Commentaires
Convoitise et péché dans la pensée chrétienne
Merci pour votre réponse qui établit le lien entre le désir de l’être humain de remplacer Dieu, ou au moins de s’en passer, et la maîtrise ou même la prise de contrôle sur la vie et la mort, sur le bien et le mal. Et aussi l’affirmation que relation avec Dieu et relation avec les autres humains sont indissociables, dans la droite ligne des dix paroles de vie données par Dieu à Moïse, que l’évangile d’aujourd’hui nous rappelle (Lc 10,27). La version marcienne de cet échange entre Jésus et un scribe commence même par le rappel de la foi d’Israël en Dieu, l’unique Seigneur (Mc 12,20).
Pour autant, je continue à résister à l’association entre l’idée de convoitise et celle de recherche d’une maîtrise. Au moins au sens moderne, la convoitise est bien de l’ordre d’un « désir immodéré pour les biens terrestres » : mû par la convoitise, l’être humain est poussé à vouloir toujours plus, accumuler indépendamment de ses besoins, de façon maladive, par jalousie … Pour moi c’est le contraire de la maîtrise, c’est précisément une sorte d’esclavage. Il est vrai que dans ce propos, la maîtrise est d’une part l’objet du désir et d’autre part l’état de celui ou celle qui désire : tel est pris qui croyait prendre !
J’ai le sentiment que la notion de convoitise, peu présente dans le Premier Testament (Dt 5,21 ; Nb 11,4.34), l’est davantage dans le Nouveau Testament (Mt 5,28 ; Rm 7,7 ; Jc 1,13-14) et a été adoptée dans la culture chrétienne comme la caractéristique essentielle du péché, mettant l’accent sur l’accaparement de biens, voire d’autrui, au dépend d’un juste équilibre, tel que vous l’avez souligné, entre la relation avec Dieu et celle avec les autres êtres humains. Est-ce une erreur de ma part de voir une évolution de la pensée chrétienne par rapport à la tradition juive ?
Vous avez raison, il y a eu…
Vous avez raison, il y a eu une évolution certaine, mais d'abord dans la pensée juive. A l'époque où Paul de Tarse écrit (49-59 environ), on voit clairement que pour lui la faute d'Adam est l'epithumia, en grec, qu'on peut traduire par "convoitise". Or, Paul est nourri de tradition juive et reflète bien la réflexion de son temps. Il se fait le passeur de cette réflexion dans ce qui deviendra la tradition chrétienne. Voyez Romains 7, 7-12. Probablement l'évolution s'est-elle faite avec la traduction grecque de la Bible, la Septante, et progressivement le dialogue engagé par le judaïsme avec les courants philosophiques grecs (au moins le platonisme vulgarisé, les Epicuriens et les Stoïciens).
Bien sûr que l'appétit déréglé d'avoir, de pouvoir, et de savoir conduit à une forme terrible d'esclavage ! Dont le Christ nous libère... pour autant que nous nous laissons libérer !
Convoitise : relation à Dieu, relation aux autres
Merci de votre remarque précise, et des définitions très intéressantes que vous donnez.
En fait, c'est moi qui ai défini trop rapidement les mots. En fait je n'avais pas tout à fait les mêmes définitions que vous : d'après le Robert et le Larousse, la convoitise est le désir de posséder, la cupidité, l'avidité, tandis que l'envie est le désir de prendre ce qu'un autre possède. On convoite quelque chose, on envie (jalouse) quelqu'un. Et le CNRTL parle bien "d'un désir immodéré des biens terrestres". Volonté de toute puissance (avant de jalouser le frère).
Peu importe, avec convoitise, je reprenais le mot de Wénin et le mot judeo-chrétien traditionnel, pour désigner ce désir de prendre toujours plus qui habite le coeur humain. Je réfléchissais surtout sur le récit, où les humains, l'homme et la femme, désirent "devenir comme des dieux" (selon le retournement perfide de l'image de Dieu opéré par le serpent). D'où le désir de maitriser le bien et le mal, de les définir et de pouvoir ainsi juger et condamner l'autre humain, autrement dit, au bout du compte, le désir de maîtriser la vie ou la mort des autres. La proximité de deux arbres conduit bien à cette lecture.
Autrement dit, il ne s'agit pas seulement de la relation à Dieu, car la relation aux autres humains reflète immédiatement celle-ci et lui est étroitement liée. Selon la représentation que l'on se fait de Dieu, selon la relation que l'on a avec Dieu, on entre relation avec les autres humains. L'une ne va jamais sans l'autre. Les prophètes bibliques le répètent et le ressassent sur tous les tons. Et le livre de la Genèse fait suivre immédiatement le chapitre 3 par le chapitre 4 : ne plus faire confiance à DIeu conduit (ici directement) à ne plus faire confiance à son frère, et à le mettre à mort. Caïn ne fait pas confiance au Dieu qui semble préférer les offrandes de son frère... et il tue son frère.