Aller au contenu principal

Ouest-France - POINT DE VUE. « Religion populaire contre populisme religieux »

Ouest-France 29 juillet 2025
Image
Le grand Pardon de Sainte-Anne-d’Auray (ici en 2024)

Présidente et membre de la Conférence catholique des baptisés francophones (CCBF), Paule Zellitch et Guy Legrand soulignent dans ce texte que le Pardon de Sainte-Anne-d’Auray est un élément important « du patrimoine culturel et religieux qui appartient à tous les Bretons, y compris à ceux qui se sont éloignés de la pratique religieuse ». Ils redoutent de le voir instrumentalisé par les tenants d’une « vision du catholicisme antérieure à Vatican II ».

Lien vers l'article

« Célébré tous les 26 juillet le Pardon de Sainte-Anne-d’Auray commémore cette année le quatre centième anniversaire de la découverte de la statue de Sainte Anne par le paysan Yvon Nicolazic. Peu importe qu’il s’agisse ou pas de la christianisation d’un culte antique dédié à une déesse mère, cette dévotion est inscrite depuis des siècles dans la mémoire et la culture des Bretons.

Ainsi, Sainte Anne n’est pas seulement la grand-mère de Jésus [1], elle est désormais et au moins à parts égales, la grand-mère des Bretons. C’est vers elle qu’ils se tournent naturellement dans les moments de joies, d’angoisse et de peines. À ce titre le Pardon de « Madame Sainte Anne » est un élément du patrimoine culturel et religieux qui appartient à tous les Bretons, y compris à ceux qui se sont éloignés de la pratique religieuse.

En ces temps où l’évolution de la société marginalise le catholicisme, cet événement populaire devient un enjeu pour l’Église attestataire dans sa tentative de renouer avec le peuple. Mais, tous les peuples ont-ils la même culture religieuse et politique ?

Dans la ligne du pape François [2], prélat d’Amérique latine, Léon XIV, fort de son expérience péruvienne, a délégué, en ce quatre centième anniversaire de ce Pardon breton, un cardinal africain, Robert Sarah, pour le représenter. Dominique Rey, évêque actuellement en difficulté, y sera actif. La participation de ces deux prélats, connus en France comme à Rome pour leur sensibilité très identitaire a été perçue comme un encouragement aux lobbies catholiques conservateurs.

 

Vision du catholicisme antérieure à Vatican II

Ils y ont vu l’opportunité de s’approprier ce Pardon pour en faire l’étendard de leur propre vision du catholicisme, antérieure à Vatican II. Ils ont donc mobilisé des grands médias, acquis à leur cause, pour asseoir et surtout normaliser leur tentative de mainmise sur ce Pardon. La même stratégie a été mise en œuvre avec le pèlerinage de Notre-Dame de Chrétienté à Chartres.

La dévotion à Sainte Anne est une des illustrations de l’esprit de la constitution Gaudium et Spes ( « la joie et l’espérance »), un des grands textes du concile Vatican II : le religieux et le culturel sont imbriqués au point qu’il devient difficile de les distinguer. Cela explique le succès et l’importance, jamais démentis, de ce Pardon breton. Cette dévotion, ce moment de communion s’inscrit dans une culture populaire précise, qui a ses racines propres sans rapport avec les populismes à visées politico-religieuses et bien sûr toujours financières. À Auray, les bénévoles et les donateurs n’appartiennent à personne, mais servent la communauté.

Il importe que ce Pardon demeure une manifestation de liberté personnelle et communautaire non instrumentalisée par une certaine hiérarchie catholique qui servirait les tenants d’un populisme religieux et alors souvent politique.

Le patrimoine culturel et religieux est vivant, sa place n’est pas dans les musées des arts et traditions religieuses. Sainte-Anne-d’Auray n’est pas la version catholique d’un parc d’attractions, ni un musée en plein air. Le pardon de Sainte Anne est le moment où les Bretons se souviennent du passé pour servir l’avenir. »
 ____________________

[1] Selon le protévangile de Jacques, 2e moitié du IIe siècle, et certains récits apocryphes.

[2] Pape François, 15 décembre 2024, Colloque sur la piété populaire en Corse. Et cette exhortation apostolique : Evangelii gaudium.

 

Crédit photo
ARCHIVES OUEST-FRANCE/ GRÉGOIRE LAVILLE