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Abraham, dans Genèse 22 et 23

Réflexions du groupe de Bergerac.

Au ch. 17, 23 sq, Abraham avait accueilli les promesses de YHWH, y souscrivait en
pratiquant la circoncision. Mais il reste à les réaliser .
Ainsi sur les deux thèmes de l’élection qu’ a commise YHWH, en sorte que se réalise la
bénédiction annoncée, Abraham a la feuille de route. Mais il doit la mettre en oeuvre.


En ce qui concerne l’annonce de la descendance, il semblait que tout fût fait :
Isaac est né, l’unique, celui qu’il aime. Il a été sevré et a grandi . Mais il reste à le libérer
des contraintes parentales et singulièrement de la dépendance paternelle, de sa “ ligature “.
C’est l’objet du ch 22.


Et pour ce qui relève du territoire annoncé par YHWH, tout est à inventer : Abraham a
parfaitement compris qu’il n’est qu’un étranger domiciliataire et que, en dépit des richesses
cumulées, sa situation et sa sécurité sont bien précaires. Pour les assurer il faut
entreprendre une opération quasi commerciale : c’est le ch 23.


Au ch. 22, nous avons bien noté l’ambigüité que porte le texte biblique : s’agit-il de réaliser
un sacrifice d'action de grâces auquel Abraham associe son fils ( registre cultuel ) ou bien
d’une épreuve radicale : un meurtre ( suivi de l’holocauste final ) : ici le caractère de l’acte
comporte une dimension morale et le lecteur est invité à s’associer à l’émotion du rédacteur
(versets 7 à 9 ) et peut-être à celle du sacrificateur. Mais le texte ne nous en parle pas et il
faut toute la diligence de A. Wénin pour nous la faire deviner. Le “test” présenté à Abraham
se situe entre ces deux options .
Pour ce qui est du meurtre - il faut tout de même en convenir -, toutes nos explications
nous gênent. On peut y voir là comme un comportement culturel qui relève de ce que les
sociétés premières pratiquent ( ou, ont pratiqué ). Au don, doit correspondre un contre-don
de même valeur . Tu m’as donné un “ fils “, je te rends un “ garçon “. Et même on n’est pas
loin d’un potlatch, dans la mesure où le contre-don - ici, un jeune homme contre un bébé -
excède la valeur du don..
Sauf à comprendre qu’un don est aussi un signe. Ici, du côté du donateur, le don est signe
de Vie ( une descendance et ce qu’il faut pour l'entretenir : un territoire ). Mais le don prend
signification également de la manière dont le donataire l’accueille et s’en sert . Or dans
notre histoire, ce que rend Abraham à HWH, c’est un… mort…! Belle parabole de la façon
dont nous usons et abusons de la nature qui nous est offerte .Un thème ressassé par les
chrétiens écologistes.

On peut aussi voir, dans cette ligature d’ Isaac, quelque chose comme la liberté de Job
( 1, 21) :” Dieu avait donné, Dieu a repris , que le nom de Dieu soit béni “ dit-il après qu’on
lui a annoncé la perte de tous ses biens et de ses enfants ( fils et filles ). Il y a de la
résignation ; une sorte de stoïcisme avant la lettre … On n’est pas obligé d’admirer, mais
cela nous permet d'admettre ….
En revanche, on s’étonne de voir un Abraham parfaitement obéissant à l’invitation
supposée de YHWH, sans la moindre discussion : on l’avait vu bcp plus résistant, quand il
fallait défendre la vie des sodomiens ; on le verra commerçant tenance au moment
d’acheter le champ de Makpéla. Ici, pas la moindre hésitation !
Pourtant, manifestement, YHWH ne s’y retrouve pas ; la stratégie de Abraham pour “ délier”
son fils est un échec. Simplement, Abraham renonce à la paternité sur son enfant, comme
il “ a renoncé à posséder sa femme, par la circoncision“.....
Cette dernière formulation de A. Wénin (p. 296 ), d'ailleurs, n’est pas sans nous interroger :
d'où notre auteur préféré sort-il cela ? Détail ….


Finalement, nous retenons trois leçons de cette histoire compliquée:
1 : Du point de vue cultuel, Dieu ne veut pas de sacrifices sanglants ( exeunt les leçons du
catéchisme de mon enfance, sur Jésus en croix, offert en sacrifice à son père )
2 : L’idée que l’on se fait de Dieu change ; il n’est pas ce maître imprévisible, impératif et
sanguinaire : il est pour la vie ( bénédiction)
3 : Si l’on devait se faire une idée de Dieu, elle se situerait plutôt dans la relation, plutôt que
dans un anthropomorphisme ruineux. De là ce thème si largement développé, tout au long
de cette séquence, sur l’écoute, la réponse et la vue ( Moriah )
Reste, cependant, une interrogation: “ Puisque tu as fait cela, je te comblerai de
bénédictions ” au verset 17 ( voir Wénin p. 300 ). Voilà que YHWH est beaucoup moins généreux
qu’on ne l’avait espéré. La promesse est circonstanciée : elle devient une rétribution…
Et même, on n’écarte pas la possibilité de victoires militaires. A travers la postérité d'
Abraham c’est la guerre qui se dessine - en dépit de ce qu’en dit A. Wénin à la page 301.
Il se trouve que l’histoire contemporaine nous en offre une illustration sinistre, en Palestine,
justement : “ du fleuve jusqu' à la mer “. (Observation fort personnelle ).


Au chapitre 23, nous avons observé cette notation caractéristique de la judéité : Sarah (
qui devient le prétexte de l’épisode ) est présentée par A. Wénin comme “ mère de la
descendance “. Dans le texte, elle n’est qu’une occasion offerte à Abraham pour engager
son marchandage. Peut-être n’a t-elle jamais été qu’une “occasion” - fut-ce de permettre à
son homme de grandir…D’où la minceur de son rôle de mère, même ici, au moment de la
“ligature” de son fils .(Absolument absente )
Nous avons aimé l’analyse des ruses, avisées de plus, d’ Abraham que fait notre
commentateur aux pages . 318, 319. Un vrai “ marchand de tapis “ au service d’un intérêt
majeur, quand même.
Comment ne pas retrouver, là, les manoeuvres du Baron de Rothschild en 1882, réitérées
en 1924, achetant de larges surfaces du territoire de Palestine pour y installer des colons
juifs ( v.g. Rizon le Zion ) amorçant ainsi l’Aliyah sioniste.
Le Livre de Josué on ne peut plus guerrier, résonnait, déjà, comme un sinistre écho au
verset 17 du ch 22 : la mise en oeuvre par Abraham de la promesse de YHWH est
décidément permanente : la colonisation. On en mesure aujourd'hui le coût.

On veut bien retenir l’optimisme du verset 18, au ch.22 :” par ta postérité SE béniront
toutes les nations de la terre “. Mais de même qu' Abraham s’est trompé en posant sur le
bûcher, son fils Israël - eu égard à l'intention de Dieu, on peut aussi penser que sa manière
d’engager un processus d’occupation colonisatrice ne répond pas exactement à l’option de
YHWH . On peut toujours rêver !
Notre auteur fait observer que le chapitre 23 ne comporte aucune allusion à YHWH, laissant
à Abraham la responsabilité d'utiliser des moyens d’homme pour réaliser les promesses de
Dieu.

On le voit tous les processus d’incarnation de ce que nous concevons comme
“projets” de Dieu sont grevés “ d’hominitude ” .Ces pesanteurs trahissent l’image que Dieu
voudrait, peut-être, nous donner de lui .
Cela en dit long sur le fonctionnement et les prétentions de nos Églises.
Merci, Abraham, de cette leçon ! Belle raison pour goûter le message de Yeshoua !

Créé par : Roselyne

Date de création :

Commentaires

Posté par Roselyne

lun 29/04/2024 - 15:59

Permalien

Merci de vos remarques sur ces deux chapitres, elles sont très suggestives et donnent du grain à moudre...
Voici quelques réactions rapides  :

Je trouve vraiment intéressant que vous ayez reporté la possibilité d'une image fantasmée de Dieu que se fait Abraham autour du sacrifice du fils sur ses errements au sujet de l'acquisition d'une terre.
Je crois vraiment que le texte travaille sur l'idée que l'on peut se faire de  Dieu et du sacrifice. Nous n'en sommes pas vraiment sortis, hélas ! De même, il est urgent de revisiter la notion d'obéissance, si présente dans la tradition chrétienne, et de la replacer comme vous le dites dans un contexte de relation, d'écoute, et, me semble-t-il, d'échange de regard ou de point de vue ("le Seigneur voit et le Seigneur est vu") : ne faut-il pas tenter de regarder du point de vue de Dieu ?

 

Vous soulignez alors l'introduction d'éléments de rétribution au verset 17 : "puisque tu as fait cela, je te comblerai..

" On reviendrait de la promesse inconditionnelle au "donnant-donnant".  C'est une tentation terrible qui traverse toute la Bible, et parfois domine entièrement la conception de l'histoire (Les livres de Samuel et des Rois dans la tradition deutéronomiste, qui pénètre un peu partout ailleurs, chez les prophètes...). 

Ne faut-il pas au contraire considérer que certains auteurs mènent un combat acharné contre cette théologie spontanée et envahissante ? Et paradoxalement, au premier chef, les sacerdotaux : l'alliance du chapitre 17, mais aussi 18, ne dépend pas des mérites d'Abraham et de Sarah, et si elle exige la circoncision, c'est après coup, comme un signe, non comme une obligation morale.
J'ai l'impression que cette tension est partout présente dans la Bible et le reste sourdement dans les mentalité, et Jésus devra dire : "Qui a péché ? Ni lui ni ses parents, mais c'est pour que les oeuvres de DIeu se manifestent... " (Jean 9, 3).
Et qui nous débarrassera de la course aux mérites et de la culpabilité ?

Job essaie et se révolte ... et les derniers rédacteurs du livre ne trouvent rien d'autre pour lui répondre que la soumission devant l'incompréhensibilité de Dieu : "le Seigneur a donné... repris, béni soit le nom du Seigneur" !

Vous dites très finement qu'on n'est pas obligé d'admirer mais qu'on peut admettre. J'avoue que je peux admirer chez certains cette attitude, mais en aucun cas je ne peux l'admettre !


Oui, je vous suis volontiers sur le fait que toutes ces tentatives humaines, bien humaines, pour réaliser ce qu'on croit comprendre du dessein de Dieu (Saraï et Agar, Abraham et Isaac, l'achat du champ et...bien sûr le processus de colonisation) sont lourdement marquées d'hominitude, et parfois même d'hommerie et trahissent le visage de Dieu.
Un travail constant doit nous habiter : celui de démasquer sans cesse l'idole dont nous recouvrons le visage de Dieu, parce que cela nous arrange tellement !

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