Nous avons apprécié vos indications sur l’historicité du personnage d’Abraham et la composition du texte qui en porte l’histoire.
On s’est aussi souvenu à ce propos, que pendant des millénaires et même après la sédentarisation des peuples premiers et la création des grandes cités (Babylone, Ninive… etc ) les clans nomades faisaient le long périple du « croissant fertile » (Mésopotamie, sud Turquie, Alep, Homs et la côte Méditerranéenne jusqu’à Gaza), puis le reprenaient en sens inverse, vivant ainsi une « histoire » sans histoire, justement circulaire, reproduction indéfinie du « même » sans ouverture ni à-venir.
Puis apparait une expérience singulière qui rompt à jamais ce cercle mortifère pour une « ad-venture » inouïe : pas de retour et l’expérience du nouveau. L’histoire alors se cherche et parfois trouve un sens. Cette expérience déstabilise le retour du « même », ouvre la ronde vers l’inattendu (altérité) et caractérise l’univers mental du Moyen-Orient et le nôtre, en conséquence - nous en sommes les héritiers. C’est cette thématique, ici reprise dans la geste d’Abraham et dont A. Wènin nous offre une bien jolie lecture = « Va ! ».
D’autre part, nous avons insisté sur le thème de l’élection, condition d’une logique des Bénédictions qu’Abraham s’ingénie à contredire à travers la « convoitise » qui se manifeste de façon caricaturale ( ?) avec la rencontre fantasmée du clan d’Abraham et Pharaon.
A cet endroit nous avons butté à comprendre cette thématique des Bénédictions dont Abraham est le bénéficiaire, l’instrument, le missionnaire et éventuellement le briseur.
A l’égard de l’épisode Sarai-Pharaon, nous nous sommes attardés sur le rôle ambigu, puis engagé de la « femme ». En revanche nous nous interrogeons sur la bonne raison et les motivations plus ou moins souterraines des rédacteurs devant le rôle si généreux attribué à Pharaon à l’égard d’Abraham et de son clan.
Robert, pour l'equipe de Bergerac
Créé par : Christine TASSET
Date de création :
Chers amis, Merci de ces…
Chers amis,
Merci de ces réflexions très pertinentes, j’essaie ci-dessous de vous faire écho en reprenant certaines de vos questions.
1- Vous avez remarquablement mis en lumière cette nouveauté du temps biblique, dans lequel nous nous inscrivons ; non pas l’éternel retour du temps grec, stoïcien notamment, mais bien une flèche du temps qui avance vers l’inattendu, l’inouï (Paul dit en 1 Co 2, 9 : « ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme »)… peut-être le Christ, et le Christ total, final récapitulant un jour l’aventure humaine, mais il faut inventer le chemin chaque jour !
Alors la thématique des bénédictions, pour moi, s’inscrit exactement dans cette perspective. Il faut repartir de Genèse 1 : au commencement Dieu dit : c’est beau, c’est bien, et il bénit ! Dieu lance l’histoire humain sous le signe de la bénédiction….
Mais les humains sortent toujours de l’axe de la bénédiction, ils se désaxent sans cesse en voulant maîtriser leur propre destin et celui des autres, en mettant la main sur le bien et le mal, la vie et la mort (Genèse 3 et 4), en se faisant eux-mêmes « comme des dieux » (la proposition du serpent !).
Evidemment, il ne faut pas lire ces récit comme de l’histoire, selon une succession chronologique, il faut plutôt les empiler, comme des strates superposées dans les profondeurs de notre humanité : à chacun de nous est offert la visée de la bénédiction, chacun de nous a tendance à dévier de cette visée et à se refermer sur son propre désir/convoitise/maîtrise, et Dieu ne cesse d’appeler chacun…
Dieu recommence à appeler. Et toujours il appelle un être humain, l’appel est personnalisé et personnel (élection !). Il lui offre, réoffre sa bénédiction, en lui confiant de porter à tous sa bénédiction.
Dieu appelle Abram, et comme à chacun de nous, il lui dit « va », il le bénit, et le charge de répandre la bénédiction sur « tous les clans de la terre ». Vous l’avez tellement bien dit : la responsabilité de l’élection-bénédiction est redoutable, personnellement et en tant que peuple (juif et chrétien !).
Reste à essayer d’être porteur, et non briseur de bénédiction !
2- Les motivations souterraines des rédacteurs devant le rôle du Pharaon.
Je ne sais pas si vous avez eu ma feuille de notes et réflexion sur les premiers chapitres (sur le site, il faut ouvrir le lien Notes et réflexions de RDR, en bas à droite de la feuille de route – mais je vais vous la joindre). En effet j’essayais d’avancer dans cette question :
Tout au long de la Bible, les relations d’Israël avec l’Egypte sont extrêmement ambivalentes.
L’Egypte est, certes, la figure de l’esclavage, de la servitude et de la mort, dont Dieu par l’intermédiaire de Moïse va faire sortir le peuple (la figure sera reprise à la fin de l’exil à Babylone).
A ce titre, il y a toujours un peu de négatif dans l’évocation de l’Egypte et des Pharaons.
Mais l’Egypte est aussi le lieu où en cas de famine les nomades vont se réfugier et se nourrir.
Une belle réhabilitation de l’Egypte est présente dans l’histoire tardive (5ème s. ? ) de Joseph qui clôt la Genèse ; la diaspora juive en Egypte est ancienne, importante et jusqu’au 1er s. av. J.C. très bien intégrée.
Enfin une magnifique vision des relations Israël/Egypte/Assyrie (autrement dit Israël et ses ennemis héréditaires) se lit en Isaïe 19, 19-25 : faites le déplacement, il vaut la peine !
On peut donc considérer que cette forme du récit reflète une tradition ambivalente envers l’Egypte, mais qui montre que le Pharaon peut être plus généreux et moins « pervers » qu’Abram ! C’est courageux de reconnaître que le grand ancêtre partout idéalisé a su aussi être très moche !
Ensuite, j’ajoute que cela fait partie de la conception même du livre et de la pensée « théologique » des auteurs. Dieu reste incompréhensible, et nous n’avons pas toujours à « justifier » Dieu, avec nos petits préjugés et notre sens de la justice tellement sujets à caution !