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La révélation est-elle close
Eh bien, je vais ajouter quelque chose ; il y a malentendu : le canon des Ecritures est clos, certainement ; mais il faut s'entendre sur le mot "Révélation". Une réponse pareille est non-théologique, c'est un refus de penser, et je crois qu'elle est fausse en partie. J'essaie de m'expliquer.
Dans le Nouveau Testament, ce Dieu, qui n’a cessé d’accompagner son peuple, et de s’approcher tant bien que mal d’une humanité qui n’y comprend rien (par les prophètes, le Psaumes, la Sagesse, qui s’est fait paroles d’humains), finit par se faire Parole, et la Parole se fait chair : cela s’appelle l’incarnation. Irénée de Lyon a des pages magnifiques sur ce Dieu qui « s’apprivoise à l’humain » à travers les siècles, et finit par le rejoindre en Jésus le Christ appelé pour cela Fils de Dieu.
Dès lors, Jésus devient la meilleure image de Dieu ; vers la fin du 1er siècle, l’évangile de Jean le théorise en quelques mots : « Qui m’a vu a vu le Père » (Jn 14, 9). Sommet d’une méditation et d’une recherche qui se met en route sur l’identité même de Jésus. Qui est-il celui-là ?
Mais je remarque que Jésus ne se définit jamais lui-même ; bien plutôt, il confie aux autres le soin de le faire : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? ».
Le travail est lancé pour des siècles ou des millénaires de christologies aussi diverses que les représentations de Dieu dans l’Ecriture.
En réalité cela ne fait que repousser d’un cran la même question. Maxime le Confesseur disait que cela rendait Dieu encore plus incompréhensible ! Si Jésus est bien celui en qui converge le grand mouvement d’approche de Dieu vers l’humanité, s’il participe donc à la fois de ce Dieu et de notre humanité, il va falloir à nouveau essayer de percevoir, à notre petite et défaillante mesure, qui il est. La lettre aux Hébreux (10, 20) dit qu’il a traversé le voile (celui de la ré-vélation), pour lui Dieu est pleinement révélé, mais pour nous ? Colossiens après Paul le dit autrement : dans la création en gestation, Jésus la Tête est passé du côté de la création nouvelle, l’Eglise-Humanité corps doit encore sortir derrière ; mais l’accouchement bien commencé peine à se terminer ! (voyez Colossiens 1, 15-21, qui relit Romains 8, 22-23).
Pourquoi alors dire que la Révélation a atteint son sommet, son point ultime en Jésus Christ ?
En fait nous tirons cela du début de la lettre aux Hébreux (1, 1-2) : « dans les temps qui sont les derniers, Dieu nous a parlé en un Fils … » Sans mauvaise foi, je dirais que les « derniers temps » s’étirant depuis près de 2000 ans, Dieu continue à nous parler par son Fils !
Aujourd’hui, il s’agit d’abord pour l’Eglise de préciser que le canon des Ecritures est clos… et d’éviter par-là toutes sortes de « révélations particulières », dont par exemple les 19ème et 20 ème siècles ont été friands : Lourdes, la Salette, Metzugorié… Il faut affirmer très fort que ces visions et révélations « particulières » ne peuvent rien ajouter à ce qui nous a été transmis dans l’Evangile. Et heureusement !
Tout nous est donné en Jésus-Christ, cela est vrai. Mais bien sûr, cela ne veut pas dire que nous avons tout compris de Dieu pas plus que de l’Evangile d’ailleurs ni de Jésus Christ, et qu’il n’y a plus rien à découvrir, et à apprendre ; il n’y a qu’à voir comme nous piétinons à essayer de dire qui est Jésus crucifié et ressuscité. Et nous sommes loin du compte ! Mais s’il est vraiment cet être humain en qui Dieu a rejoint notre humanité et qu’il a, dans son propre corps, fait entrer cette humanité en Dieu, évidemment il y a là une plénitude qui paraît absolue…ce qui ne veut pas dire que nous puissions la comprendre, la décrire et la maîtriser. Nous pédalons dans le yaourt avec ces « concepts » de divinité et d’humanité ; les images, plus haut celle de l’accouchement, sont probablement plus suggestives…
Cela signifie que Dieu continue de se révéler dans ce que chacun de nous peut découvrir de Jésus Christ. Je cite Dei Verbum : Si Dieu se révèle dans les événements de l’histoire, la révélation ne s’arrête pas là ; « ces événements, pour dévoiler tout leur sens comme manifestation du dessein de Dieu, doivent être actualisés dans la conscience du Peuple de Dieu ».
Autrement dit le Concile soutient absolument votre expression de « Dieu comme mystère à explorer sans fin ». Par chacun de nous et ensemble.
Et lorsque la lettre aux Colossiens dit qu’« en Christ »sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la connaissance, elle affirme qu’il nous faudra traverser toutes les sagesses et toutes les connaissances de l’humanité pour apercevoir un peu plus de la richesse du Christ et du visage de Dieu qu’il révèle. Dès lors, toutes les religions, toutes les sagesses, toutes les philosophies, voire les sciences sont invitées à apporter leur concours… Ainsi, Maître Eckhart, et Jean de la Croix dans la recherche de Dieu par la voie négative parviennent à un « néant » qui a des parentés avec certaines spiritualités asiatiques. Les voies vers Dieu sont multiples et le restent.
Si je tiens à Jésus Christ Fils de Dieu et à son Evangile, c’est que je crois vraiment que la tradition chrétienne, à la recherche d’un visage de Dieu dont l’amour se reflète dans le Jésus que les évangiles tentent de dire, est un haut lieu de la révélation. Et que sa vie donnée à une humanité misérable et moche qu’il relève reste une voie qui maintient, malgré tout et peut-être mieux que tout, l’espérance ouverte.
Des texte inspirés ?
J’ai oublié un pan de vos questions : que garder, que retenir des textes bibliques ? pourquoi ne pas lire et utiliser d’autres textes ?
D’abord connaître et garder la richesse de littérature et d’humanité complexe, tourmentée et angoissée, parfois magnifique que les livres de la Bible véhiculent, et ce n’est pas rien, d’autant qu’il s’agit bien de témoignages juxtaposés de la quête de Dieu (dans les deux sens, l’humanité en quête de Dieu, Dieu en quête de l’humanité !). A ce titre on peut les dire « inspirés ».
Mais dans tous les cas, il faut les lire et essayer de les comprendre dans leurs contextes, les situer dans l’histoire, comme des échos d’un moment, d’un questionnement, lointain, parfois complètement étranger à nous, et parfois tellement proche (même les horreurs sont très contemporaines, voir le viol de la concubine du lévite en Juges 19, 22ss.) .
D’une certaine façon, ils ont aussi façonné notre monde et notre civilisation judéo-chrétienne, et nous en gardons des traces impressionnantes.
On peut alors se demander si et jusqu’où ils sont inspirants pour nous. Car ils ne sont inspirés que parce qu’ils sont inspirants. Il n’est absolument pas question de les démarquer pour aujourd’hui.
Il faut toujours les traduire. Même le commandement de l’amour de Dieu et du prochain doit être interrogé. Que signifie pour nous « aimer Dieu » aujourd’hui ? Qui est le prochain ? Et surtout, plus que jamais, que veut dire « aimer » ?
Même le Décalogue est clairement en contexte : les chrétiens le reprennent à leur compte, mais ils n’observent pas le sabbat (encore que les justifications du sabbat en Deutéronome 5 et Exode 20 soient puissantes).
Il en va de même du Nouveau Testament. Paul est clair : « c’est à la liberté que vous avez été appelés » (Galates 5, 1 et 13). Et surtout : « la lettre tue, c’est l’Esprit qui fait vivre » (2 Co 3, 6).
Nous lisons selon l’Esprit, jamais selon la lettre, et c’est l’Esprit qui inspire la lecture de chacun lorsqu’elle est ouverte et accueillante, et surtout libre.
Je me demande toujours pourquoi les chrétiens ne comprennent pas à quel point ils sont libres !
Seule restriction, dixit Paul, n’en profitez pas pour écraser les autres, croire que vous possédez la vérité et faire n’importe quoi !
Le choix de lire les Ecritures, Ancien et Nouveau Testament dans la liturgie est clair : c’est notre socle, ce par quoi nous avons appris le Dieu unique (qu’Israël nous a fait connaître), et Jésus de Nazareth, autrement dit ce par quoi nous nous disons « chrétiens ».
Là encore, tellement lointains et parfois si proches, parfois incompréhensibles, parfois bouleversants, souvent l’effort paie !
Après cela, personne n’empêche de lire autre chose (c’est même très recommandé !) et d’utiliser d’autres textes dans les diverses liturgies particulières : mariage, baptême, groupe inter religieux… Il y a un tonne de textes superbes et inspirants, il faut les lire. Cela suppose juste l’effort d’inventer soi-même la célébration au lieu de se couler dans du prêt à porter, bien commode tout de même !
Révélation
Une question analogue fut posée en fin de cours à un professeur de l’ICP : J’avais été assez surpris par sa réponse :
" Oui, la révélation nous fut donnée pleine et entière, il n’y a rien à y rajouter.
Cependant sommes-nous bien sûr de l’avoir bien toute comprise ? "
Vaste programme, et c'est pour cela que je suis là.