je me suis mis à prier… pour qu’elle n’aille pas vers un autre, et que je lui reste fidèle alors qu’à la compagnie d’Assurances, il y avait de jolies dactylos…
Et c’est lentement, dans cette prière, qu’a refait surface cet appel à être prêtre.
Il y a un autre évènement qui a bouleversé la famille : la naissance d’une petite sœur, Denise. Il est vrai que maman n’avait que 36 ans, elle m’a eu à 17 ans, et avec ma sœur, nous avons 19 ans d’écart. Cette naissance a été accueillie comme un cadeau du ciel. Souvent le soir, en rentrant du travail, j’avais la responsabilité de la petite sœur que j’emmenais dans sa poussette au jardin public. Cet évènement a précipité le retour des parents en Bretagne (fin 1957). Et pendant les quelques mois qui ont précédé mon départ pour le service militaire, j’ai habité chez des amis à Conflans-Sainte-Honorine. J’y ai attendu la convocation de l’armée pour l’École Militaire de Cherchell (près d’Alger) où j’ai été affecté à la compagnie des services. Je ne savais pas ce qui m’attendait là-bas, c’était la guerre. Quelques jours avant de partir, quand je suis allé dire au-revoir aux parents, c’étaient des larmes. Est-ce que j’allais revenir ? Au fond de moi-même, je pensais : « Si Dieu veut que je sois prêtre, Il me fera bien revenir vivant. »
Nous étions une bonne vingtaine à être affectés à la Compagnie des Services de cette école militaire composée de 450 soldats pour l’entretien des véhicules militaires, des locaux, la cuisine, l’infirmerie. Dans un premier temps, il fallait apprendre notre métier de soldat, 4 mois de classe, comme tous les soldats, avant d’être répartis dans les différents services de cette école, qui voyait arriver tous les deux mois environ 400 EOR (Élèves Officiers de Réserve). Pourquoi j’ai été affecté dans cette école ? Je ne sais pas.
Mes différentes affectations ont été le ramassage des ordures, ordonnance du commandant en second de l’École, et surtout planton à la salle de service de la compagnie. Avec le recul, je reconnais que j’ai eu de la chance… Je suis resté 28 mois.

Comment avez-vous vécu cette « affectation » militaire comme vous dites ?
C’était une expérience humaine très particulière. J’ai découvert le fonctionnement d’une école militaire, les relations hiérarchiques. J’allais aussi régulièrement à l’aumônerie catholique. J’ai admiré le travail des deux aumôniers. C’est là que je me suis renseigné pour savoir comment entrer au séminaire, après le service militaire. Comme je n’avais pas le bac, puisque j’avais quitté l’école à quinze ans, il fallait d’abord entrer au séminaire des Vocations Tardives, pour des études niveau du bac (de 1 à 4 ans) avant d’intégrer le Grand Séminaire.

Qu’avez-vous fait alors ?
Depuis le retour des parents en Bretagne, je me suis dit : « Ou bien je m’oriente vers Rennes ou bien vers Paris. » Les dix années vécues à Paris m’ont orienté vers la région parisienne. Donc Montmagny, pour le Séminaire des Vocations Tardives. J’avais profité d’une des permissions militaires pour y aller. Bien accueilli par le supérieur, le Père Legrain, j’ai découvert que ce séminaire dépendait de l’évêché de Versailles, et qu’en Seine-et-Oise j’aurais le choix entre l’urbain et le rural, alors qu’à Paris je n’aurais que de l’urbain. J’ai passé là deux ans d’octobre 60 à 62. Ce séminaire était aussi interdiocésain, c’est-à-dire qu’il y avait des séminaristes originaires de Seine-et-Oise, mais aussi d’autres diocèses (Anger, Bourges, Suisse), des séminaristes de 20 à 40 ans, et venant de milieux sociaux très différents : ruraux – JAC, Jeunesse Agricole Catholique – et ouvriers – JOC, Jeunesse Ouvrière Catholique.
En Octobre 1962, je suis entré au grand séminaire de Versailles, mais au bout de trois mois, sur les conseils du supérieur, j’ai interrompu cette première année pour revenir auprès de ma famille. Mon père était atteint d’une maladie au foie. J’ai donc aidé ma mère dans son travail d’élevage de volailles et vente sur les marchés. J’ai passé 9 mois à la maison, le temps que ma mère puisse s’organiser. Poussé par mon père, dont la santé était de plus en plus difficile, j’ai repris en octobre 63 les études au Séminaire. Papa est décédé début 64. Nous étions près de lui quand il est mort, il ne voulait pas mourir à l’hôpital.
J’ai fait les 5 années du Grand Séminaire, sans interruption et en juin 1968, j’ai été ordonné prêtre pour le diocèse de Versailles par Mgr Louis Simonneaux, et nommé vicaire à Trappes.

Quel a été votre parcours de prêtre alors ?
Les nouveaux départements et diocèses de la région Île-de-France ayant été créés en 65/66, j’ai choisi les Yvelines pour la simple raison que c’est la route en direction de la Bretagne. À la veille de mon ordination, le supérieur du séminaire de Versailles, le Père Groz, m’a demandé où j’aimerais aller, dans quel style de paroisse : les Yvelines – un département et un diocèse – avec une population très diversifiée (que de différences entre Versailles, Trappes, Saint-Germain-en-Laye, Mantes, Les Mureaux… !), et une grande zone rurale. Spontanément j’ai répondu au supérieur : une paroisse de gens simples, étant donné mes origines, que je puisse être à l’aise, comme Trappes par exemple, que je connaissais un peu pour l’avoir traversée souvent pour faire le catéchisme à des enfants d’un orphelinat d’Élancourt. Il fallait justement un vicaire à Trappes. Le problème était réglé.
Trappes, à cette époque, c’est 18 000 habitants, une population très jeune, chaque année plus de 300 baptêmes et 50 enterrements, globalement d’origine métropolitaine, ouvriers-employés. J’y suis resté 5 ans. C’est là que j’ai appris à être prêtre : avec le curé, Yves Aubry, un autre vicaire, Jacques Fournier, handicapé des membres inférieurs, puis un troisième vicaire, Jean Lebossé. Une équipe, oui, mais aussi une communauté chrétienne chaleureuse qui m’a mis tout de suite à l’aise. À cette époque, Yves Aubry était tout entier pour l’Action Catholique. J’ai découvert là ce qu’était l’Action Catholique, surtout la JOC. J’en garde de bons souvenirs. Des moments difficiles, mais notre équipe de prêtres était soudée. À une époque où beaucoup de prêtres quittaient le sacerdoce, on a tenu bon tous les quatre. Avec le recul, aujourd’hui, je me rends compte à quel point, pour nous prêtres, une vie d’équipe est importante, même si parfois il y a quelques heurts ! Tous n’ont pas eu cette chance. Je l’ai eue… en même temps que j’étais soutenu par ma famille de Bretagne que je voyais régulièrement.
Après ces 5 années à Trappes – le début de la Ville Nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines – j’ai commencé aussi à découvrir d’autres besoins dans le diocèse, surtout par un autre prêtre, Jean-Claude Guitel, très attaché au monde rural par ses origines. Je me suis tourné vers cette zone rurale, en surface plus de la moitié du diocèse : des petites communes avec chacune leur église, mais les prêtres volontaires ne se pressaient pas. Jean-Claude, très lié à l’ACE (Action Catholique des Enfants) du diocèse et au CMR (Chrétiens en Monde Rural), a fini par me convaincre. Et c’est avec lui que j’ai basculé dans le monde rural.

Où allez-vous ensuite ?
À Maule : au départ je venais pour aider la branche ouvrière du CMR, le CMRO (Chrétiens en Monde Rural Ouvriers), même approche de l’Évangile que l’ACO (Action Catholique Ouvrière) pour l’urbain, et non pour être affecté à une paroisse. Comment, prêtre au service du CMRO, vivre le plus près possible de ces groupes de chrétiens ? En 1973, la vallée industrielle de la Seine était le grand réservoir pour trouver du travail avec Renault à Flins, Simca à Poissy, avec 20 000 salariés dans chacune de ces deux usines. Beaucoup de ruraux y travaillaient comme dans bien d’autres entreprises. Pour moi, dans un premier temps, où habiter ? Dans un deuxième temps, chercher un travail pour ne pas être une charge au diocèse.
C’est Pierre Augustin qui m’accueillera dans son presbytère de Crespières. Pierre était aussi aumônier du MRJC (Mouvement Rural des Jeunes Chrétiens). Quant au travail, ce sera dans une petite usine de cartonnage tout près de Crespières. Le directeur de cette usine savait que j’étais prêtre, prêtre au travail, comme on disait à l’époque. Je n’y suis resté que quelques mois. Manier des paquets de carton toute la journée avait pour conséquence que, le soir, j’étais trop fatigué pour les réunions. Il me fallait donc un autre type de travail. En janvier 1974, je fus embauché par le CAT (Centre d’Aide au Travail pour handicapés) de Trappes, comme éducateur. À temps plein la première année, à mi-temps la deuxième année, pour me laisser un peu d’énergie pour les réunions du soir.
Le curé de Maule me proposa d’habiter dans une dépendance de son vaste presbytère. Dans les mois qui suivirent, Robert, curé de Maule depuis plus de dix ans, annonça son départ, tandis qu’on me proposait de prendre sa place, alors que je me sentais lié au CAT de Trappes. Jean-Claude Guitel m’encouragea à accepter : il viendrait partager avec moi le presbytère de Maule. Nous travaillerons ensemble, lui dans la journée étant plus libre, et moi le soir. C’est ainsi que nous avons démarré l’année 74-75 : lui, pour les autres branches du CMR, moi, pour le CMRO, et ensemble pour la paroisse de Maule. J’ai donc continué mon travail au CAT.
Cette année-là nous avons eu la visite d’un prêtre de la Mission de France, Bernard Prévost. Après une longue maladie, Bernard cherchait, dans le diocèse des Yvelines, à se rapprocher de sa famille et être intégré dans une équipe de prêtres diocésains. Il est venu quelques jours à Maule avec nous, et notre compagnie lui a plu, il s’est proposé. En accord avec l’évêque, nous sommes devenus 3 prêtres ensemble, habitant le presbytère de Maule. Bernard, ayant en plus la gestion de deux communes proches de Maule : Feucherolles et Davron. C’est Bernard qui m’a appris à être curé !
Et pour terminer, l’année suivante, en 76, un autre prêtre s’est joint à nous, Bernard Cheramy, une vocation issue de la JOC, que j’avais connu à Montmagny. Il était aumônier diocésain pour les malades et handicapés, fondateur des Foulards Rouges, et très proche de la communauté portugaise. Le presbytère pouvait loger les 4 prêtres, chacun ayant une fonction particulière. Avec parfois certaines difficultés, on est resté ensemble 5 ans, jusqu’en 1981.
Je tiens à signaler qu’il y avait, sur notre groupement paroissial, une religieuse, Sœur Jeanne-Marie, qui vivait seule dans l’Ermitage Saint-Léonard, isolé sur les hauteurs de Maule. Elle nous connaissait bien, tous les quatre, et je crois que sa prière et ses conseils ont été efficaces pour nous tenir ensemble malgré nos diversités. Cette sœur ermite était en lien avec les sœurs du Carmel de Bris-sous-forge (91). Elle est restée dans son ermitage plus de 40 ans et y est morte en novembre 2010.

Quelle a été l’étape suivante ?
Magny-en-Vexin. J’ai quitté Maule en 1981, après 8 années. J’avais essayé de concilier service paroissial prenant et accompagnement de quelques équipes CMRO. Je m’en suis rendu compte à Maule : dans une paroisse, il ne suffit pas de mettre en route des laïcs, il faut les soutenir ; je pense à la catéchèse qui prend beaucoup de notre temps. Une proposition d’être aumônier CMR m’a été faite pour une durée de 3 ans, dans la zone rurale du Val d’Oise, pour relancer les quelques équipes existantes et en créer de nouvelles. J’ai accepté. Dégagé de la responsabilité d’une paroisse, je pourrais alors me consacrer totalement à la création et l’accompagnement d’équipes CMR.
La première année fut d’abord une découverte de cette région. Mon lieu d’habitation était le presbytère de Magny-en-Vexin, où résidait le curé Pierre Prosper qui terminait son mandat. Avec lui, j’ai soufflé un peu. J’ai multiplié les relations avec les autres prêtres de cette partie du Val d’Oise, allant voir les familles qui m’étaient indiquées, susceptibles d’être intéressées par la méthode Action Catholique pour vivre leur foi. Mais que de temps passé pour aller d’une famille à l’autre !
Ensuite est arrivé un nouveau curé à Magny : Jean Claude Ponce, que j’avais connu aussi à Montmagny. Très différent de Pierre Prosper. Le secteur pastoral du Vexin Ouest était très étendu. Pour m’insérer davantage, poussé par Jean-Claude, je participais à la pastorale locale des messes dans les villages le dimanche. Mais j’avais du mal à vivre avec Jean-Claude. Nos deux caractères étaient vraiment trop différents. J’ai tenu les deux années qui me restaient à faire, soutenu par Adrien Van Hoof, curé du groupement voisin de Fontenay-Saint-Père. Ces trois années ont été difficiles. Les relations avec les familles que je rencontrais étaient sympathiques, mais n’aboutissaient pas à une équipe. Difficile de mettre ensemble plusieurs familles. Il faut les connaître profondément et cela prend du temps.
Puis je suis revenu dans la zone rurale des Yvelines : le groupement paroissial de Septeuil (13 communes), en prenant la suite d’André Honoré que je connaissais déjà, auquel s’ajoutait le groupement de Maule.

C’est à quelle époque ?
Septeuil, nous sommes en 1984. Au début, nous étions deux. Avec Pierre Augustin, toujours aumônier diocésain pour le MRJC, qui est venu habiter avec moi. Nous nous arrangions pour nous répartir les célébrations liturgiques de messes dominicales, baptêmes, mariages, obsèques. Au niveau des jeunes, j’avais les scolaires, Pierre les lycéens. La présence de Pierre n’a duré que deux ans. Il y avait de plus en plus de difficultés dans le diocèse pour « « boucher les trous ». Il a été envoyé, comme curé, à Saint-Cyr-l’École.
Les six années qui ont suivi, c’était la première fois que je me retrouvais seul. À 48 ans, on s’adapte. J’ai essayé de privilégier les relations avec les prêtres voisins : Guerville surtout où habitait Loïc Belan. Puis, ma mère venait en partageant son temps entre Septeuil où, au presbytère, elle tenait la fonction d’accueil, et la Bretagne.

Que retenez-vous de cette période ?
Ce que je retiens de cette période, c’est l’aide qu’apportaient aux prêtres dispersés de la zone rurale les rencontres régulières que nous avions à Montfort-l’Amaury. La formation biblique avec Marie-Noëlle Thabut par exemple. J’ai essayé de suivre les quelques équipes CMRO de ce secteur des Yvelines, mais l’évangélisation par les mouvements d’Action Catholique commençait à « battre de l’aile », pour nous prêtres, déjà accaparés par toutes les tâches liées à la structure paroissiale, et le fait que nous étions de moins en moins nombreux. Je suis resté 8 années à Septeuil. J’en garde un très bon souvenir et des amis.

Vous sous-entendez donc un départ ?
Oui, en 1992, j’avais donc 54 ans et après ces 19 années en monde rural, l’évêque, Mgr Jean-Charles Thomas, me demande de venir à Trappes, comme curé. Une ville qui était passée à plus de 30 000 habitants, une ville très différente de ce qu’elle était en 1968, la population s’étant renouvelée durant les années 80 au profit des immigrés : magrébins (musulmans), africains noirs (chrétiens et musulmans) surtout. Le vicaire épiscopal me rassure : il y a une bonne équipe pastorale en place, d’autres prêtres y sont présents : Charles, un ancien vicaire épiscopal, Frédéric, un jeune prêtre, et François qui habite en HLM.
Je crois avoir compris, mais ce sera une fois « dedans », le pourquoi de cette demande. Le curé précédent, à Trappes depuis 3 ans, avait une conception de la pastorale différente de celle de certains membres de l’équipe pastorale de12 personnes environ. L’opposition était si forte que le curé, au bord de la dépression, a demandé à partir. J’ai donc essayé de m’adapter.
Les premières réunions que j’ai vécues avec l’équipe pastorale ont consisté à faire un état des lieux. Ce qui se vivait à Trappes, comment travaillait l’équipe pastorale. Une Action Catholique au service de la Paroisse et non l’inverse. Lorsque vous avez devant vous le dimanche à la messe francophone 500 personnes dont les 2/3 sont colorées, que la communauté portugaise est très importante avec sa messe matinale en portugais, il est difficile de privilégier la méthode Action Catholique ! Je pourrais donner d’autres exemples. Je suis donc rentré dans les orientations de l’équipe pastorale en place, et j’ai essayé de faire de mon mieux. Les prêtres qui étaient là, Frédéric qui venait d’être ordonné, l’ancien vicaire épiscopal, et les prêtres qui sont venus ensuite, Philippe et Guy, avaient une formation de base bien supérieure à la mienne. Je crois que l’important était de maintenir l’équilibre, écouter, ce que j’ai essayé de faire.
À cette époque, maman, repartie en Bretagne, est tombée malade d’un cancer. À l’hôpital, le médecin de cette unité, sachant que j’étais prêtre, m’a permis de dire la messe dans sa chambre. Il suffisait de le prévenir pour que nous ne soyons pas dérangés. Nous étions là, ma sœur et moi pour l’entourer. Elle a terminé la messe par un grand signe de croix. Elle est morte quelques jours après (début 94).
Cinq ans à Trappes, que de choses j’ai apprises en fréquentant une population venant d’Afrique, d’Asie dont des Vietnamiens, des Tamouls ! Je crois que c’est durant ces cinq années-là que j’ai le plus appris.

Et pourtant au départ ce n’était pas gagné !
Les tensions avaient disparu. Frédéric était parti à Sartrouville comme curé. Nous étions, Philippe et moi, à peu près du même âge. Philippe avait passé une vingtaine d’années au Brésil, très lié à l’évêque de Recife, Don Elder Camara. Revenu en France après avoir essayé de s’adapter au nouvel évêque de Recife, il s’était senti à l’aise dans cette communauté de Trappes. Vu la jeunesse de la population, nous pensions tous les deux qu’un jeune prêtre serait le bienvenu à Trappes. Étant le plus ancien des deux, et fatigué aussi, je me disais que si l’évêque le voulait, j’irais dans une autre paroisse. C’est ce qui s’est passé. Alain, un jeune prêtre, de bon cœur a accepté de venir à Trappes, et j’ai été envoyé à Carrières-sous-Poissy, une ville de 13 000 habitants, pour un ministère de 9 années (1997 à 2006) : c’est là que je suis resté le plus longtemps. Je me souviens de la présentation de cette ville par Michel, le vicaire épiscopal : les différentes couches de population. Autrefois Carrières était une petite commune de 3000 habitants, beaucoup de maraichers, des petites exploitations où on cultivait des légumes pour les Halles de Paris. Puis à partir des années 50, le développement de la vallée industrielle de la Seine : Ford à Poissy, Renault à Flins, une nouvelle couche de population, ce sont surtout des ouvriers, des immigrés pour des constructions d’immeubles. Enfin, à partir des années 80, l’activité industrielle dans cette partie de la vallée de la Seine diminue. Nous sommes dans l’Ouest de la Région Ile-de-France. Les grandes usines vont s’installer ailleurs. L’urbanisation continue, mais au bénéfice des classes moyennes, d’où les résidences de plus en plus nombreuses.
À Carrières, je prends la suite d’une équipe de prêtres, 3 Fils de la Charité, qui avaient aussi une autre paroisse, sur les hauteurs de Poissy, Saint-Louis de Beauregard. C’est là qu’ils résidaient. Leur départ était programmé. J’avais demandé à l’évêché une année de recyclage à l’Institut Catholique de Paris. Ce qui fut accepté, mais parallèlement, en lien avec l’équipe des Fils de la Charité, encore là un an, j’assurais la charge de curé de Carrières. Avec eux, ça a très bien marché. Je pouvais compter sur eux les jours où j’étais à Paris. Le changement a pu se faire dans de bonnes conditions, un « tuilage » ! Les Fils de la Charité partis, je me trouvais seul prêtre dans ma paroisse, mais entouré d’une bonne équipe de laïcs formés par eux, avec en plus une Association Paroissiale efficace qui avait géré, pendant près de 30 ans, le projet de construction d’une nouvelle église de 500 places à Carrières. L’ancienne église Saint-Joseph, du 17e siècle, ne pouvant accueillir que 120 personnes. Cette nouvelle église Saint-Louis, belle et fonctionnelle, venait d’être inaugurée. Deux églises distantes de 2,5 km l’une de l’autre, à chaque bout de la commune, mais qui étaient finalement complémentaires, malgré les quelques réticences de certains anciens Carriérois restant attachés à leur ancienne église. J’habitais un presbytère communal, une maison ancienne du 17e siècle qui venait d’être restaurée par la commune. J’y ai été bien accueilli et entouré.
Sur le plan pastoral, dans cette partie de la Vallée de la Seine, les communes se touchent ou presque. Elles ont chacune leurs particularités, mais avec les changements actuels de population, ce qui se passe à Carrières-sous-Poissy se passe aussi dans les communes voisines.

Quelles étaient vos missions à Carrière ?
Après Trappes, à Carrières la différence était grande. J’avais le temps de préparer un sermon, rendre visite aux familles. Le fait d’être seul au presbytère m’a obligé à m’organiser pour rencontrer les prêtres voisins. Le midi, je déjeunais rarement chez moi, souvent au presbytère de Poissy. J’ai été aumônier d’une équipe d’ACO et d’une équipe Notre-Dame. À Carrières, c’est surtout le service d’une communauté qui m’a occupé, avec une pastorale « traditionnelle ». J’ai donné, et j’ai reçu beaucoup.

Et ensuite ?
Après ces 9 années, avant l’âge de 75 ans, il me restait 7 années pour être encore utile à mon diocèse. J’ai pensé qu’il était temps de changer. À cause d’ennuis de santé qui devenaient de plus en plus fréquents, 2 opérations de la hanche, j’ai souhaité ne plus être curé, mais simplement vicaire pour aider un curé. Notre évêque, Mgr Éric Aumônier, était d’accord. Et en 2006, après quelques tractations, je suis nommé vicaire au service de l’Ensemble Pastoral de la Vallée de Chevreuse de 2006 à 2013, pour un ensemble de 9 clochers et 3 prêtres pour 18 000 habitants. J’habite le presbytère de Saint-Rémy. Emmanuel, le curé, et Arnaud, un jeune prêtre qui est passé par la fraternité Saint-Pierre, habitent le presbytère de Chevreuse. Arnaud restera 2 ans avec nous. Puis il y aura Vladimir de la communauté Assomptionniste de Saint-Lambert-Des-Bois pendant un an et Nicolas pour 3 ans. Emmanuel est aussi vicaire épiscopal pour 3 doyennés et cette fonction lui prend une bonne partie de son temps.

Quelles étaient alors vos tâches ?
Parmi les nombreuses activités de cet ensemble pastoral, très vivant, j’en revois quelques-unes :
Les messes dominicales sont réparties entre les 3 prêtres. Pour chaque prêtre, environ 2 dimanches sur trois. De même les baptêmes, les mariages, les obsèques sont répartis en fonction de nos disponibilités. Il y a un secrétariat très bien organisé ;
Étant le plus âgé, je suis orienté vers le monde hospitalier (EHPAD) : Hôpital de Chevreuse au Centre de Gérontologie et d’Accueil Spécialisé (CGAS), Résidences pour personnes âgées dépendantes (Saint-Rémy et Chevreuse), Fondation Anne de Gaulle (handicapées – Milon la Chapelle) ;
Aumônier d’une équipe « Foi et Lumière » ;
Aumônier de deux équipes Notre-Dame ;
Prêtre accompagnant l’Éveil à la Foi.
Je participe aussi aux réunions du Conseil pastoral. Les membres de ce conseil (12 à 15 personnes) sont nommés par le curé. Quand il y a des sujets délicats qui doivent être abordés, Emmanuel en parle à ses vicaires avant la réunion. Vicaires, nous sommes donc censés être sur la même longueur d’onde que notre curé. Je ne cache pas que, parfois, j’étais en désaccord sur certaines décisions comme l’agrandissement de l’église Saint-Rémy par exemple, mais je n’en faisais pas un drame. À Emmanuel, je disais mes réticences mais ce qui était le plus important pour moi, c’est la cohésion dans notre équipe de prêtres. Donner ce témoignage à notre communauté.

Que gardez-vous en mémoire de cet engagement ?
Ce que je retiens surtout de ces 7 années dans la vallée de Chevreuse, c’est la relation que j’ai pu avoir avec certains malades à l’« Accueil Spécialisé » de l’hôpital de Chevreuse, atteints de sclérose en plaque, d’accident vasculaire cérébral. J’ai partagé des témoignages de foi qui m’ont bouleversé ; je ne connaissais que superficiellement ce monde-là ; des témoignages qui m’ont aidé dans mon cheminement de foi.
Une deuxième chose. Entre Trappes et Chevreuse, quelle différence ! J’étais dans un autre monde. Un monde populaire et en plus où toutes les nationalités se côtoyaient et ici une zone résidentielle. Il n’y a que 15 kilomètres entre les deux villes. J’ai vraiment découvert qu’au-delà des apparences, il peut aussi y avoir des « gens simples » qui savent spontanément vous mettre à l’aise ; par exemple, la simplicité d’une Séverine de Breteuil. On n’aurait pas dit « une marquise » !
Une de nos richesses, à nous prêtres, c’est la diversité des communautés qui nous accueillent. Je ne me suis pas marié, mais toutes ces communautés qui m’ont accueilli sont autant d’enfants que j’aurais pu avoir et que j’ai aimés. Je n’ai pas visité le Vietnam ni été en Afrique, mais à Trappes, comme à Carrières la rencontre de certaines familles vietnamiennes ou africaines a été comme une porte ouverte qui m’a fait entrevoir un peu ces pays. Et maintenant, je reviens en Bretagne, dans la commune de mon enfance. Après Paris, Versailles, un voyage qui aura duré 45 ans… Je n'ai voulu critiquer personne. Je n'ai donné que les choses qui m'ont aidé à avancer, parce que ça n'a pas toujours été facile. Néanmoins, je ne retiens que les choses qui m'aident à avancer.

Cette interview donne l'occasion aux prêtres de réfléchir, de se faire une petite synthèse de leur vie.
C'est une relecture de ma vie. Je ne prévoyais pas, au point de départ, tout cela…

Au regard de ce cheminement que vous avez bien voulu nous faire partager, qu'est-ce qu'être prêtre selon vous ?
Ce que c'est qu'être prêtre… C'est pour moi ainsi. On reçoit une communauté. Et alors comment on va essayer d'avancer ensemble ? C'est tout. Pour moi, être prêtre, quand on a la fonction de curé surtout, c'est aider une communauté à vivre et à avancer dans la foi. Je n'étais pas le chef. Je m'en suis bien rendu compte quand j'étais à Trappes, la deuxième fois. Parce que les autres qui étaient avec moi auraient pu être curé aussi, mais ça dépend de ce sur quoi ils sont branchés. Moi, mon rôle a consisté à faire l'équilibre. Vivre ensemble, avec nos différences.

Vous découvrez une communauté avec qui vous allez vivre pendant 3 à 5 ans et puis ensuite une autre communauté chrétienne. Et la communauté va découvrir un autre prêtre avec une autre façon de faire, une autre approche : c’est à chaque fois un couple à redécouvrir.
Tout à fait d'accord. À la fin, je fais la comparaison, ces différentes communautés, autant d'enfants. On a besoin, nous aussi, d'aimer. Le prêtre n’a pas sa propre famille. Ma maman et ma sœur sont les liens les plus permanents ; j’ai eu beaucoup d’amour de ce côté-là, mais j’ai reçu beaucoup dans les différentes communautés où je suis passé. J’ai gardé beaucoup de liens avec des familles dans les différentes paroisses. Précédemment, j’ai été tout seul à Carrières, je m’arrangeais pour avoir des relations avec les autres prêtres, le curé de Chanteloup par exemple : j’y mangeais une fois par semaine et deux fois à Poissy ; il y avait aussi le prêtre qui était sur la péniche de Conflans-Sainte-Honorine. C'est important d'avoir des relations avec d'autres prêtres, ne serait-ce que pour dire les bons moments qu'on a vécus dans notre paroisse et en même temps les difficultés. On a besoin de partager certaines choses.

Et qu’a représenté pour vous Vatican II ?
J’ai eu la chance de vivre cette période de l’histoire : à la fois Vatican II et être au séminaire de Versailles. À chaque nouveau document, on avait le commentaire et l’Église progressait. C’est comme si on ouvrait une fenêtre pour avoir de l’air frais. Quand on relit les textes de Vatican II, ça ne se lit pas comme un roman ; il faut s’accrocher quand même ! Par contre, j’ai eu beaucoup de plaisir à lire « La bataille du Vatican » !

Et est-ce que vous n’avez pas l'impression, un peu, que Vatican II est tombé dans les oubliettes ?
Non, non. De toute façon, la mer avance, puis elle recule. Non, le concile Vatican II était indispensable. On n'abandonne pas les deux fondements de notre foi chrétienne, l'incarnation et la rédemption. Mais comment les traduire, avec nos mots d'aujourd'hui, pour que notre foi soit compréhensible ? Bien sûr, Dieu est infiniment plus grand que nous. C'est pour cela que c'est difficile quelquefois d'aborder ça.

Que pensez-vous de l’évolution actuelle de la société ?
Ce qui a changé le plus dans la société, c’est la rapidité de la communication grâce à l’informatique et puis à Internet. Au début, quand j’étais prêtre, j’étais très partant pour un certain nombre d’outils ; au niveau du catéchisme, j’utilisais beaucoup les méthodes de projection, de diapos, même des fondus enchaînés pour que le catéchisme des enfants soit attrayant. À partir des années 80-90, j’ai été un peu distancé. Quand je suis arrivé dans les paroisses, spontanément, les gens m’ont dit, au niveau de tout ce qui était informatique : « Ne vous inquiétez pas monsieur le curé, on s’en charge. » Je ne me suis pas mis à étudier l’informatique. C’est quand je suis arrivé à Chevreuse, alors que j’avais déjà 68 ans, qu’il a fallu que je m’achète un ordinateur : il fallait que l’on puisse me joindre tout de suite, s’il y avait un enterrement à faire par exemple.

Enfin quelle est votre vision pour l’avenir ?
Je ne suis pas négatif. Moi, je crois que, ce qui est au cœur de l’humanité et au cœur de chaque être humain, c’est quand même la foi : on est fait pour aimer et pour être aimé. Parce que quand on se sera heurté à des murs… Quand on se heurte à un mur, qu'est-ce qu'on fait ? On le contourne. Pour le contourner, ça peut prendre un siècle. C'est tout. Mais je garde mon espérance, cette espérance-là, que c'est l'amour qui aura le dernier mot. C’est la fidélité à Dieu qui nous apprend à aimer et fidélité à ceux qui nous ont aidés à avancer sur le chemin.