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Auteur
Philippe VAILLANCOURT

 

Revoir les pratiques catéchétiques au Québec ? L’idée n’est pas nouvelle, mais le passage de la parole aux actes a été plutôt difficile ces dernières années au sein de l’Église catholique. Mais la pandémie pourrait bien devenir l’occasion inattendue de revoir en profondeur les pratiques catéchétiques.

Ainsi, l’Église de Québec entend profiter de la pandémie pour repenser son rapport à la catéchèse des sacrements d’initiation.

Mettre les services catéchétiques en pause

Dans une vidéo mise en ligne le 9 septembre sous le titre : Rendez-vous diocésains 2020-2021 : pour un nouveau départ !, le cardinal Gérald Lacroix s’adresse aux diocésains de Québec pour les appeler à faire une « pause » dans les parcours catéchétiques afin de dégager le temps nécessaire pour mieux penser la suite. Les derniers mois, dit-il, ont donné à l’Église québécoise une « occasion inespérée pour recommencer autrement ».

« De moins en moins de nos frères et sœurs québécois sont chrétiens, rappelle-t-il. Cela ne peut pas nous laisser indifférents. Il y a urgence que nous évangélisions et formions à la vie chrétienne. Force est de constater que nos méthodes et nos façons de faire ne donnent pas les fruits que nous attendons. »

Sans le dire explicitement, l’archevêque de Québec dresse un certain constat d’échec des pratiques catéchétiques des dernières décennies, tout en précisant qu’il ne jette la pierre à personne. Mais, souligne-t-il, « très peu d’enfants, de jeunes, de couples et de familles continuent à cheminer dans la foi une fois les étapes remplies pour pouvoir vivre et célébrer un sacrement ».

« Si vous n’avez pas encore commencé les catéchèses avec les enfants et les jeunes en vue de les préparer aux sacrements de l’initiation chrétienne, le temps est propice pour faire une pause. Donnons-nous au moins l’automne pour réfléchir ensemble », invite-t-il. Il demande ainsi « temps et espace » pour discerner les prochaines étapes pour mettre en œuvre « la priorité de la formation à la vie chrétienne des adultes ». Et pour les endroits où la catéchèse d’automne a déjà commencé, il propose de prévoir un temps de pause à partir de janvier. « Je sais que cette demande va créer un certain émoi », convient-il. « Mais sans cette mise sur pause, nous savons qu’il ne sera pas possible de faire des changements en profondeur, des changements qui sont nécessaires. »

Les baptêmes et mariages ne seront pas affectés

L’archidiocèse de Québec s’empresse de préciser qu’il ne s’agit pas d’un moratoire strict : « Un moratoire implique davantage un côté formel, avec un décret, une imposition unilatérale d’arrêter tout le monde en même temps, sans adaptation possible », précise Marie Chrétien, coordonnatrice de la pastorale pour l’archidiocèse de Québec. « L’archevêque a vraiment choisi de demander plutôt une pause, avec des nuances possibles, des calendriers flexibles, etc. »

L’intention est de faire en sorte que cette pause puisse faciliter une « transformation » au profit de l'initiation chrétienne des adultes. « On va se donner du temps pour se demander comment on va travailler directement avec les adultes, et par ricochet, avec les familles », confirme Mme Chrétien.

L’archidiocèse de Québec a précisé que cette « pause » inédite n’affectera ni les baptêmes ni les mariages même si, un jour, les approches pastorales pour ces sacrements seront aussi appelées à être révisées.

Le diocèse n’est pas en mesure de dire combien de jeunes ou de familles seront touchées par cette pause. On sait toutefois que la demande pour les sacrements d’initiation chrétienne est en baisse depuis plusieurs années, surtout en ce qui concerne le premier pardon, la première communion et la confirmation. En 2018, les autorités diocésaines ont répertorié 2400 confirmations et 2001 premières communions.

La pause annoncée par le cardinal doit s’accompagner d’un projet qui vise à favoriser la création de « maisonnées », c’est-à-dire que de petits « groupes de cheminement » de fidèles qui « s'accompagnent mutuellement et s'outillent pour partager leur foi dans leur entourage ». « Beaucoup de gens admettent avoir de la difficulté à parler de leur vie intérieure… En les outillant, on espère que cela permette à de nombreuses personnes de rencontrer le Christ, indique Mme Chrétien, précisant que « les autres types de projets locaux visant la formation des adultes seront aussi valorisés ».

Un constat partagé

La nouvelle directrice de l’Office de catéchèse du Québec, Suzanne Desrochers, voit d’un bon œil cet appel, qu’elle qualifie d’audacieux. Il est rare, observe-t-elle, d’entendre un évêque demander de mettre ces services catéchétiques en pause. Elle constate que plusieurs milieux catholiques se demandent comment relancer la machine catéchétique cet automne. À certains endroits, on lui parle de difficultés à recruter des catéchètes. « Peut-être que Mgr Lacroix dit tout haut ce que plusieurs pensent tout bas », dit-elle.

Elle décrit la réalité du terrain pour plusieurs catéchètes : le défi du recrutement de bénévoles, le rythme effréné, la tentation de suivre des parcours catéchétiques livresques sans sortir des sentiers battus. « Ça fait longtemps qu’on dit qu’on veut faire autrement, mais on est rattrapés par le feu roulant. Nous sommes devant des difficultés pour transformer nos façons de faire. Force est de constater que les transformations déjà faites ne vont pas aussi loin que ce qu’on espère », reconnait Mme Desrochers.

L’attention portée aux adultes la touche particulièrement. « C’est vrai qu’on n’arrive pas à développer ce chantier-là de façon plus large. Nous ne sommes pas encore allés au bout de ce qu’on veut faire. » À ses yeux, la catéchèse est à concevoir par-delà le stéréotype de la préparation sacramentelle, afin d’être « pour tous âges » et devenir « l’occasion de se mettre à l’écoute de ce qui résonne en soi et dans son expérience ».

La question de la manière de procéder reste toutefois à élucider. Prendre le temps de réfléchir lui semble donc être la première condition sine qua non pour y parvenir. « Il faut être lucides, ouvrir le questionnement et arriver à l’intégrer davantage. Ralentir, créer un espace de discernement, doser davantage l’écoute au cœur de l’action. Et pas juste en contexte de pandémie : pour que cela devienne notre façon de fonctionner dans l’avenir ! Ça résonne en moi. Et c’est ce que je souhaite pour l’Office de catéchèse du Québec et les milieux pastoraux. »

Opérationnaliser le changement

De son côté, le professeur québécois Daniel Laliberté, professeur de théologie catéchétique, sacramentaire et liturgique au Centre de formation diocésain Jean XXIII de Luxembourg, se réjouit de cette annonce. Comme théologien, il s’intéresse depuis longtemps aux parcours d’initiation chrétienne. En amont des enjeux propres à la catéchèse, il voit dans cette pause la question du « fonctionnement » des communautés chrétiennes qui cherchent à proposer la mise en contact avec l’Évangile. « Voilà le premier fruit à attendre de la pause annoncée, dit-il. Celui-ci n’a pas explicitement rapport avec la catéchèse, sinon par le fait que cette activité pastorale occupe tellement de temps des agents pastoraux qu’il faut la ralentir beaucoup – et donc même l’arrêter – pour dégager le temps requis de la réflexion. »

Cela dit, on estime qu’on peut attendre des fruits pour la catéchèse elle-même de ce temps d’arrêt. « La catéchèse est au cœur de la mission d’annonce de l’Évangile, de sorte que la réflexion à mener sur la mission doit entraîner nécessairement une transformation de l’offre catéchétique. Non pas une simple opération cosmétique, mais une modification en profondeur de la façon dont la communauté pense, organise et propose la catéchèse », croit-il. Une transformation qui permettrait notamment de faire en sorte que l’Église ne se centre plus sur les sacrements comme finalité catéchétique, mais davantage sur la proposition globale de la foi.

Autrement dit, l’enjeu lui parait déjà assez clair : « Pour le dire abruptement, si, après la pause requise par l’archevêque, l'offre catéchétique ne repart pas en ayant assumé ces deux changements – proposer la foi plutôt que les sacrements, et déployer une solide catéchèse pour adultes – alors la pause n'aura servi à rien ! »

Le défi, fait-il valoir, consistera à s’autoriser une pause qui soit suffisamment longue pour permettre de réellement structurer un projet catéchétique paroissial dont l’adulte est le pivot, le promouvoir correctement et « développer un 'argumentaire solidaire' pour faire face aux 'demandes sacramentelles' qui reviendront assurément ».

À l’instar de Suzanne Desrochers, le professeur Laliberté rappelle que le constat d’une inadéquation entre la proposition catéchétique et les résultats obtenus n’est pas nouveau, mais que c’est le passage à l’action afin de renverser la situation qui pose problème. « Pourquoi n’y arrive-t-on pas ? »

Il y a certainement de la résistance au changement, observe-t-il. Mais cela n’explique pas tout. Le problème tiendrait surtout au fait que rares sont ceux qui parviennent à proposer une opérationnalisation du changement capable d’indiquer clairement quel est l’objectif, la « situation nouvelle », à atteindre, de même que les étapes pour y parvenir.

Mais, portée par une forte valorisation de pratiques conventionnelles, l’Église québécoise a-t-elle encore la capacité de mener à bien un tel projet qui requiert de sortir des sentiers battus ? « Que cela plaise ou non, les temps ont tellement changé que l’Église, cantonnée dans ses pratiques, a vu sa crédibilité sérieusement entamée, tant elle est en porte-à-faux avec le monde d’aujourd’hui », lance le professeur. Le pape, fait-il remarquer, est le premier à scander que le « on a toujours fait comme ça » n’est plus un critère valable. Alors que l’Église répète depuis des années qu’elle veut être missionnaire et aller vers les gens, délaisser ce vieux réflexe est une condition sine qua non.

« Et pour moi, le plus grand enjeu n’est pas d’abord individuel, il est communautaire. Une Église missionnaire, c’est une Église du 'Voyez comme ils s’aiment', autrement dit une Église où l’amour fraternel et l’engagement pour le bien, pour la dignité, etc., est rendu visible », affirme l’expert. C’est d’abord par une telle présence dans le monde « au nom de [leur] foi » que les communautés chrétiennes pourront réussir le virage désiré, croit le professeur Laliberté qui estime que l’opération a des chances de réussir.
 

Philippe VaillancourtPrésence info – 2020-09-15 – Québec

http://presence-info.ca/article/eglises/le-cardinal-lacroix-propose-une-pause-des-parcours-catechetiques