Le billet à Philémon est, selon Daniel Marguerat, un appel à la responsabilité en référence au critère de l’amour qui dépasse toutes les règles (p.314-315). De notre échange à Grenoble, il ressort que les chrétiens, plus que les autres, ont la lourde responsabilité de faire progresser l’égalité proclamée par Paul : « il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme » (Ga 3,28). Au cours des siècles, l’Église semble avoir davantage adopté une position prudente à l’égard du pouvoir, en ligne avec le propos de Paul : « Que chacun demeure dans la condition dans laquelle il se trouvait quand il a été appelé » (1Co 7,24). Mais Paul pensait alors que le retour du Christ était imminent ; puisque ce n’est plus le cas depuis longtemps, comment l’Église peut-elle être aussi timorée ?
Créé par : Claude Laval
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Je comprends bien votre…
Je comprends bien votre réflexion et votre effarement et je le partage : "mais enfin de quoi avons-nous peur ? ", nous qui avons tant de fois entendu du Seigneur : "N'ayez pas peur" ! Je dis "nous", car l'Eglise, c'est chacun de nous chrétiens et deux ou trois réunis en son nom....
Mais dans le détail, je voudrais revenir sur deux points :
1-D'abord votre lecture de 1 Co 7, 24, dans le sens d'un conservatisme social. Je n'en suis pas sûre du tout. Car le mot "condition" (probablement le moins mauvais, on a traduit aussi par "état") n'est pas dans le texte ! Littéralement : "restez dans l'appel dans lequel vous avez été appelés" (20.24) ou en 15 ; "comme DIeu vous a appelés, comportez vous...".
Cela signifie-t-il qu'on doive rester esclave, même si l'occasion se présente d'un affranchissement ? Je penche pour comprendre avec DM au v. 21 : "si tu peux devenir libre, profites-en plutôt".
D'une part, il s'agit d'affirmer qu'il n'y a pas d'exigence préalable, pas de situation sociale, maritale ... qui puisse échapper à l'appel de Dieu. Tous sont appelés, indépendamment de leur "condition", de leur "état", ou de leur "choix" précédents. Ce qui compte, c'est de rester fidèle à l'appel de Dieu, qu'on soit esclave ou qu'on devienne un affranchi, qu'on soit célibataire ou qu'on se marie....
Conclusion, on ne peut s'appuyer sur ce petit texte (1 Co 7,17-24) pour plaider un conservatisme social dont Paul n'a que faire.
2- La prudence -regrettable-de l'Eglise remonte très haut, et on peut lui trouver (on lui a trouvé) de bonnes raisons : dès la fin du premier siècle, les lettres à Timothée et à Tite, qui se placent sous l'autorité paulinienne, font machine arrière toute ! Les jeunes femmes et les esclaves sont priés de rentrer à la maison et de reprendre leurs places traditionnelles. 1 Tm 2, 9-15 et 5, 14-16 pour les unes, 6, 1-2 pour les autres montrent que l'enseignement paulinien avait été fort bien (trop bien ?) compris par les groupes faibles de la société romaine ! Et cela avait fait du bruit à l'extérieur, avec des conséquences graves, qui pouvaient devenir dramatique, pour les petites Eglises chrétiennes.
Les lettres pastorales insistent sur "la belle réputation" à avoir devant "ceux de l'extérieur" (1Tm 3, 7).
L'Empire est tolérant religieusement, mais qu'on ne touche pas à l'ordre social ! D'une certaine façon, Paul avait très tôt perçu le problème (1 Th 4, 12).
C'est bien cette peur d'abord du jugement extérieur (et de la persécution) que l'Eglise a intégrée, puis très vite, l'ordre social étant reproduit à l'intérieur des Eglises, elle a adhéré à la pérennisation tellement sécurisante de cet ordre... Hélas !
Ce n'est pourtant pas tout à fait vrai. Et à chaque époque, des prophètes se sont levés pour rappeler le privilège des pauvres et des petits aux yeux de Dieu : lit-on jamais Matthieu 21, 31 ? les homélies sur l'Eucharistie de Jean Chrysosotome : "Le corps de Jésus-Christ qui est sur l’autel, n’a pas besoin d’habits précieux qui
le couvrent, mais d’âmes pures qui le reçoivent, au lieu que cet autre corps de Jésus-Christ formé des pauvres qui sont ses membres, a besoin de notre assistance et de tous nos soins..."; et François d'Assise, Vincent de Paul, Frédéric Ozanam....