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Quelle a été votre enfance, votre jeunesse, votre formation, et le choix de devenir prêtre ?
Mes parents étaient très croyants. J’ai été longtemps enfant de chœur, membre des « Cœurs Vaillants ». À 8-9 ans, mis dans la démarche de l’Action Catholique, je vendais le journal Cœurs Vaillants. J’allais au patronage. J’ai été marqué par les activités, plutôt que par le catéchisme.
En école catholique, c’est une enseignante qui m’a appris le Bon Dieu et ma préparation à la première communion m’a beaucoup marqué.
Mon enfance a aussi été marquée par la guerre. Papa mobilisé de 39 à 42. La division des hommes, armée allemande, résistants, coups de feu, bombardements, mais aussi des Allemands à la messe ; on peut prier en étant ennemis, les uns à côté des autres. La guerre finie, j’ai vu des prisonniers allemands travailler les terres de mes grands-parents. Ça m’a marqué : le besoin de la paix, du pardon, de la miséricorde, ça, c’est l’Évangile.
À 12 ans je rentre pensionnaire à Valence à l’Institution Notre-Dame en vue d’être prêtre. C’est une période d’Église, 48 à 52. L’économe de la pension me dit : on peut être menuisier et prêtre. Pour ne pas être à charge de mes parents (il y avait 3 enfants à la maison), je suis rentré en formation de menuisier à Lyon chez B., un prêtre directeur qui formait des hommes d’établi. On travaillait dès la 2e année pour une clientèle aisée. En 53, plus de travail chez B., j’ai travaillé avec mon père à Saint-Vallier. J’allais au centre d’apprentissage le mercredi. Là, un prof de maths m’a permis de refaire en 2 ans le cours par correspondance et d’obtenir le CAP.
Les mois suivants, je me suis braqué avec mon père pour une réflexion sur une copine. Je suis parti le lendemain chercher du travail à Lyon. Je retourne chez l’abbé B. qui me fait embaucher chez un menuisier décorateur.
Il m’arrivait toujours d’aller à la messe, même en semaine. J’ai fait pas mal de colos avec des séminaristes. Je travaillais dans le bois comme saint Joseph. J’ai fait des autels, des tabernacles, des chaires, des planchers d’église pour rehausser l’autel. Ça m’a toujours collé à la peau. Je n’ai jamais manqué la messe tant que j’ai été le propre meneur de ma vie, même à l’armée. J’avais fait des essais en JOC pas très suivis.
L’armée : je me suis engagé pour 2 ans. J’ai eu une formation de surveillant d’opérations aériennes. Breveté, je pouvais choisir mon lieu d’affectation. J’avais presque une fiancée qui m’invite aux fiançailles de son frère, et voilà que je connais cette fille et je n’étais pas insensible à elle.
Ma fuite, ça a été de choisir l’Algérie sans passer à la maison. J’avais passé les 3 jours de Pâques dans l’Ain avec un vieux prêtre avant de partir.
En Algérie, j’ai passé 2 mois à jouer à la pétanque et aller à la plage. Sur la base, je participais à l’équipe d’aumônerie. On se rassemblait pour la prière. J’ai construit une église en dur, c’était mieux que la salle de cinéma pleine d’affiches. J’étais d’enterrement toutes les semaines à Maison Blanche. J’ai gardé des relations avec l’aumônier et le séminariste Georges qui était infirmier à l’hôpital.
Quand je reviens en France, je repars à Lyon chez le menuisier décorateur. Je retrouve Georges qui me dit qu’il existe des écoles de vocations d’aînés.
Ma vie se change, je bois moins de canons, je ne vais plus jouer aux cartes au bistrot après ma journée de travail. Je vais à la messe et voilà qu’arrive fin mai le centenaire du curé d’Ars et le congrès eucharistique international. Je vais à des conférences à la cathédrale, dans des salles à Lyon. Un mardi après-midi, j’étais à mon atelier dans les bouts de bois, tenons et mortaises, et une phrase d’Évangile résonna dans ma tête : « Laisse là tes filets je te ferai pêcheur d’hommes. » Je me retourne parce qu’il me semblait que la voix venait d’au-dessus, j’étais seul. Je téléphone à mon vicaire : « Je veux être prêtre. » Il me donne rendez-vous à son bureau le samedi. Le vendredi soir, je pars à Ars à pied, 30 km, j’ai égrené le chapelet tout le long. Tout l’été je suis embauché comme directeur de colonie de vacances à La Louvesc.
Le 1er septembre je suis accueilli à Roussas (Drôme) au séminaire de Vocations d’aînés. Nous étions 35, j’avais 23 ans. J’y fais une 3e, une seconde, une première. J’avais mission d’entretenir la maison. Je pouvais utiliser l’atelier de menuiserie de l’abbaye d’Aiguebelle toute proche, je ne payais ainsi que la moitié de ma pension. La spiritualité, la prière nous tient. Je fais l’année de philo à Valence, étant aide-surveillant à l’Institution Notre-Dame. La lecture du Traité du Caractère d’Emmanuel Mounier m’a beaucoup éclairé. Pour moi, ça veut dire qu’on est habité par notre âme et que chez tout être humain, même atteint de la maladie d’Alzheimer, même en folie, même paralysé, l’âme est intouchable, elle n’a ni migraine, ni cancer. Ça a été un peu mon phare.
Puis c’est le grand séminaire, je choisis le Prado à Limonest. J’y entre le jour du Te Deum en l’honneur de Paul VI, pour 2 ans. Humilité, proximité, simplicité, c’est très évangélique, on est en autodiscipline par équipes de 5. Je suis marqué par la vie du Père Chevrier.
Je suis ordonné prêtre en juin 68. L’évêque me demande d’être vicaire pendant 5 ans avant de reprendre le travail. Il y a une prise de conscience du clergé de la Drôme pour aller au monde. Certains l’ont traduite par entrer au travail, d’autres renforcer l’Action Catholique, l’aumônerie de l’enfance, l’éveil à la foi, d’autres vivre en HLM. Au bout d’un an de vicariat, je suis rentré à mi-temps au travail, dans la menuiserie. On faisait un travail d’usine, ça ne me convenait pas.
À Montélimar, je suis entré comme manutentionnaire dans un hypermarché composé d’une grande surface et d’une galerie marchande. Dès les premiers 6 mois, il y a eu une vague de licenciements qui m’a épargné et qui m’a amené à contacter la CFDT, dont je connaissais des membres par l’ACO. Je suis devenu délégué du personnel et j’y suis resté 22 ans.

Qui est le Christ pour vous ?
Aujourd’hui, avec l’âge (82 ans), l’expérience, je dis que le Christ c’est le possible.

Qu’est-ce qu’être prêtre ?
Il y a la prière, les Béatitudes, ce contact sur le terrain avec la société en éventail où il y a des personnes âgées, des handicapés. Aussi dans la vie de famille, des épreuves d’humeur, de fatigue, de santé.
Par la JOC j’ai découvert des conditions sociales différentes de celles de ma famille où c’était très ouaté. C’est un contraste qui m’a saisi. La lecture de la vie du Père Chevrier qui était un homme du quartier où on vivait (paroisse Saint-André-la-Guillotière à Lyon). Là s’est enraciné ce chemin d’un appel sans que je puisse en sortir.

Qu’est-ce qui vous a marqué ?
Pendant mon adolescence, en apprentissage, j’ai donné beaucoup de samedis après-midi au Secours Catholique à Lyon. J’ai côtoyé des jeunes sortant de familles précaires. J’ai été marqué par la pauvreté dans les vieux HLM de Lyon où nous venions réparer les vieilles fenêtres et par l’accueil chaleureux de ces habitants.
Un prêtre qui m’a ouvert l’esprit, un formateur patient, un autre directeur de la pension de famille où je logeais qui savait être éducateur : nous donner des responsabilités et nous aider à prendre notre place presque en communauté, généreux et fraternel.
Prêtre ouvrier.
Je n’étais pas préparé à conduire un peuple plus qu’un autre, si ce n’est d’être en monde ouvrier témoin de l’Évangile. Être avec, peiner avec, aller jusqu’au bout d’un ministère, contre l’exploitation de l’homme tout en vivant en paroisse. Avec au moins 7 prêtres, une secrétaire, une cuisinière.
Associé au ministère d’accompagnement de veuves avec le contact au plan national d’« Espérance et Vie ». Aumônier, j’ai reçu une formation guidée par les jésuites pendant 25 ans dans laquelle j’ai trouvé ce que la vie ne m’avait pas enseigné. Mouvement animé par des femmes militantes, je participais tous les 4 ans à leur pèlerinage à Lourdes. Ministère pas déclaré, un peu déçu qu’il n’y ait pas d’appel à ce service de la part de mon évêque.
J’ai été de 1995 à 2011 aumônier de l’hospitalité de Notre-Dame de Lourdes.

Le concile Vatican II ? Mai 68 ?
Avec Jean XXIII, l’Église apparaissait comme un lieu d’affection. Il donnait une image de pasteur qui renforçait l’Église et la France qui avait perdu l’Algérie, qui donnait un peu de bonheur ; il ouvrait la fenêtre pour changer l’air.
J’étais à l’époque au grand séminaire avec monseigneur Ancel qui a participé au concile. Nous avions des échos de ce qui se passait (l’intégrisme). J’ai vécu tout mon grand séminaire (5 ans) dans cet esprit. Ma fréquentation du monde ouvrier n’a cessé de trouver sa place dans cet esprit du concile. Ce qui a pu changer, c’est l’espérance, la miséricorde du pape François pour le peuple de Dieu.
On a mis dans l’oubli la sexualité. Beaucoup de prêtres qui avaient déjà 40 ans devaient attendre la possibilité du mariage. Moi, j’étais rentré au séminaire pour être célibataire. Beaucoup ont arrêté leur ministère.
Les évènements de 68. Il y avait aussi besoin de changement dans la société. Il y a eu des déçus devant la lenteur des réformes dans l’Église. Ça a touché les plus jeunes, les séminaristes à venir.
Humanae Vitae : la première année où j’étais prêtre, des jésuites passaient dans les diocèses de France pour un enseignement d’ouverture, pour minimiser l’opposition à la pilule, nous faire prendre conscience que c’était laissé à la liberté des couples. Prêtre, on n’est pas père de famille, ni époux.
La liturgie : utilisation de la langue française, la soutane que j’ai laissée au porte-manteau. En 69 je rentrais au travail. C’était une ouverture : l’Église va au monde, c’était tout à fait mon désir. J’ai vécu mes années de séminaire dans l’enthousiasme.
On peut regretter les discours intégristes. On peut regretter l’excommunication de Monseigneur Lefèvre.
Le diaconat est né en 1970, il y a eu une formation des diacres très sérieuse. Ce sont des laïcs et non plus des prêtres qui portent la charge des mouvements d’action catholique, ACI, JOC. On n’a pas été bien préparé à cette ouverture des ministères, le prêtre s’éclipse naturellement. Des diacres reçoivent un ministère qui avant était porté par des prêtres.

Aujourd’hui ?
Diminution du nombre de prêtres dans le diocèse : 450 en 68, aujourd’hui 36 plus 15 africains, 2 hindous, 3 capucins. Diminution des membres des communautés de femmes, des moines de l’abbaye d’Aiguebelle, départ des Trappistines et des Carmélites. Le vide religieux est très fort dans la Drôme.
On a eu un changement de société, presque un retournement. Le concile a donné valeur à la conscience de chacun. Maman me disait : « le curé, le pape, je prends en compte ce qu’ils disent. »
Après 1945 il y a eu des transformations ; la consommation, les « 30 Glorieuses », comme un rouleau compresseur ont changé les mentalités : vacances, cinquième semaine de congés payés, meilleur niveau de vie sans que nos pasteurs aient profité de ces changements. C’est seulement aujourd’hui que les prêtres ont des logements confortables.
Les consciences n’ont pas été éduquées dans le sens des valeurs de la sexualité dès l’école. Il y a eu un bouleversement des mœurs. Ce qui fait la baisse des vocations, c’est qu’on est dans une société sans conscience. C’est mon expérience en hypermarché qui me fait dire ça : quand on y entre, il y a de la lumière, de la musique, un grand choix d’articles, on est poussé à la consommation, tout est fait pour t’intoxiquer sans que tu t’en aperçoives.
À propos de la sécularisation :
Il y a des phrases de la Bible qui sont lumière, Dieu a envoyé son Fils dans le monde pour la multitude. L’Esprit Saint est donné pour la multitude, qu’on soit croyant, incroyant, catholique, protestant, chacun dans sa foi en Dieu.
La Création nous a faits avec intelligence, cœur et volonté. La grande mission de l’Esprit-Saint est : « aimez-vous les uns les autres », la Bonne Nouvelle de l’Évangile, humilité, proximité, simplicité. L’Esprit de Dieu n’est pas cloisonné dans une institution ou dans une hiérarchie. Le monde ne va pas à hue et à dia, arrêtons de voir la paille dans l’œil des autres, alors que la poutre est dans le nôtre.
L’Église n’est pas assez dans l’Action de Grâces pour tout ce qui se fait de bien. L’institution ne sort pas assez de son cadre. Des églises ont été fermées à Montlouis, à Montélimar, au Polygone et au Grand Charran à Valence. On se satisfait d’un rassemblement qui regroupe le plus de monde pour l’eucharistie dominicale. À Crest le curé ne se déplace pas pour 10 personnes. On fait venir des prêtres africains, ils recentrent.
L’alternative positive à cette situation est l’engagement des laïcs. Je souhaite qu’on ordonne des hommes mariés, à 50 ans. Les évêques de France ne le font pas.
L’urgence, c’est le service des pauvres. C’est la démarche première du Christ. C’est une adaptation qui ne se fait pas du jour au lendemain. Il ne s’agit pas de faire tourner l’institution, mais de proclamer la Bonne Nouvelle.
L’Église a à se dépouiller : François d’Assise, Charles de Foucauld, Sainte Thérèse, le Père Chevrier, les 19 martyrs d’Algérie. Pas de pouvoir à l’Institution, si ce n’est celui de la Bonne Nouvelle.
Depuis des siècles on sait reconnaître en Église la fragilité. Elle est humaine, et touche tout homme, toute femme. Le Bien, c’est toujours ce qui a étonné le Christ, la puissance de l’Esprit le précède. Ce qui est nouveau, c’est la grande place tenue par les femmes depuis Rome. L’Église n’est pas misogyne. Le pouvoir des hommes est en diminution dans la société occidentale. Jésus est miséricorde. Il a pris du temps avec le monde féminin. Espérance, on est dans les pas du Christ, il y a des chemins nouveaux, la prière, la vie communautaire est nécessaire. La relation avec les autres croyants est sans cesse à développer sans perdre son identité. Il n’y a qu’un seul Dieu. Recherchons le dialogue avec l’Islam. On gagne à se reconnaître mutuellement.

La vision de l’avenir, c’est l’unité, le rêve : que le peuple de Dieu vive l’Évangile. Écoutons François, ce qu’il dit à la curie pour le carême et dans sa récente lettre au peuple de Dieu.