Et voici quelle est la volonté de Dieu : c’est votre sanctification. 1 Th 4, 3
Bonjour Madame,
Permettez-moi de vous présenter une question qui me « travaille » depuis longtemps, dans mes études du « protestantisme », de D. Margerat en particulier
Dans son dernier livre (Paul de Tarse, p. 143), celui-ci écrit :
« Dieu accueille l’humain où il est, tel qu’il est. Qu’il ne s’imagine pas devoir être plus saint, ou plus pur, … L’accueil divin est un pur cadeau. » (p. )
Ce qui consonne parfaitement avec cette autre affirmation de Marguerat (Le Dieu des premiers chrétiens, 2011, p.136) :
« Saint Paul passa sa vie à répéter avec obstination que le péché est de se vouloir pur. »
Autant, dans les Évangiles, l’accueil (et le pardon) des pécheurs par Jésus (comme lieu-tenance, ou mieux comme manifestation de l’accueil du Père) est une des marques de la Bonne Nouvelle (de la venue du Règne de Dieu) ; autant la demande de pardon pour nous sur la croix (Lc 32, 34) est le renversement de « la colère de Dieu », et l’instant objectif de la justification (comme beaucoup de théologiens le disent) ; accueil, pardon que l’on doit effectivement recevoir comme acte « incompréhensible, gratuit, par excès » de Dieu pour « chaque humain où il est, tel qu’il est » (Marguerat) ; — autant je comprends mal que, en cet accueil Paternel lui-même, par la grâce totalement imméritée de ma « justification », je ne « doive » pas, au sein de cet Amour reçu, comme réponse aimante à cet Amour, « être plus saint », ou bien penser (plutôt vivre !) que « mon péché est de me vouloir pur » !!!
Je pense qu’il y a ici une confusion entre l’instant, béni entre tous, de ma justification par Dieu (cet « instant », par exemple bultmannien : j’entends, dans la prédication, la Parole de ma justification, je crois, et, croyant, j’ai la vie éternelle (cf. Jean)), — confusion entre cette justification, toute unilatérale, Divine (le Don absolu, parfait, inouï, de l’accueil du pécheur que je suis par Dieu) et ce que l’on appelle la « sanctification » (dans le temps de notre trans-formation filiale (dans « les douleurs de l’enfantement » chez Paul, ou celui de notre « engendrement d’en-Haut chez Jean), le temps de notre devenir fils, à la suite du Fils, par la grâce de don de l’Esprit). Je pense qu’il est inutile de recopier les multiples parénèses, toutes les exhortations pauliniennes au combat Spirituel (avec le secours de l’Esprit) contre l’être, et les agissements du « vieil homme », afin de vivre l’Homme nouveau (« la nouvelle créature ») que je suis déjà « en Christ » (il ne s’agit donc pas de « morale » (il y aurait cependant beaucoup à dire de l’allergie de notre catholicisme contemporain à ce vilain mot …), mais, bien sûr, de l’Indicatif de notre être reçu, qui « convertit », « transforme », dans le temps et par la grâce du temps, et l’endurance des impératifs, ce « vieil homme » dont je souffre encore (ici, le célèbre semper justus, semper peccator luthérien me semble justifié, à condition d’ajouter : et semper penitens). Je crois qu’il y a ici une grave ignorance de notre croissance comme temporalité ; dans un « vieux » livre, précisément contre l’« instantanéisme » protestant, J. Mouroux écrivait : « Il n’existe pas de décision existentielle, qui soit un instant pur, radicalement coupé du temps humain ; en réalité, toute décision authentique plonge dans une durée, à la fois spirituelle, psychique et cosmique ; et si elle se réalise dans le point supra-temporel de la conscience humaine, c’est en ouvrant et en fondant un nouveau temps pour cette même conscience » (Le mystère du temps, 1962, p. 124) ; en dehors d’une certaine terminologie devenue inaudible, je pense que ce texte nous dit une profonde vérité : l’instant de notre justification (d’être, d’exister), de notre accueil par Dieu tel que nous sommes (voici l’excellente part de vérité que relève, parmi bien d’autres, Marguerat !) ouvre, appelle (comme un Amour appelle un autre amour, comme un Père appelle ses fils en croissance à être ses Fils) notre sanctification comme temps de notre recréation filiale : « Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5, 48 ; ici, pour moi, le rabbin chrétien qu’est Matthieu ne s’oppose absolument pas aux exhortations pauliniennes) ; c’est-à-dire : je ne comprends pas l’obstination même de Marguerat à répéter que « le péché est de se vouloir pur » (je ne peux l’entendre que comme dénonciation d’un faux « pharisaïsme » à s’enorgueillir devant Dieu de sa « propre » pureté, qui n’est, évidemment reçue que par la grâce de Dieu …).
Tout simplement : je ne comprends pas qu’une réponse « éthique » (chercher (non : désirer !) à devenir, fils, par la grâce de l’Esprit de Dieu, par le temps de ma croissance transformante), que le désir de se vouloir fils (donc « pur ») en réponse la révélation de l’Amour Paternel, soit « péché » !
Je tiens à préciser qu’il ne s’agit absolument pas ici d’une vaine polémique « anti-protestante » (j’ai une passion « coupable » pour Luther, pour sa bouleversante aventure existentielle-spirituelle, ainsi que pour Bultmann, et depuis fort longtemps mon auteur « de chevet » est Kierkegaard !) ; mais, je me suis aperçu, contre moi-même, dans mon expérience personnelle, qu’une justification toute « forensique », extérieure, juridique (Dieu déclare que je suis juste : voilà, si j’ose dire, c’est « fini » !), sans ouvrir d’elle-même, dans le temps, par la grâce de l’Esprit de Dieu, ma « sanctification » (ma trans-formation filiale) était existentiellement, « et » bibliquement, une très grave « difficulté » !
Je vous remercie, madame, de pouvoir m’expliquer cet oubli, ou cette « carence », ou pire : ce refus d’un « devenir saint ».
Créé par : Fabre Francis
Date de création :
Bonjour, Monsieur, »Si je…
Bonjour, Monsieur, »
Si je comprends bien votre souci et votre développement très riche et documenté, il me semble d’abord que je peux rassembler votre point de vue en disant, de façon très paulinienne, que si d’abord Dieu dans son amour infini nous a rendus justes (ré-ajustés à lui, réconciliés avec lui) par Jésus son Fils, sans condition et par pure grâce, il reste qu’à cet amour toujours premier et toujours précédant, nous avons la liberté (ou non) de répondre par un amour qu’il met en marche en nous, et qui se déploie dans la durée de notre vie. Dans une réponse, lente et souvent chaotique, à l’amour qui nous précède et nous attire à lui, dans un lent processus que Paul décrit en termes de conformation au Christ et donc de transfiguration (Ph 3, 10 et 21 ; Rm 12, 1(2).
Paul le dit beaucoup en termes de renouvellement, d’homme nouveau : tandis que notre « homme-être-ancien se corrompt et se défait, notre être nouveau se renouvelle chaque jour » (2 Co 4, 16).
Là s’inscrit ce que nous pouvons appeler éthique, avec ses errements parfois, toujours à corriger par une recherche d’adéquation meilleure au Christ Jésus.
Je crois que sur ce point, depuis les accords sur la justification de 1998/1999, protestants et catholiques sont bien d’accord, même si les choses ne sont pas dites de la même façon.
Ne pourrait-on le dire ainsi : tout est par grâce, mais la grâce est coûteuse.
Vous butez alors sur la phrase un peu à l’emporte-pièce de D. Marguerat (il aime les formules frappantes) : « qu’il ne s’imagine pas devoir être plus saint ou plus pur… » (p. 143). Comme s’il n’y avait plus rien à « devenir » (nous vivons dans le devenir, c’est inéluctable et devons l’habiter !
Mais je me demande si vous ne faites pas un mauvais procès à D. Marguerat. Certes sa formule est trop raide. Encore faut-il voir à quel moment il se situe.
Il est en train de commenter le très difficile et délicat texte de 1 Corinthiens 7, 17-24 (je ne suis pas tout à fait d’accord avec son commentaire). Il s’agit de dire qu’au moment où Dieu nous appelle et appelle chacun, il le fait sans condition préalable et sans exigence première, sans demander que l’être humain se rende pur ou saint par ses propres efforts. Il n’y a pas d’effort préalable à la grâce première ; il n’y a pas de condition préalable à l’appel de Dieu. Et Paul invite à rester sans cesse sous la grâce de cet appel.
Par contre, il est évident que l’effort ensuite est celui de l’appelé, qui tendra « de toutes ses forces, de tout son cœur et de toute son âme » à aimer et à suivre le Seigneur qui l’appelle. Toujours en sachant qu’il est sous la grâce première, le don de l’Esprit qui l’accompagne et le porte.
Mais il reste libre. Et je crois que ce que D. Marguerat rappelle et ce à quoi Paul tient plus que tout, c’est que nul ne croie à ce moment-là qu’il est renouvelé, rendu saint par ses efforts et à la force du poignet. Une rechute dans le courant pharisien rigoureux auquel Paul appartenait et contre lequel il lutte. Une rechute contre notre pente naturelle à oublier d’où nous venons et l’appel qui nous tiens et nous porte.
D. Marguerat se situe, je crois, au moment et dans la condition de l’appel, mais il peut aussi rappeler que ce n’est pas sans la force de l’Esprit que nous avançons vers le Christ, et que le chrétien doit tenter d'avancer "sous la grâce".
Je crois que Paul le dit en deux temps dans la lettre aux Romains :
5, 10 : nous qui avons été réconciliés avec lui (= justifiés au v. 9) par la mort de son fils, combien plus serons-nous sauvés dans sa vie »
12, 1-2 « ne vous laissez pas configurer à ce monde, mais laissez vous transformez par le renouvellement de l’intelligence pour discerner quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, excellent et parfait ». Là s’ouvre le champ de l’éthique, et de l’effort…dans ce « ne vous laissez pas… mais laissez-vous » !
J’espère que cela a fait écho à votre question...