Commentaires
Merci
Merci, Roselyne, de nous aider depuis tant d'années à creuser et approfondir notre foi. Avec vous nous avons découvert tant de choses, et aussi noué entre nous des liens d'amitié et de confiance. Les réunions de notre groupe sont devenues des moments précieux dans nos vies, grâce à vous.
« Qui croit en lui n’est pas…
« Qui croit en lui n’est pas jugé ; qui ne croit pas est déjà jugé parce qu’il n’a pas cru en nom du fils unique de Dieu. »
De cette première approche de l’Evangile selon Jean, c’est ce passage qui m’accroche aussi. Je ne vois pas non plus de passif divin dans ce « est déjà jugé » mais peut-être un renvoi au lourd fardeau d’une faute/erreur/péché qui poursuit l’homme qui ne connait pas le pardon, le don qui redonne la vie et que le Christ vient proposer en sa personne.
C’est un peu simpliste comme affirmation, pour arriver à ma question : dans le judaïsme des contemporains du Christ, quelle place tient le pardon ? Le pardon suinte tellement par tous les pores des Evangiles, on en déduirait par contre-pied qu’il n’avait guère cours dans la Palestine du premier siècle. L’épisode de la femme adultère semble dire que la seule réponse est la punition radicale, un chemin de pardon ne semblant pas envisageable ; mais la réalité religieuse et culturelle est sans doute plus nuancée ?
Vous posez une question…
Vous posez une question difficile et particulièrement intéressante. Difficile pour des raisons d'abord de documentation, car du judaïsme du 1er siècle, et notamment du judaïsme rabbinique qui se constitue après 70, nous n'avons que des documents écrits plus tardifs (les targums après 150, la mishna à partir du 3ème siècle). Sans cela, il nous reste trois sources : les Ecritures juives (et la traduction de la Septante avec l'ajout de textes grecs), le Nouveau Testament (qui est partial vis-à-vis du judaïsme), puis au cours et à la fin du 1er siècle les textes juifs de type apocalyptique, Baruch, Hénoch, le 4ème Esdras (qui fait maintenant partie de la TOB 2010, car c'est un livre reçu dans le canon orthodoxe).
Et votre observation est très juste.
Dans les Ecritures, le pardon vient de Dieu et les humains sont effectivement peu portés au pardon. Mais il y a des textes forts notamment dans la Torah : Esaü pardonnant à Jacob en Genèse 33, 8-16 (il s'agit plutôt de la demande de pardon de Jacob), et surtout la magnifique histoire de Joseph, ajoutée tardivement au livre de la Genèse, histoire de pardon entre frères, où est soulignée la lenteur du processus, la difficulté du pardon, puis son succès. Et Joseph dit à ses frères : "ce n'est pas vous, c'est Dieu qui m'a envoyé ici..." et finalement "Suis-je à la place de Dieu ? Vous avez voulu me faire du mal, Dieu a voulu en faire du bien" (Gn 50, 19-20).
Dans le Nouveau Testament, les chrétiens cherchent à se distinguer au maximum d'un judaïsme qui, après 70, devient en grande partie l'opposant. Et la foi chrétienne est, comme vous le dites, fondée sur un Dieu qui, par et dans Jésus son Fils, vient se réconcilier l'humanité, et donc pardonner largement et appeler au pardon.
Ceci dit, les affirmations parfois gênantes pour nous de Matthieu dans son Notre Père et dans son commentaire sont très clairement issues d'une tradition juive : le pardon de Dieu est lié à la démarche active de pardon humain. Si on traduit mot-à-mot le Notre Père de Matthieu, on a : "remets-nous nos dettes, comme nous aussi nous avons remis à nos débiteurs" (Luc remplace le passé par un présent : "comme nous pardonnons", moins exigeant, que la liturgie a adopté !). Mais Matthieu poursuit : "si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera à vous aussi, mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous pardonnera pas" (Mt 6, 14-15). C'est typiquement juif. Il faut ajouter cependant que, si les étapes de la correction fraternelle en Matthieu 18 sont inspirées de pratiques de Qumrân, elles sont loin de la rigueur de Qumrân qui exclut immédiatement le coupable.
Enfin le 4ème Esdras montre une certaine pitié d'Esdras pour toute cette humanité païenne qui va à la perdition, mais Dieu le remet fermement à sa place. Le jugement et l'histoire sont dans les mains de Dieu.
Je remarque enfin que Jésus en croix, chez Luc, demande à Dieu de pardonner à tous ceux qui l'ont persécuté : "Père, pardonne-leur, car il ne savent pas ce qu'ils font" (Lc 23,35) ; or, ce verset n'est pas présent dans un certain nombre de manuscrits...
A la réflexion, le souci qui traverse la tradition juive, c'est d'abord celui de faire régner "la justice et le droit". Et je pense que nous ne devons pas oublier qu'il n'y a pas de pardon possible sans justice et qu'il y a toujours à articuler l'exigence de justice et celle de la miséricorde...
Paul dira que la justice de Dieu, c'est sa miséricorde... Mais c'est un argument à manier avec prudence !
Autant dire que le pardon est chose difficile entre toutes, et que le sentiment commun est que seul Dieu peut pardonner ou nous donner la force de pardonner. Mais la foi chrétienne veut que Dieu s'est donné à nous en Jésus son Fils, et qu'il nous a tout remis entre les mains ; il nous a remis son pardon. Le chapitre 18 de Matthieu est extraordinaire sur cette question : après avoir donné aux responsables chrétiens (après Pierre en 16,19) le pouvoir de lier et délier, la parabole finale montre à Pierre l'exigence radicale de pardonner 70 fois 7 fois, à l'infini !
Oui, c'est une forme de nouveauté chrétienne extraordinaire... Tout en affirmant qu'il n'y a pas de pardon humain possible sans un effort de justice !
Merci d'avoir posé cette question !
Retour sur le pardon
Et merci surtout à vous Roselyne d'y avoir répondu aussi longuement !
Il me semble que la conscience aigüe de la place centrale que tient le pardon dans la vie humaine est le déclencheur du renouement de beaucoup d'entre nous avec le christianisme à l'âge de notre maturité.
A bientôt :)
Merci, Chantal, de poser…
Merci, Chantal, de poser cette question, si difficile, du jugement. Et vous avez mille fois raison de suggérer que les représentations (juives et chrétiennes ) à cette époque ne sont plus du tout celles que nous pouvons avoir.
Mais je pense que ce texte est très éclairant par lui-même : d'abord en affirmant que Dieu veut que le monde (le nôtre, ce monde moche et décourageant) soit sauvé, et que l'envoi du Fils est bien cet acte ultime de salut dans lequel Dieu rejoint le monde et y entre de façon décisive.
A partir de là, le texte pose qu'un jugement s'opère. Les verbes du verset 18 sont au passif, et il ne faut pas crier trop vite au "passif divin" (auquel je ne crois guère). En fait (et Matthieu, l'évangéliste du jugement, serait d'accord), les choix de chacun sont porteurs de jugement. Non pas d'un jugement "eschatologique", final, mais d'un jugement au jour le jour qui place ses oeuvres dans la lumière ou dans les ténèbres.
Je suis impressionnée par le fait que la foi au nom du Fils unique de Dieu (v. 18) est aussitôt définie en d'autres termes au v. 19 comme choix de la lumière contre les ténèbres (qui pourra se décliner dans l'évangile, choix de la vérité contre le mensonge diabolique, et aujourd'hui choix des fake news contre une recherche de la vérité...). Et le fait que le piège du mal se referme vite sur celui qui le choisit, car il a peur d'être démasqué s'il vient à la lumière.
Alors, oui, on rejoint Matthieu 25 (avec un tout autre langage), il y a tant et tant de gens qui oeuvrent pour la lumière et la vie, et qui, par là-même, entrent dans ce travail du Fils venu faire passer le monde des ténèbres à la lumière ; ceux-là, comme vous le dites avec Jean, font la vérité, mais beaucoup le disent dans d'autres termes, religieux ou laïcs ; et avec eux nous sommes en marche vers la même vérité, par des chemins multiples.
Pour moi ces chemins sont ceux d'une "humanité" que le Christ est venue habiter et révéler à elle-même....