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Nous sommes à Portsall, un magnifique port breton typique, au nord du Finistère, dans une salle où l’on a une vue sur la mer absolument splendide. J'ai en face de moi Jakez Le Roy, Jakez qui veut dire Jacques en breton.

Jakez, est-ce que tu peux nous raconter le début de ta vie et pourquoi tu es installé ici ?
Je ne suis pas natif de Portsall. Portsall est une paroisse de la commune de Ploudalmézeau. Je suis originaire d'un petit peu plus haut, de Plouguerneau à une vingtaine de kilomètres. J'ai actuellement 78 ans. À Plouguerneau, je suis né dans une ferme. Je suis d'origine rurale, absolument rurale.
Malgré tout, à Plouguerneau, il y a une paroisse maritime, qui s'appelle Lilla-Plouguerneau et une autre, qui est rurale, Le Grouanec.
Pour la petite histoire, le jour de ma naissance, on arrachait le lin à la ferme ; si bien que je me plais à raconter que je n'ai été trouvé ni dans une rose, ni dans un choux, mais parmi le lin. C'est peut-être la raison pour laquelle j'aime les vêtements de lin.
Également, comme origine, je suis le neuvième enfant, et le seul garçon, d'une fratrie de 10 enfants. Pour la suite, c'est peut-être intéressant de le savoir, c'est sans doute là que se trouve l'origine de ma vocation sacerdotale : ras le bol des filles ! Je me suis fait curé !
Tu rigoles, mais 9 frangines, eh bien, faut le faire ! Le faire, c'est plutôt se situer avec. Étant l'avant-dernier, il y a des frangines que je n'ai pas tellement connues à la maison. Elles étaient déjà en pension, en situation scolaire.

Et ton père, il faisait quoi ?
La ferme ! C'est un paysan, propriétaire d'une petite ferme de 10 hectares. Également, ce n'est pas la possibilité de grandes richesses. C'était un petit paysan.

Il me semble que tu m'as dit, il n'y a pas longtemps, que tu parlais breton dans ta famille.
En effet, la langue première de mes parents fut certainement le breton. Pour moi, c'était le bilinguisme, le breton et le français. Les frangines aînées parlaient le breton. Ensuite le français a pris le pas sur le breton. Quant à moi, mes parents m'ont parlé pas mal le breton. Pour une fille, ce n'était pas joli, joli ; ce n'était pas « chic » de parler breton. Mais pour les garçons, on a parlé breton, parce que ça devait être la langue de la foire, la langue du marché, la langue des échanges. Primitivement, j'étais sans doute destiné à prendre la suite de la ferme. Je pense que, dans la mentalité des parents, c'était un peu ça.
Si bien que je dis que ma langue maternelle fut le breton. Ceci m'a valu, il y a un mois de ça, le premier dimanche d’août, pour la quatrième fois consécutive, d'être invité à célébrer la messe bretonne en pays bigouden, à la chapelle Notre-Dame de Tréminou sur la paroisse de Plomeur, proche de Pont-l’Abbé. J'ai essayé de le faire de mon mieux. Et les bigoudens, je suppose, en sont satisfaits, parce qu'ils me le redemandent.

Il y avait encore suffisamment de gens dans l'assemblée ?
Il y avait dans les 300 personnes. La chapelle est assez grande pour contenir 300 ou 350. Elle était pleine et ça participait fort bien. Le problème, c'est que mon breton n'est pas exactement le même que le leur, si bien que, pour la célébration, je leur donne une copie de l'homélie français d'un côté, breton de l'autre. Donc ils peuvent suivre à peu près comme il faut.
Comme origine un petit peu plus sérieuse de la vocation, je me trouve issu d'une famille très chrétienne, pratiquante absolue, comme on l'était à Plouguerneau en ce temps-là. J’ai été ordonné prêtre en 1964.
Plouguerneau était pratiquant – pratiquant conventionnel, traditionnel sociologiquement – très majoritaire, disons à 99,7 ou 99,8 %. Et comme jeune prêtre en 1964, je suis désigné pour la paroisse de Saint-Guénolé- Penmarc'h, où la pratique est déjà réduite à 25-30 %. Alors rien qu'en pratique religieuse, c'est une différence énorme.
D'autre part, au séminaire, on nous disait : « Vous arriverez dans une commune, dans une paroisse où vous serez considéré comme une personnalité, un personnage, au même titre que Monsieur le Maire, Monsieur le Directeur de l'école, le Docteur... » À St-Guénolé, ce n'était pas du tout la même chose. C'était le personnage presqu'à peine fréquentable. On lui faisait facilement le bras d'honneur sur le quai, plutôt que d'être accepté.

Il me semble que St-Guénolé, d'après le nom des rues, est quand même assez marqué à gauche. Il y a les conserveries de poisson. Est-ce que ça jouait ça ? Vis-à-vis de l'environnement du Finistère, St-Guénolé est un peu typé.
C'est propre aux ports du Sud Finistère où, depuis la libération, du fait d’un monde ouvrier, c'était majoritairement des communes à municipalités communistes. Et je l'ai vécu de cette façon-là. Je croyais vraiment arriver dans la banlieue de Moscou. Si vous connaissez l'histoire de ce joli film de Fernandel, on s'appelait Pepone et Camillo !
Le recteur – c'est bon de le savoir également, c'est le terme employé pour désigner le curé de la paroisse – c'est le curé breton, celui qui commande, celui qui dirige. Et ça colle très bien au personnage du curé. J'ai dit à mon recteur, au mois de juin 65 : « Je vais à la kermesse. » C’était un dimanche après-midi. Et lui me dit :
« Mais il n'y a pas de kermesse !
- Mais si, je vous dis que je vais à la kermesse.
- Il n'y a pas de kermesse !
- Mais si, je vous dis que je vais à la kermesse. Comment, vous ne le savez pas ?
- Laquelle ?
- Bien, la kermesse de l'école publique !
- Il n'y a jamais eu de curé !
- Et bien, désormais, on ne pourra plus le dire, puisque j'y vais !
- Vivement que tu reviennes pour me donner des nouvelles ! »
Ça a été la surprise, bien sûr, dans la cour et le premier à venir m'accueillir :
« Salut Pepone !
- Salut Camillo ! Tu viens à ma kermesse, Camillo ?
- Eh bien tu vois, Pepone, j'y viens. Moi, je suis un homme libre.
- Qu'est-ce que tu veux dire, Camillo, que je ne suis pas un homme libre ?
- Eh bien, Pepone, je t'invite à ma kermesse. Elle a lieu dans un mois. Je t'invite à la kermesse de la paroisse. Mais si on t'y voit, t'auras ton sac de ton parti.
- Comment ça ? J'irai, Camillo, j'irai. Bon, en attendant, viens prendre un coup ! »
Plus d'un mois plus tard, sur les quais, devant moult témoins, je l'interpelle :
« Pepone, Pepone, Pepone !
- Qu'est-ce qu'il y a, Camillo ?
- Tu n'es pas un homme libre ! »
Voilà la petite histoire.
Par ailleurs, sur les quais de St-Guénolé, des groupes de 4, 5, 6 marins. Plein de zèle pastoral, je vais à la rencontre. Et l'un ou l'autre soufflait à leurs collègues, à leurs « camarades » : « Le curé, le curé ! » –  « Salut, salut, salut » et aucun ne reste causer. Le groupe s'effrite.
Également un autre signe de ce malaise, et toujours dans le désir de rencontrer, puisque c'était normalement un travail pastoral, la rencontre, de faire connaissance, je descends à bord d'un côtier – les bateaux qui partent le matin et qui rentrent le soir – : « Bonjour, salut », quelques petits mots. La conversation est difficile. Et je ne suis pas encore remonté sur les quais que le mécano est en train de laver le pont, après moi, à grande eau ! C'est arrivé quelques fois. Je me demandais ce que ça voulait dire, si ça avait quelque chose à voir avec mon passage. Mais bon. Sans doute c'était le… en breton, on dit ça : un « empêche », quelque chose qui empêche que ça marche bien. Qu'est-ce qui va bien nous arriver, puisque le curé a été à bord ? Quelques relents de superstition !

T'étais habillé comment, là, dans les années 60 ? En soutane ?
Non, non, non. La soutane a été remplacée par la tenue civile en 62.

Donc toi, tu étais en civil !
J'étais en civil. J'étais habillé en homme. De même, quand je suis arrivé en 64 à St-Guénolé, je n'étais pas préparé du tout, du tout, du tout, à rencontrer ou à exercer un ministère en milieu maritime. Je ne connaissais strictement rien du langage maritime. Je ne savais pas, par exemple, ce qu'était un « boutt ».
J'avais la chance d'être encore aux premiers mois, premières années de sacerdoce. J'étais plein de zèle pastoral. Si bien que je m'efforçais vraiment de provoquer les contacts, vivre les rencontres. Pas seulement l'église les week-ends, mais également, après l'église : il y avait la « chapelle », c'est-à-dire les bistrots. C'était régulier, après la messe, j'allais visiter les autres personnes qui ne venaient pas à l'église. Ils ne viennent pas, donc moi je dois aller… J'allais les rencontrer au bistrot, Et il y en avait pas mal en ce temps-là ! Eh bien là, c'était une ambiance autre. C'était très sympa. L’église aussi, mais très différent !

D'ailleurs c'est un dimanche après la messe – ceci, c'est un fait qui date de 69 – la criée venait de s'ouvrir, la criée pour la vente de la pêche des chalutiers qui partaient pour 15 jours, les hauturiers. Et fin 69, le directeur de la criée se plaignait, là, dans son groupe avec qui il buvait le coup, des difficultés de trouver du personnel comme dockers. Je traînais mes oreilles, si bien que je me suis adressé à Maurice en lui disant :
« Tu ne demandes pas à ceux qui sont vraiment disponibles la nuit.
- Ah bon, tu serais d'accord ?
- Ben oui, je serais d'accord de te rendre service, si c'est nécessaire, pour débarquer…
- Bon, OK. »
Et dans la semaine, j'ai eu un coup de téléphone de la criée : « Bon, tu viens voir au tableau, tu es inscrit, viens voir avec quel bateau. »
Et donc j'ai constaté le jour, l'heure : 23 heures, pour débarquer tel bateau et comme poste, le poste de treuilliste (désigne la personne qui manœuvre un treuil) ; ça se dit en monde maritime et ailleurs aussi. Ah ! Ça, c'est autre chose ! J'arrive à 23 heures. Les ouvriers, les autres dockers, les femmes, les trieuses arrivent à minuit. Le treuilliste arrive à 23 heures, pour commencer de débarquer les poissons, pour que les femmes aient déjà du poisson sur les tables pour commencer le boulot aussitôt arrivées.
À 23 heures, l'équipage est très étonné de constater que c'était le curé qui se trouvait au treuil. Ils n'étaient pas heureux du tout ! « À quelle heure on va finir demain matin ? Y'a pas idée ! Ça n'va pas dans la tête de Maurice, le directeur ! » Et puis de plus, en effet, je ne savais pas tout à fait manœuvrer la machine. J'ai dû aller demander au chef docker : « Viens donc me montrer comment ça fonctionne. » Si bien que l'équipage se positionne plus fermement : « Tu vois, il ne sait pas faire, il ne saura pas faire ! » Je me disais que si j'ai accepté, c'est que normalement je me considère assez apte à le faire. Si bien que le chef docker est resté 20 minutes, une demi-heure, et puis voilà, ça fonctionnait pas mal du tout.
Au bout de 2 heures, 2 heures et demie, je me suis permis de faire un saut sur le pont du bateau et d’interpeller les 2 marins qui étaient dans la cale : « Oh là-bas en bas, peut-être qu'il faudrait travailler plus vite. Les caisses n'arrivent pas assez vite sur le quai et les femmes manquent de poisson ! » Et, fin de l'histoire, nous avons terminé les premiers !
Voilà. Et ensuite je me trouvais assez régulièrement comme docker occasionnel treuilliste.

Mais qu'est-ce qu'il en pensait, ton cher recteur ?
Mon cher recteur était tout à fait d'accord, celui de ce temps-là. D'autant plus, qu’avec son accord, j'ai suggéré au directeur de la criée que j'avais 2 collègues qui auraient été aptes également à faire docker. Et le directeur, tout à fait content et heureux, les a appelés. Si bien qu'on s'est trouvé 3 curés comme dockers, sous criée, les mêmes nuits. Et là, ce n'était plus le vicaire, le jeune vicaire qui faisait à sa tête, mais c'était un bon témoignage. Les prêtres se trouvaient ensemble, à rendre service au monde maritime.
Précédemment, lors du lancement d'un bateau, construit au chantier naval de St-Guénolé, le jour du lancement – bénédiction –, il y a le patron qui m'interpelle et dit :
« Tiens, Jakez, tu serais d'accord de nous accompagner ? Tu serais d'accord de venir faire une marée ?
J'avais dû faire quelques journées, quelques heures par-ci par-là, pour voir si j'avais le pied marin. Si bien que j'ai répondu à Robert :
« Pourquoi pas, pourquoi pas.
- Bon alors, à l'été prochain !
- OK. »
Ceci, c'était au mois de juillet 67. Je suis parti pour un mois, pour une marée à la pêche au thon, dans le golfe de Gascogne. On pêche poisson par poisson, à la ligne traînante. J'te dis pas les p'tites mains de curé ! Alors ils m'ont appris à tirer les lignes en faisant la route. Ils ont accroché une casserole au bout de la ligne :: allez, vas-y, tire… Et en plus, en y allant, vraiment inconscient, « Qui est de quart ? » Et l'équipage, d'un seul cœur :
« Ben c'est Jakez ! Bon, allez, à la barre ! Vert, tout est clair ! Rouge, rien ne bouge !
- Qu'est-ce que ça veut dire tout ça ?
- Vert, le navire arrive à bâbord, tu vas tout droit. Rouge, le navire arrive sur tribord : c’est comme sur la route, priorité à droite ; tu le laisses passer !
- Merci pour ce rapide cours de droit maritime. »
Bon, j'ai fait mes 2 heures de quart. J’ai pas été sur le point de dormir.
C'est à partir de 67, à partir de cette marée-là, que j'ai été adopté dans le pays de Saint-Guénolé, dans le pays de Penmarc'h. Voilà, c'est quelqu'un qui en veut. Mais Pepone n'était plus là. Il avait été changé entre temps. Le maire, c'était un entrepreneur.
L'histoire de Pepone, pendant qu'on y est : un accident, ça devait être en 71. C'est le recteur, qui a commencé également comme docker, Auguste, qui venait d'arriver. Un coup de téléphone de la gendarmerie de Plozevet. C'est lui qui a répondu au téléphone à 2 heures du matin. « Un accident, 2 morts et 3 jeunes marins à l'hôpital. Vous voudriez bien prévenir les familles ? Voici les adresses. » Et comme le recteur venait d'arriver, il ne connaissait pas les adresses, il ne connaissait personne. Si bien qu'il me réveille et me demande si je veux bien faire les visites. OK. Je connaissais.
Alors la première maison, le fils d'un patron pêcheur côtier, je rentre par la porte du sous-sol. Il y avait le gros chien, qui ne réagit pas. J'ai dû frapper sur les portes, sur les cloisons. Le chien ne réagissait toujours pas, Si bien que j'ai dû insister, en attendant que le père de famille descende. Quand il me voit, il me reconnaît et, au bout de quelques secondes, sa réaction fut celle-ci : « Il n'est pas mort, au moins ? » Et comme je ne disais rien, il a compris.
Quant à moi, j'ai compris que, pour continuer tout seul les visites successives, j'aurais eu du mal. Si bien que j'ai été faire le branle-bas au maire de la commune, à Josse, et on a fait les 4 autres maisons, tous les deux.
L'un des hospitalisés, que je vais visiter à l'hôpital de Pont-l'Abbé, dans la semaine, était un marin de commerce. Et le dimanche, après avoir été à la « chapelle », je rencontre son père sur les quais, un patron pêcheur du large. Et il m'interpelle : « Oh, Jakez, emmène-moi à la maison. On aura notre Ricard et puis tu verras Richard. Il est rentré hier soir. » Bon, on passe à la maison. Je rencontre Richard. Très bien. Le lendemain matin, au presbytère, Pepone, l’ex maire, mon camarade Pepone, arrive au presbytère pour chercher la croix d’obsèques.
« Je viens chercher la croix.
- Pour les obsèques de qui ?
- De Richard ! »
Richard que j'avais vu la veille. Hospitalisé dimanche soir, il décède dans la nuit. Et Pepone, tout de suite prévenu, arrive à la maison pour organiser les obsèques civiles ; il se croyait habilité car la maman de Richard, contremaîtresse en conserverie, portait le drapeau rouge lors des manifestations ouvrières. Et le père de Richard de lui dire :
« Eh bien, Thomas, tu vas au presbytère chercher la croix ou tu n'as rien à faire ici !
- Mais quand même, il n'y a pas besoin de croix, je sais faire. Il n'y a besoin ni de croix, ni de curé !
- Tu vas au presbytère chercher la croix ! »
Je l’accueillais le mieux possible :
« C'est bien de rendre service.
- Il n’est pas interdit à un communiste de rendre service, que je sache !
- Tu fais honneur à ton maître ; car le premier communiste, n’est-ce pas Jésus-Christ !
- Camillo, je n’ai pas de maître. »
Donc il le faisait de bon cœur et en toute bonne conscience et je crois bien, qu'avant qu'il ne quitte, j'ai dû lui dire : « Pepone, tarde pas trop en route, elle va te donner des démangeaisons ! »

Je n'ai pas compris, Jakez. L'accident, c'est un accident de voiture ? Pas en mer ?
Non, un accident de voiture.

Tu es resté longtemps à Saint-Guénolé ?
J'ai fait 12 ans à St-Guénolé.

Et c'est là que tu avais raconté l'histoire des coiffes !
Une bonne évolution pendant les 12 années. Quand je suis arrivé, la pratique religieuse tournait autour des 25%. Il y avait les femmes, les bigoudènes, à l'église, une bonne centaine, donc avec leurs coiffes. La coiffe bigoudène, c'est un cylindre de dentelle blanche brodée, au-dessus de la tête, de 50 cm de hauteur, diamètre de 20 cm à peu près, si bien qu'au moment de la consécration, quand je voyais ces coiffes orientées vers moi, ça me faisait penser à des canons orientés vers moi ! Même j'étais tenté de lever les bras !

L'évolution, donc. Une marée de thon et ensuite je me disais : c'est une expérience à continuer, étant donné qu'après cette marée, l'évêque, qui avait un faible pour le monde maritime, m'avait demandé un compte-rendu. Puis il m'avait suggéré de continuer cette manière de fréquenter les marins en allant en mer plus souvent si je pouvais. Donc, en 68, j'ai fait une marée de 15 jours, en 69 une autre marée sur des chalutiers. Une marée à l'année, je me disais que ça allait et chaque fois l'évêque demandait des nouvelles. Il y avait également le collègue du Guilvinec qui le faisait. À nous deux, on faisait notre compte-rendu à Mgr Fauvel. Si bien que les autres prêtres du canton, quand ils nous voyaient fréquenter notre évêque dans ce but-là, ils ne pouvaient pas non plus être contre, au contraire. Ainsi nous étions poussés, encouragés dans ce sens. Et de plus, docker occasionnel à partir de fin 69.
Puis est arrivé un coup de fil du directeur de la glacière, me demandant de trouver un saisonnier comme chauffeur-livreur, pour livrer la glace aux bateaux pendant l'été. Au presbytère logeait un frère de St-Gabriel qui conduisait le car scolaire. Je lui ai demandé, puisqu'il était responsable de la section « routiers » à l'école de Pont-l'Abbé : « Est-ce qu'il y aurait possibilité d'avoir un stagiaire saisonnier ? » Il a rigolé, en disant : « Non mais oh ! Les routiers sortant de chez nous ont leur place définitive. » J'ai répondu au directeur de la glacière qui a réagi : « Bon, je demanderai plus tôt l'année prochaine. »
Alors l'année d'après, j'ai redemandé au frère et même réponse. Mais la mienne a été différente. Ce que j'ai répondu au directeur de la glacière :
« Oui, oui, il y a un volontaire, mais ce n'est pas un tout jeune, hein !
- Ah bon, mais c'est très bien alors si t'as trouvé. C'est qui ?
- Eh bien, c'est moi !
- Comment ça, c'est toi ? Est-ce que tu peux ? Est-ce que tu as ce qu'il faut ?
- Ben, tu me vois conduire le car scolaire, alors, qui peut le plus peut le moins. Bien sûr que je dispose du "poids lourd".
- C'est OK. Très bien. Est-ce que tu peux commencer dès le mois de juin ?
- Bien, parfait. »
Donc, quand il y avait presse, j'allais au boulot. Et je l'ai fait pendant 4 ans, la saison à la glacière, pour livrer la glace aux bateaux.

Les sardiniers ?
Les hauturiers. Non, les sardiniers ne prenaient pas de glace à ce moment-là. Un thonier embarquait entre 15 et 20 tonnes de glace. Un chalutier, c'était 10 – 12 tonnes.

Et physiquement, ce n'était pas trop difficile ?
Eh bien, physiquement ? C'était secondaire, le coté physique, parce que c'était formidable comme place pastorale, de rencontrer tout ce monde. Oui, c'était assez dur. Les camions n'avaient pas encore de direction assistée, si bien qu'il fallait vraiment tirer sur le volant. Et même, j'allais jusqu'à Audierne. La petite glacière d'Audierne, en capacité, ne pouvait pas fournir les thoniers pendant l'été.
Si bien que, lorsque la glacière a été dédoublée – le gendre du patron a construit une glacière annexe, une glacière neuve –, je me suis dit qu'il pouvait y avoir des emplois. Après discussion avec l'évêque et avec les collègues prêtres, j'ai posé ma candidature pour être chauffeur à temps plein. Et c'est ainsi que je suis devenu prêtre-ouvrier, à la glacière. Comme travail, ça consistait à livrer la glace aux bateaux. Et, cette même année, à Loctudy, mon collègue vicaire avait souhaité également se mettre au boulot, ce qui fut accepté. Et en même temps, l'évêque et les prêtres du secteur étant d'accord, il travaillait chez un transporteur de Quimper, mais sur les magasins de marée du pays bigouden. Il passait dans les magasins le matin pour demander quel tonnage ils avaient à confier au transporteur. Et l'après-midi, il passait avec les camions pour charger les caisses de poisson. Et le soir, nous cohabitions, au manoir de Kérity. Nous habitions le presbytère de Kérity-Penmarc’h, à ce moment-là, avec le recteur de Kérity.

Mais alors, cette activité de prêtre-ouvrier, par rapport aux décisions qui ont été prises par le Vatican ?
Le Vatican avait stoppé cette expérience au mois de mars 54. À tort ou à raison, sans doute à raison mais peut-être pas à 100%, cette expérience des prêtres au travail a été stoppée. Elle a été reconsidérée au concile Vatican II et réintroduite en octobre 65. Donc on était absolument dans les clous. En ce moment-là, la question des emplois ne se posait pas et le nombre de prêtres pour la pastorale ordinaire était largement suffisant !

Et tu as fait ça longtemps ? Parce qu'après, tu as été prêtre ailleurs.
Oui, je suis resté là comme chauffeur jusqu'en 76 ; donc je l'ai fait pendant 4 années seulement, à temps plein, jusqu'à des ennuis de santé. Étant donné la difficulté, la dureté du travail, j'ai contracté une hernie discale, qui a été opérée en 73, la première. Ça ne s'est pas trop mal passé, mais j'avais des problèmes pour conduire ces camions-là. Si bien que j'ai dû stopper.
Entre temps, encore un petit fait, parce que ça m'a servi pour la suite de mon ministère : pendant l'été, à la glacière, pendant les congés du contremaître, le patron n'a pas trouvé mieux que de me demander de remplacer le contremaître, pour mener l'équipe, que ce soit pour la livraison ou la fabrique de la glace. Et du jour au lendemain, les collègues chauffeurs se comportaient à mon égard comme à l'égard du contremaître. Ils me prenaient pour le patron.
Si bien que je n'ai pas accepté cette manière d'agir, ni de se comporter. Je leur ai dit : « Vous connaissez le travail ; vous faites le travail. Il y a une commande ? Voilà, vous décidez qui va livrer, qui le fait, vous décidez. Ce n'est pas la peine de monter 4 étages, quand je suis autour des moteurs là-haut, pour venir me demander quel camion il faut prendre et à quelle heure. Vous faites. » Parce que je n'allais quand même pas profiter de cette position pour diriger, pour commander, pour prendre le pouvoir, alors qu'après ce mois de responsabilité, je redevenais leur collègue. Aussi, au bout de 48 heures, l'ambiance est changée totalement. Tout le monde était heureux, très heureux d'arriver au boulot, tout à fait détendu. Et le boulot était encore mieux fait qu'auparavant.

Parce qu'ils s'organisaient eux-mêmes.
Voilà. Tout le monde était heureux et tout le monde faisait son travail. Et ça se passait très bien. Et ça m'a servi à situer les questions de pouvoir pour la suite. Même quand j'ai été recteur, je savais encore en quoi ça consistait. C'était plutôt d'être au service de…

Ah, le pouvoir, le pouvoir !
Quand ça nous prend !
Donc en 76, après discussion avec l'évêque, j'ai eu une nouvelle affectation. Comme prêtre-ouvrier, j'étais déchargé du ministère ordinaire. J’avais gardé l'aumônerie de la JOC (Jeunesse Ouvrière Catholique) et de la JMC (Jeunesse Maritime Catholique) – puisque ce temps-là, les années 60-80, c'était vraiment l'époque de l'Action Catholique, c'était en plein – et puis quelques célébrations ponctuelles : un mariage, un baptême de temps en temps, lorsqu'on me le demandait expressément. Et donc là, on m'a suggéré de devenir aumônier des gens de mer, comme je faisais partie de la Mission de la Mer et non de la Mission Ouvrière.

Mais alors, à un échelon géographique plus grand ?
Là, c'était Douarnenez et le Cap Sizun, jusqu’à l’Île de Sein. C'était mon rayon d'action. L'aumônerie des gens de mer, la JMC et l'ACOM (Action Catholique Ouvrière Maritime), sur le secteur, là-bas, pendant 8 ans. Et alors également déchargé du service ordinaire de la paroisse, uniquement aumônerie maritime.
Suite à quoi, j'ai été affecté à Brest, le nord Finistère, pour, également, le monde maritime adulte.

Mais toujours la pêche ?
Pêche et commerce.

Commerce, c'est autre chose. Il y a beaucoup plus d'étrangers qui passent.
Oui, mais c'était plutôt pour les marins du coin. Je l'ai fait 2 ou 3 fois avec le collègue de Concarneau. On visitait, on notait les embarquements des copains, des militants entre autres. On savait sur quels bateaux ils naviguaient et on allait les rencontrer dans les grands ports : Rouen, Boulogne, Dunkerque, jusqu'à Anvers.
Et entre autres à Rouen, avec mon collègue, actuellement curé du Guilvinec, Fanch, on se trouvait à bord d'un bateau de l'UIM, je crois bien que c'était "L’Ondine", et on allait voir un copain de Douarnenez, lorsqu'on entend des bruits de verres dans un carré. Eh bien voilà, on se réunit vite fait. On était une bonne dizaine, le copain de Douarnenez, Fanch et moi, plus 7 ou 8 marins, l'équipage du bateau. Ça discutait, ça discutait de tout et de rien, la vie du bord, les nouvelles des familles. Et puis mon voisin me demande :
« Tu navigues, à bord duquel tu es là ?
- Non, moi je ne navigue pas !
- Pardon ?
- Je ne navigue pas.
- Quel syndicat tu représentes ?
- Pas plus de syndicat que de compagnie !
- Tiens ! Mais tu connais nos métiers !
- Ben oui, avec Fanch, on est à l'aise. Tous les deux, on fait le même métier.
- Ben oui, vous connaissez notre métier. Qu'est-ce que vous faites alors ?
- Eh bien devine ! »
Oh là, là, tous les métiers y sont passés. Et puis : « Nom de Dieu, nom de Dieu, nom de Dieu ! Ce n'est pas vrai ! Nom de Dieu ! Vous n'êtes pas curés quand même ! »
Ah ben, il était temps qu'on y arrive ! Mon voisin me regardait :
« Non, ce n'est pas vrai. Pas possible ! Non, non, non, non ! Pas possible !
- Et pourquoi ce n'est pas possible ? Quel avantage aurait-on de dire qu'on est curés si on ne l'est pas ?
- Non, non, ce n'est pas possible !
- Et bien dis-nous pourquoi ce n'est pas possible.
- Ben chez moi, quand je croise le curé sur la rue, il change de trottoir. Et vous, vous êtes là avec nous, à causer de toute notre vie ? Mon curé change de trottoir. Ce n'est pas possible ! »
Bien je t'assure, que ça a discuté après, quand on est parti. Voilà, on a fait des visites comme ça. On allait à bord des bateaux. On était invités à casser la croute. C'était l’événement du bord, la visite de 2 curés, 2 aumôniers, causant de leur vie, l'un des leurs. C'était l’événement du jour.

Et les bateaux faisaient du cabotage alors, entre Rouen et …
Non, non. C'était de l'international. À ce moment-là, les marins embarquaient pour 7-8 mois. Tout plein de rencontres de cette manière-là, comme aumônier des gens de mer. Suite à ce temps-là passé sur Brest et la région nord, à 52 ans, ce n'était pas trop tôt, donc en 90, je suis nommé recteur de la paroisse de Gouesnou, donc la banlieue de Brest.

Tu n'avais jamais fait, ça, en fait !
Non, je n'avais jamais été curé responsable de paroisse, mais bon, le boulot, je connaissais quand même un peu, quoi ! Mais c'était très différent. Et le fait d'avoir été prêtre-ouvrier, ça m'est tombé sur le coin du nez ! C'est-à-dire qu'un prêtre-ouvrier ne peut être que de gauche. Si bien que, avant que je n'arrive à Gouesnou, on m'avait déjà taillé une sacrée veste ! Un veston rouge écarlate ! « Ça, on n'en veut pas. On ne veut pas de curé rouge chez nous ! » Et ils me l'ont fait savoir.
Si bien que ça s'est mal goupillé, mon arrivée à Gouesnou. Alors la déprime a repris, parce que j'étais devenu dépressif depuis l'année 69, où j'ai piqué ma première déprime à St-Guénolé, du fait d'une cohabitation impossible. On ne se choisit pas comme curés. Et le recteur était d'une jalousie extrême. Si bien que, au bout de 2 ans, j'ai piqué ma première déprime. On a été séparés. Pour l'une des premières fois sans doute, c'est le fautif présumé qui a dû partir et moi, je suis resté sur place. C'était un peu nouveau comme manière de faire, où on laissait le vicaire en place et on changeait de recteur. Et ensuite je suis resté très fragile au point de vue mental.

Et pourtant, tu étais tellement bien dans tout ce que tu as raconté, là !
Les années où j'ai le mieux vécu mon sacerdoce, c'était ce temps où j'étais sur les quais. Absolument le mieux de tout le temps, comme prêtre, de tout le ministère, c'est mon temps de prêtre-ouvrier.

Alors, du coup, qu'est-ce que tu as fait, quand ça s'est mal passé à Gouesnou ?
Je n’y suis resté que 6 ans !

Ça a dû se recoller un petit peu…
Bien oui à la longue. Le président du Conseil Paroissial m'a fait la guerre au départ : il fallait une « carabasenn », alors que j'en voulais pas…

Une quoi ?
Une « carabasenn », en breton, une bonne de curé ! Le recteur qui venait de partir avait une carabasenn. Et moi, je n'en voulais pas, parce que, en arrivant, je m'étais mis d'accord avec les curés d'à-côté pour « popoter » ensemble, pour faire une popote commune, au lieu de rester chacun chez soi. On cassait la croute ensemble. On était 4-5 tous les midis. Une personne pour s'occuper d'un prêtre, ce n'est pas vivable. Financièrement, ça ne tient pas la route.
Alors, pour l'histoire, ce président venait me casser les pieds 2 ou 3 fois par jour :
« Et comment est-ce que vous allez trouver une personne ? Est-ce que vous cherchez ?
- Bien non, je ne cherche pas, il n'y en aura pas !
- Comment ça ! La maison sera fermée !
- Ben oui, la maison sera fermée à l'heure de midi, c'est normal. À l'heure de midi, on ne dérange pas le monde. Normalement, tout le monde est à table. On ne les dérange pas.
- Mais alors, dans la journée, comment vous allez faire ?
- Bien, certainement que c'est chose possible. Je mettrai sur pied une équipe d'accueil.
- Et voilà, voilà une réaction d'urbain ! Le gars de la ville. Mais ici, ça ne peut pas marcher !
- Ici ? On est où ici ? C'est bien la banlieue de Brest ! Et pourquoi ça ne marcherait pas, une équipe d'accueil, une équipe de laïcs ? Les laïcs prennent bien leur place dans l'Église. Et pourquoi pas une équipe d'accueil ?
- Ça ne peut pas marcher !
- En tous cas, l'essai sera fait. »
Il continuait à me harceler, je dis bien harceler :
« Et comment ? La maison sera fermée.
- Oui ! En plein jour, ce sera une maison close ! »
Le soir, démission. L’expression était sans doute trop forte ! « Je ne vous retiens pas ! »
L'équipe d'accueil était en place un mois après.

Et ça a marché ?
Oui bien sûr. Très bien. Ça date de 90. Et à peine arrivé, deuxième hernie discale, hospitalisé. Et là, l'intervention ne fut pas une réussite. J'en bave toujours. Donc là, régulièrement, je sens les déprimes venir. Les contrariétés un peu longues, un peu dures, je sens. Je consulte et je prends ce qu'il faut.

Les signes de l'Esprit, j'y suis très attentif. Est-ce que cette déprime n'est pas un signe de l'Esprit pour être proche des faibles, des petits ? Combien de collègues sont venus me trouver en disant : « Tiens, je suis comme toi. On peut discuter ? » Est-ce que c'est un signe de l'Esprit ? Je ne dirai pas que c'est l'Esprit qui m'a envoyé la déprime ! De même, pour la séparation d'avec mon recteur jaloux. Désormais, pour moi, les personnes jalouses ont comme une odeur !
Je crois très fort à l’œuvre de l’Esprit dans ma vie : à la sortie du séminaire, je n’avais nullement idée d’être un jour prêtre-ouvrier ; ça ne pouvait même pas effleurer mon esprit ! Comment expliquer une telle évolution ? Sinon par une force spirituelle ! L’Esprit souffle où il veut, où il peut et parfois il souffle en tempête !
Et tu vois, à la relecture de ma vie, je suis heureux de constater sa lumineuse présence pour tenir le coup dans toutes ces difficultés.
Entre parenthèses, du monde venait au presbytère, des marins envoyaient du poisson, des langoustines, en veux-tu, en voilà, prenaient le coup. Je leur offrais l'apéro. Alors, s'il faisait nuit, on se trouvait dans le noir. Ce recteur jaloux coupait le courant !
Un équipage entier, avec qui j'avais fait une marée de 15 jours, je les avais invités à voir les diapositives qu’à leur souhait j’avais prises, une soirée diapo. Je dis à mon recteur : « Tiens, ce sera l'occasion que tu fasses connaissance avec un équipage et avec les familles. » J'avais invité les épouses et les enfants. Non seulement il n'y était pas, mais au bout de 10 minutes, un quart d'heure, panne de l'appareil. Il y avait une coupure de courant ! Je sauve toujours la face dans ces cas-là. Je dis : « Tiens, il y a un tirage trop fort. Je vais rétablir le courant. » Ça repart. Cinq minutes, deuxième panne ! Je vais remettre le courant. On a pu aller jusqu'à la fin.
Ce même équipage est revenu ; il a envoyé du poisson, des langoustines. Durant l’apéro, il y a eu panne de courant ! Et sympa, cet équipage, ils ne m'ont demandé des comptes que 2 ou 3 ans après, le jour du lancement du bateau neuf. Vers les 23 heures, les esprits un peu chauds, ils me sont tombés dessus. « Tu peux expliquer là ce qui se passait, quand on allait chez toi ? » Bon, et comme nous étions séparés, je le leur ai expliqué, en disant : « Vous êtes vachement sympas ! »
Et donc à Gouesnou, pour y revenir, j'ai fait surface, tant que faire se peut, avec plusieurs déprimes. Si bien que, au bout de 6 ans, ça suffisait. Je demandais mon changement. J'ai été nommé à trois paroisses : Saint-Divy, la Forest-Landerneau et Saint-Thonan. Et là, c'était pareil. J'avais un problème avec une catéchiste. Je n'avais pas fait une proposition qu'elle était contre ! Jusqu'au jour où, après une préparation de rencontre, en son absence, avec l'équipe de catéchistes, on était d'accord sur la manière de procéder pour l'année qui commençait, et puis au cours de la réunion générale, je fais la proposition contraire ! Ils se regardaient les uns les autres. Mais ce n'est pas ça qui était convenu, pensaient-ils ! Et comme la copine était contre, j'ai accepté sa position, qui était celle qui était prévue entre nous ! Là, tout le monde a ouvert les yeux. Ce n'est pas possible !

Donc, le pouvoir, il n'y a pas que les curés là ! Il y a aussi des laïcs.
Hou là, là, là, là. Il y a aussi le problème du pouvoir des laïcs. À Gouesnou, ça a été également très net au niveau du Conseil Paroissial. L'équipe d'animation paroissiale, je devais toujours faire attention à la personne que j'appelais : de quel bord elle est ? Si elle est de gauche, il fallait que j'appelle un de droite après. Il faut un équilibre.
Pour faire la mauvaise langue, je dirais que le recteur précédent, à qui je succédais – je ne remplace pas –, il avait fait comprendre à tous ceux qui étaient de gauche : soyez plutôt discrets. Il n'y a pas de place pour vous montrer. Si bien que de tous ceux qui étaient de gauche, plus de lecteur, plus d'animateurs. Ce monde-là est revenu. Ils ont retrouvé leur place. J'ai pu dire çà à quelques personnes : « Bon, tout le monde sait de quel bord je suis. Vous m'avez fait la guerre. Mais au moins, personne ne peut dire que j'ai mis une personne de droite à la porte. »
Dans ce sens-là, est-ce que c'est un signe, également, de l'Esprit, à Saint-Divy ? Dans l'équipe d'animation paroissiale, j'avais fait une option – qui n'était pas tellement prisée dans la pastorale diocésaine – j'appelais 3 personnes non pratiquantes.
« Pourquoi vous nous demandez ? Vous ne nous voyez pas à l'église !
- Non, mais c'est pour ça que je t'appelle.
- Comment ça ?
- Ben, c’est justement pour représenter ceux qui ne viennent pas ! Tous ceux qui se disent chrétiens, chrétiens non pratiquants. Et c'est la majorité des croyants !
- Ah bon ! »
Et ils acceptaient de venir. Les non pratiquants étaient représentés à l'équipe d'animation paroissiale de mon temps.

Comment s'est terminée ta vie active ?
Eh bien-là, pareil dans mes dernières paroisses : déprime sur déprime, à Saint-Divy. Normalement la retraite, c'est 75 ans. Le prêtre touche sa retraite de la sécu, du régime de la Cavimac, à 65 ans. Le prêtre en activité à 65 ans touche la retraite Cavimac et verse sa pension à la caisse commune. Étant donné que j'y avais donc droit à 65 ans, eh bien, je la prends à 65 ans, étant donné l'état de la tête et du corps. Et en bénéficiant de l'année d'Algérie, à 64 ans. Donc j'ai fait ma demande à l'évêque, qui m'a appelé. Il m'a dit :
« Le mieux qu'on a à faire, c'est de voir ta lettre point par point. » Bon, très bien. Après, premièrement, deuxièmement, troisièmement, quatrièmement. Je dis :
« Mais vous voyez un peu ce qui est écrit entre les lignes ?
- Hein ? Comment ça ? Qu'est-ce qu'il faut que je lise entre les lignes ?
- Il y a un certain esprit sous-jacent, pourquoi ma demande à 64 ans. Vous ne voyez pas un certain esprit syndicaliste ? Et le bon syndicat !
- Je t'accorde tout ce que tu demandes ! Tu vois la suite avec le vicaire général. »

Donc tu as arrêté à 64 ans, officiellement. Après tu as fait des « petits boulots ».
A 64 ans, ça devait être en tout début de l'année, avant que les prêtres diocésains qui prenaient leur retraite n'écrivent à l'évêque, pour demander une place, un presbytère ou un appartement pour loger, quoi ! Donc, j'étais avant la troupe ! Et donc j'ai eu cette maison-ci, qui était disponible depuis plus d’une année.

Ah, déjà depuis cette époque-là ! Il y a longtemps que tu es là, alors !
Il y a 14 ans que je suis ici. Le presbytère le mieux situé du Finistère !

Et tu es seul ? Tu n'as pas d'autre prêtre ?
Invivable ! Donc je suis ici, dans cette grande maison depuis mes 64 ans. J'ai demandé à mon curé de Ploudalmézeau :
« Est-ce que tu acceptes que j'y vienne pour rien ? J'ai besoin de me retaper.
- Bien sûr ! Tu habites. Tu casseras la croute avec nous quand tu voudras. »
Comme je ne suis pas manchot du point de vue popote, je fais ma popote. Au bout de 3-4 ans, je lui ai dit : « D'accord, quand tu auras besoin, tu peux me demander d'intervenir pour quelques menus services. » Et c'est comme ça que j'ai commencé à rendre service, pour le week-end, les services du dimanche, un baptême, un mariage de temps en temps. Jusqu'au moment où on a changé de curé. On m'a demandé un petit peu plus souvent. Mais je ne suis pas « programmé ». Je ne suis pas sur un planning à l'avance.

Donc tu peux toujours dire non.
Le curé doyen me demande. Avant chaque intervention, il y a un coup de téléphone. Par exemple ce matin : « Est-ce que tu peux me remplacer dimanche prochain ? Alors que j'ai un baptême en famille samedi. Est-ce que quand même dimanche tu pourrais ? » Je suis embêté. « Ben oui, dimanche, OK. » À Ploumoguer, dans une paroisse à 20 minutes d'ici. Donc actuellement, il me demande un petit peu plus souvent d'intervenir.
Et régulièrement également pour les îles, Molène et Ouessant.

Et là, t'es plutôt heureux dans ce genre de situation ?
Là, ça va. Il n'y a plus de responsabilité, sinon quand je fais des remplacements en pays bigouden. Trois bonnes semaines ! Tous les petits JOC, JOCF, les petits JMC, qui sont grands-pères maintenant ! Quel accueil ! Que de joies !

Et alors comment tu termines tout cela ? Est-ce que tu as un message ? Une impression peut-être ? Une idée forte ?
Que tu m'aies demandé de raconter un peu tout ça, j'ai l'impression de m’être livré, un peu vidé. Je souhaiterais que ce soit accueilli comme du bon pain, que ce soit peut-être nourrissant pour quelques personnes quelles qu’elles soient !
Le message ? Que ce soit pour les chrétiens, et à plus forte raison pour un prêtre, qu'ils soient, pour le monde d'aujourd'hui, une présence, une présence témoin de la bienveillance de notre Dieu, du Dieu de Jésus-Christ, par la proximité, par la charité, par la justice et le respect. Je crois bien que ce sont des réalités qui sont nécessaires pour une vraie paix.
Amen !