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évêques et prêtres

La Conférence catholique des baptisé-es francophones (CCBF) veut favoriser la diversité pour éviter une Église monoculturelle et affinitaire qui permet les abus. Chacun-e participerait aussi à sa gouvernance, modifiant ainsi le rôle de l’évêque.

 

L’Église catholique, à l’instigation du pape François et sous la poussée de la crise des abus, poursuit ses tentatives de réforme. Dans le cadre d’un processus de consultation mondial, la Conférence catholique des baptisé-es francophones (CCBF), mouvement de catholiques d’ouverture, vient d’envoyer ses propositions à Rome. Il s’agit notamment de revisiter les modalités de gouvernance de l’institution : la participation de tous ses membres y serait primordiale, ce qui modifierait forcément le pouvoir de l’évêque. La CCBF veut aussi favoriser la diversité, pour éviter une Église monoculturelle qui permet les abus et où les chapelles identitaires excluent ceux et celles qui ne s’y reconnaissent pas – et rêvent d’une autre institution. 

Le processus a été lancé par Rome en 2021. Le pape François a d’emblée insisté sur la nécessaire « participation active de toutes les composantes du peuple de Dieu » à cette consultation sur la synodalité. Dont acte. La CCBF, qui regroupe quelque 10 000 personnes sympathisantes, actives et adhérentes, notamment des théologien-nes, a dégainé la première. Elle vient d’envoyer ses propositions à Rome. 

Chaque pays gère la mission différemment, avec des processus de consultation plus ou moins larges et transparents, émanant généralement des évêques en place. En France, observe la présidente de la CCBF Paule Zellitch, « dans de nombreux diocèses, les catholiques n’ont entendu parler de rien ». La conférence a donc mis en place sa propre consultation. 

Les pratiquants (ceux et celles qui vont souvent à la messe) ne sont plus que 2% dans l’Hexagone. Aux grandes fêtes, mariages ou décès, ce taux grimpe à 6%. Le nombre de catholiques encore en lien avec une paroisse est donc infime. Le paysage religieux est non seulement désertifié mais aussi monoculturel. « C’est notamment la conséquence du poids accordé pendant des décennies aux communautés nouvelles, le plus souvent charismatiques, qui ont fait partir les personnes d’autres sensibilités, explique Paule Zellitch. Il faut donc que des gens différents reprennent du poil de la bête. Une Église qui veut parler à tous ne peut pas être monochrome. » 

 

Contre l’affinitaire, la diversité

Mais comment réintégrer les différentes sensibilités ? En prenant en compte la pluralité sociologique des différentes communautés d’Église, plaide la CCBF. « Dans les grandes villes, observe Paule Zellitch, on trouve de plus en plus de paroisses affinitaires. La majorité des prêtres formés aujourd’hui appartiennent à des milieux plutôt ‘classiques’. Ils doivent être capable d’adapter le langage de l’Église à la culture de ceux et celles qui la fréquentent. » Elle déplore que certains évêques veuillent « conformer leur diocèse à leur sensibilité » ecclésiale, voire politique. Elle évoque ces diocèses où le prêt de locaux est réservé aux groupes de la « bonne obédience ». 

Il s’agit aussi pour la CCBF de renouer les liens avec ceux et celles qui ont quitté l’Église et de les intégrer « sans prérequis » : les situations juridiques personnelles, au vu du droit de l’Église (couples divorcés-remariés, couples de même sexe), ne sauraient être disqualifiantes. Nous revendiquons « une Église qui bénit les hommes et les femmes qui veulent vivre des évangiles » – une allusion aux déclarations du pape François, qui autorisait en décembre 2023 la bénédiction des couples de même sexe. 

Intégrer et bénir, mais aussi, comme le prône la CCBF depuis sa création en 2008, associer les fidèles à la gouvernance de l’Église. Les modalités d’exercice de l’autorité de l’évêque doivent donc être revisitées. La CCBF cite le Père de l’Église Cyprien de Carthage : « Ce qui concerne tout le monde doit être discuté et approuvé par tout le monde. » L’évêque devient ainsi celui qui facilite le processus de fabrication de l’unité de l’Église par les théologien-nes et les fidèles, pas celui qui l’incarne.

Les conseils d’Église, eux, doivent être représentatifs des différentes sensibilités présentes dans le diocèse. La CCBF les dotent même de la faculté de poser sur certains sujets des avis conformes, c’est-à-dire impératifs et obligeant l’évêque. Ces conseils doivent servir aussi à assister l’évêque sur les questions d’abus, comme c’est déjà le cas dans certains diocèses, peu nombreux. D’où l’importance de la diversité.

 

« Infantilisé, on perd ses repères »

L’évêque endosse donc un rôle de dialogue, d’information, renforçant la cohérence entre les avis des conseils et les décisions à prendre. « Cela présuppose de vrais dialogues, et de la transparence, contrairement à ce qui se passe trop souvent, observe Paule Zellitch. En France, nous sommes au milieu du gué. » Et la participation aux structures de l’Église n’a plus rien d’une évidence : « Depuis Jean-Paul II, il y a eu un mouvement très puissant qui a absolutisé le rôle du prêtre. Et les catholiques ont intégré l’idée qu’ils devaient être autorisés de l’extérieur à s’exprimer. Pour notre part, nous ne pouvons pas imaginer des fidèles capables d’appréhender et d’arbitrer des choses très compliquées au quotidien, mais considérés comme des enfants dans l’Église. Infantilisé, on perd ses repères. » La CCBF a aussi choisi de distinguer le spirituel de l’institutionnel : « La crise des abus a montré à quel point le champ du spirituel était piégé et facile à instrumentaliser. Nous n’avons pas à sonder les cœurs : chacun vient avec sa propre spiritualité. »

Si le document n’éclaire pas spécifiquement la place des femmes, c’est que la CCBF défend depuis toujours l’idée qu’il est impossible d’envisager l’Église sans la participation pleine et entière de celles-ci à la gouvernance. La question de leur place est donc « indissociable » de chaque point soulevé.

 

Dominique Hartmann – Le Courrier