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Qu’est-ce qui a préparé votre engagement dans l’Église ?
Les points qui m’ont marqué :
Dieu n’oblige pas, il propose. Comment j’ai répondu à ce qui m’est apparu comme un appel ? Il y a eu une préparation lointaine à 12 ans ; une question de l’ordre de « veux-tu être prêtre ? »
Mais le « signe » plus concret, je l’ai reçu durant ma vie de combattant face à la violence. Il faut des artisans de paix. J’avais 23 ans. Je réponds à l’appel de Dieu en entrant dans l’ordre de Saint Dominique à 24 ans. Je le fais sans angoisse ni hésitation, et pourtant je ne sais pas bien qui est Dieu, j’ai à peine lu la Bible et je ne connais pas le charisme de cet Ordre ni la vie de son fondateur ; par contre j’ai croisé 3-4 fois des pères dominicains qui m’ont laissé le souvenir d’hommes fraternels, joyeux et nullement « racoleurs ». Je prends un engagement à 30 ans après 6 années d’étude. Je fais une profession solennelle pour la durée de ma vie.
Les études ont été plutôt difficiles sur le plan de la théologie car j’avais beaucoup de difficulté à rentrer dans la synthèse théologique proposée par Saint Thomas d’Aquin. L’étude de la Bible m’apparaissait plutôt comme une étude de texte que comme une parole vivante porteuse de sens, de lumière. La prière communautaire chantée en grégorien ne me pesait pas mais m’apparaissait quand même plus comme une obligation que comme une rencontre avec le Seigneur. La vie commune ne me pesait pas, elle fut très enrichissante tant sur le plan fraternel qu’en se montrant une possibilité d’ouverture dans des domaines très différents : rencontre avec des hommes pleins d’expérience et de conviction, d’ouverture sur le monde des arts, d’autres religions, d’autres civilisations du fait de la présence de frères venant d’autres continents.

Quel a été votre engagement ?
Le jour où mon engagement s’est brusquement concrétisé, c’est celui où mes supérieurs m’envoyèrent en Afrique, précisément au Maroc. Je n’avais jamais pensé une seule seconde que je connaîtrai durant 35 ans une vie de missionnaire. J’ai été très surpris par cet envoi parce que je n’avais aucune formation spécifique me préparant à ce ministère dans un nouveau continent, une civilisation, une religion différente de celles qui m’avaient façonné durant toute ma jeunesse. Après quelques années de contact, d’événements, d’épreuves, j’ai découvert que des questions très nouvelles se posaient à moi. Et d’abord que cette rupture avec mon passé était une très grande chance voulue sans doute par Dieu pour me permettre de mieux répondre à son attente.
De fait, mon engagement ne m’est pas apparu comme un service dans le cadre d’une structure bien définie de l’Église. Mais comme une présence. Un témoignage débordant l’aspect classique d’un ministère axé sur la vie sacramentelle et liturgique au bénéfice de petites communautés chrétiennes.

Votre parcours ?
Je ne me suis pas retrouvé dans le rôle classique d’un prêtre soucieux de la bonne volonté de sa paroisse ; je ne me suis jamais senti à cette époque à travers mon ministère sacerdotal dans la peau d’un homme qui devait être respecté à cause de sa fonction, qui devait être écouté voire obéi, bref un homme sacré choisi par Dieu pour être son digne représentant. Je n’ai jamais pensé que j’étais un homme « séparé » de ses frères humains à cause d’une dignité reçue comme une faveur de Dieu sans aucun mérite. Je n’ai jamais pensé que j’étais un homme sacré à cause du pouvoir reçu de Dieu de « faire » la messe ou de pardonner en son nom.
J’ai toujours pensé que être prêtre, c’est d’abord être plus disponible pour donner jusqu’à sa vie. Plus fraternelle dans le temps et dans l’espace dans la mesure où je n’étais pas engagé dans une vie familiale ou professionnelle. Plus humaine dans la mesure où aucune convention sociale ne me contraignait à me conformer à des comportements adaptés à une situation sociale, politique, surtout devant certaines situations d’injustice ou de violence.
Être prêtre, c’est peut être avoir été librement choisi par Dieu pour « coller » au mieux possible dans le déroulement de ma vie aux comportements de Jésus notre modèle sur cette terre devant les événements, les situations, où on se pose des questions.

Vatican II ?
À cette époque j’étais déjà en Afrique, j’avais rencontré deux grandes civilisations, civilisation arabe et civilisation africaine, et deux grandes religions, l’islam et l’animisme.
Ma chance a été de quitter ma sphère occidentale pour découvrir que ma civilisation (que je pensais être la meilleure) n’était pas du tout un modèle exportable et qu’elle n’était peut-être pas la meilleure des civilisations.
J’ai eu la chance de prendre une distance par rapport aux pratiques de mon Église romaine occidentalisée sur le plan de la liturgie, de la catéchèse, de l’accent mis sur certaines valeurs, tout en demeurant parfois aveugle devant d’autres dimensions du témoignage le plus essentiel, celui de la charité. J’ai compris à quel point mon Église ne s’était pas mise suffisamment à l’écoute des traditions, des comportements, des religions de ces pays d’Afrique. Qu’elle avait porté trop rapidement des jugements voire des condamnations. Que mon Église avait parfois imposé par obligation d’autres formes de vie liturgique, de vie sociale, voire politique. J’ai eu la chance de découvrir que mon Église était beaucoup plus celle de l’Occident que celle du monde. Que le Christ était venu sauver tous les peuples : « Allez évangéliser toutes les nations. » Mais, bien sûr, sans l’imposer, sans la présenter à travers la gangue d’une civilisation qui, elle, assurément ne pouvait pas être un modèle universel. Une religion naît toujours dans une civilisation et nous avons voulons plaquer dans une civilisation authentique une civilisation différente : il y avait forcément un décalage.
Jean XXIII annonce la tenue d’un concile. J’étais en Afrique. Cela m’est apparu comme un ballon d’oxygène dans l’Église, un peu comme le père Teilhard de Chardin qui proposait une autre vision du plan de Dieu sur la création.
Je dois dire que le visage du Pape Pie XII m’avait toujours glacé, visage austère, pas de sourire, des condamnations (celles de Congar, de Lubac, de Chenu…) et voilà que Jean XXIII que l’on interroge sur le rôle du concile dit : « Une chose est la foi, autre chose l’expression de cette foi. » Cette parole est extraordinaire. J’entends cette parole de Jean XXIII alors que je suis en Afrique. J’étais alors plus ou moins surpris, étonné voire scandalisé, des décisions venant de Rome par des hommes ignorants de réalités se rapportant à la vie familiale et la vie sociale de ce continent.
Le pape Jean XXIII avait un visage humain, il respirait la bonté, la simplicité, la capacité d’écouter, bref, il était un peu plus à l’image du Christ. De plus, dès son élection, il montra une très grande ouverture d’esprit en acceptant que les évêques présentent et aient la liberté d’exprimer leur opinion face aux cardinaux qui avaient préparé le concile. Qu’ils aient le droit d’être écoutés. C’est apparu comme un souffle de liberté – la liberté de l’Esprit-Saint – ouvert sur l’avenir. Et une des premiers fruits du concile a été l’encyclique Populorum progressio qui m’a marqué beaucoup.
Il se trouve que je me trouvais en Afrique aussi quand le pape Paul VI a fait la première visite d’un pape sur le continent africain. Cette visite provoqua en Afrique une onde de choc. Et elle va permettre dans l’avenir de tourner une nouvelle page quant à l’Église d’Afrique.

Qu’est-ce qui a changé dans le monde et la société ?
Qu’est ce qui a changé depuis 50 ans ? Quelques points que j’énumère :
- Une sécularisation de plus en plus exigée. La perte de repères quant à la morale à partir de techniques de communication et d’information nivelant les comportements humains. Chacun pouvant posséder sa vérité et sa morale. Du même coup, les nouvelles générations ne manquent pas de points de repères au contraire, elles ont trop ;
- La prise de conscience d’une responsabilité mondiale sur des problèmes majeurs concernant l’avenir de notre planète : climatique, écologique, océanique, déboisement… ;
- La prise de conscience de plus en plus ressentie au plan mondial des problèmes concernant les populations : flux des migrations non maîtrisées, problèmes de santé (épidémies, nourriture), problèmes de l’eau… ;
- Un écart toujours plus grand entre les pays riches et les pays pauvres ;
- Une progression sur le plan technique très mal maîtrisée, surtout en ce qui concerne les techniques à la vie humaine dans sa genèse et dans sa fin ;
- Un transfert des pôles économiques de l’Atlantique au Pacifique (ça me frappe car j’ai vécu en Afrique) ;
- Le primat du rendement et de la spéculation économique, très souvent sans aucun souci de la santé, de la dignité de l’homme ;
- L’échec des grandes institutions mondiales pour arriver à plus de justice et de paix, d’égalité (racisme) dans le monde.

Dans l’Église ?
L’Église catholique n’est plus majoritaire dans le monde ; elle a perdu de son pouvoir. Dans son enseignement, elle tient un langage qui apparaît sous un aspect doctrinal qui ne touche pas le cœur. En en premier lieu notre credo. L’Église catholique a de moins en moins le monopole de la charité, c’est à dire des moyens mis en œuvre pour lutter contre la misère, la solitude, aider les handicapés, les minorités ; bref pour aider les petits à prendre leur place et à exister dans nos sociétés. L’Église catholique, il faut le reconnaître, a été devancée face à des problèmes concernant l’existence de la violence dans le monde, par exemple la non-violence avec Gandhi. Autre chose, la peine de mort, le colonialisme, aujourd’hui le nouveau colonialisme économique encore plus grave. Je pense à des Chinois proposant un bail d’un siècle à Madagascar.
L’Église catholique semble accepter avec une certaine méfiance l’avancée des progrès scientifiques, bref être un peu « ringarde » face à des changements qui bouleversent la condition de la vie humaine. L’Église semble ne plus apparaître aujourd’hui comme le premier repère de la vérité ou de la morale. Et pourtant il me semble qu’on n’a jamais autant regardé vers le Pape. Bref, l’Église retrouve peut-être, dans la mesure où elle exerce moins de pouvoir, une certaine autorité pour ce qui concerne la progression d’une humanisation qui soit davantage au service de l’homme. Il est frappant de voir qu’on entend cette expression par nos gouvernants : « nous avons besoin d’une religion républicaine » pour fonder notre société sur des bases solides. Or si les hommes s’appuient seulement sur des valeurs décrétées par la volonté de l’homme ; si la religion dite républicaine reconnaît qu’il peut y avoir plusieurs « vérités » selon les pays et les civilisations différentes alors, à ce moment, quand on veut exprimer de façon universelle les droits de l’homme, on se heurte à une difficulté majeure, puisqu’il n’y plus une vérité mais des vérités possibles. Aujourd’hui nous donnons l’impression aux jeunes générations qu’il n’y a plus de pilote dans l’avion.

Votre vision d’avenir ?
Retrouver l’unité de l’Église du Christ. Sortir des ghettos que sont trop souvent nos églises pour redevenir tous, prêtres et laïcs, des missionnaires là où Dieu nous a placés. Un des premiers cris du pape François : « Sortez de vos églises. » Donner des responsabilités effectives aux laïcs, aux femmes dans les structures de l’Église. Aussi bien au plan paroissial, diocésain que romain (administration, structures visibles).
Les changements qui me semblent les plus importants dans l’Église depuis 50 ans très particulièrement en France :
- La redécouverte de la Bible, une nouvelle lecture de l’Ancien Testament ; le récit de la Genèse n’est qu’une magnifique parabole (tout ce qu’il y a derrière, le péché originel…) ;
- Redécouverte plus précise des sources historiques, des auteurs, la fréquence des pèlerinages en terre sainte, très important à mon avis ;
- Une nouvelle approche de la vie sacramentelle : les sacrements sont de l’ordre des moyens en vue d’une fin. Il faut sortir d’une certaine magie qui laisserait croire que la pratique des sacrements et en tout premier lieu le baptême et l’assistance obligatoire à la messe le dimanche opèrerait de soi notre salut. « Mon père je suis pratiquant donc je suis sauvé… » ;
- Nous commençons à sortir d’une éducation chrétienne qui ressemblait plus à un « code » (ensemble de préceptes), à une morale du permis et du défendu, à un Dieu juge. Alors que l’Évangile est pour nous comme un phare éclairant notre cheminement, douloureux, il faut le reconnaître, vers le Royaume de Dieu ;
- Respecter le cheminement et les valeurs portées par les autres religions dans la mesure où elles œuvrent pour mettre plus de paix et de justice dans le monde (rencontres d’Assise) ;
- Dépasser un esprit de « tolérance » – c’est à dire qui, d’emblée, marque d’abord sa différence – par un esprit de dialogue. Quand on est tolérant, on est convaincu d’avance qu’on a raison ; on ne croit pas que l’autre pourra apporter quelque chose qui pourra enrichir notre propre foi ;
- Redécouvrir une catéchèse moins dogmatique, moins moraliste, moins culpabilisante en découvrant un Dieu qui aime le monde, qui aime sa création, un Dieu qui ne s’étonne pas de nos faiblesses, de nos révoltes, même de nos crimes. Une catéchèse manifestant un Dieu amour qui respecte infiniment notre liberté, un Dieu qui n’oblige pas mais propose ;
- Dernier point que j’ai beaucoup travaillé ces temps-ci (Espérance et vie) ; j’ai fait trois causeries sur des sujets qui me paraissaient essentiels : il nous faut une meilleure compréhension du cheminement de la foi en chacun d’entre nous. L’Église catholique elle-même connaît ce cheminement et n’a pas terminé, le monde continue d’évoluer à travers des temps de cheminements et des crises qui sont nécessaires, l’Église elle-même connaît des étapes et des temps de mûrissement, chacun connaît des étapes pour devenir adolescent, puis adulte, davantage responsable, c’est ce que nous appelons des crises en pensant que ce sont des temps négatifs mais je dis que ce sont des temps nécessaires ;
L’expérience de ma vie me fait comprendre qu’elle est faite d’une succession d’échecs et de réussites et que les échecs ont été plus riches pour me permettre de devenir adulte, c’est une réflexion très personnelle.

Quel message principal aimeriez-vous transmettre ?
C’est un souhait.
Que l’Église devienne plus humaine, redécouvre ce qui peut faire apparaître le visage de Dieu…d’un Dieu qui dépasse infiniment l’idée d’un juge, un Dieu dont l’être le plus intime est celui de la miséricorde.
Que l’Église devienne universelle en intégrant d’autres formes de sensibilités, d’autres formes d’intelligence ou d’expression de la foi que celles provenant de la civilisation occidentale (Asie, Afrique).
Que l’Église témoigne que Jésus est venu pour faire une seule révolution, celle du cœur.