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Auteur
Paule ZELLITCH

Dimanche 11 février 2018 – 6e dimanche du Temps ordinaire – Mc 1, 40-45

Si nous en croyons les textes manuscrits les plus anciens, au verset 41, Jésus n’est pas saisi de compassion, mais de colère. Un tel Jésus honore pleinement la notion d’incarnation ; c’est probablement ce que les traducteurs successifs de ces textes n’ont pas senti, occupés à montrer un Jésus parfait au point d’échapper aux lois communes. À leur crédit, versons cette déclaration de Jésus que nous lisons en Matthieu (5,22) : « Quiconque se met en colère contre son frère est passible du tribunal. » Mais n’y a-t-il qu’un seul genre de colère, la colère mauvaise ?

Revenons à la scène qui nous est décrite : le lépreux s’approche, supplie et Jésus le touche. Et nous savons que, selon les prescriptions, Jésus est par ce seul contact rendu impur ; il risque une exclusion radicale, celle du lépreux, et pour qu’elle soit levée il devra se soumettre aux protocoles et rituels de purification. Or, il n’en sera jamais question dans la suite du texte, ce qui, au passage, nous montre une loi bien moins mécanique que ce que l’on imagine. La colère de Jésus n’est donc pas en rapport avec ce contact avec l’impur.

Si nous nous en tenons aux faits : Jésus surmonte sa colère et passe à l’action. Il répond à une demande. Chacun ici peut se reconnaître dans cette attitude. Allons un peu plus loin et tentons une autre interprétation. Jésus est en colère et pour un juste motif ; face à lui un homme rejeté, exclu ; il va donc agir, mais d’abord pour que cet ostracisme cesse. En l’envoyant se montrer aux prêtres, il montre son acceptation de la Loi et il contraint les prêtres à reconnaître la performativité de son action. Sa parole produit de la guérison et en ce sens c’est une vraie parole. Parce qu’elle se situe dans un cadre conforme à la geste de Genèse, chacun peut en comprendre le sens. En somme, nous ne sommes pas les spectateurs d’un acte de guérison quelconque. La demande de discrétion que Jésus adresse au lépreux est, dans les faits, intenable ; elle nous éclaire cependant sur sa conscience d’être à l’articulation entre différentes interprétations de la Loi et sur sa volonté de ne pas entrer inutilement en conflit.

Une autre lecture possible serait de dire qu’il va guérir le lépreux afin de subvertir et rendre caduque une norme, et pourquoi pas, montrer sa puissance. Une telle approche participe de ces facilités de l’esprit que pratiquent ceux qui ne cessent de chercher des oppositions et des nouveautés là où il n’y en a aucune. Nul n’est empêché de produire du bien et, quand les docteurs de la Loi discutent du bien fondé de telle ou telle action, il s’agit pour eux d’établir, d’abord, une sorte de discernement de l’agir dans une culture où l’interprétation et donc la divergence de vue participent à la formation des esprits.

En somme, ces versets sont riches car ils comportent des visées, qui tout en ne s’excluant pas entre elles, contribuent à nous donner une approche moins conventionnelle du Jésus de l’histoire. Reste la seule question qui vaille, et qui nous concerne : ce sont nos actes qui portent en eux-mêmes toutes les puissances de libérations qui nous habitent.


Paule Zellitch