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Assemblée


La célébration était présidée par Marie-Paule Gary.

Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 9, 22-25
En ce temps-là Jésus disait à ses disciples : « Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup, qu’il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu’il soit tué, et que, le troisième jour, il ressuscite. » Il leur disait à tous : « Celui qui veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix chaque jour et qu’il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi la sauvera. Quel avantage un homme aura-t-il à gagner le monde entier, s’il se perd ou se ruine lui-même ? »

Prédication d’Isabelle Le Bourgeois :

Nous le savons, depuis le temps, le carême commence toujours par des propositions un peu radicales qu’accueillent en nous des états d’âme variés : lassitude ? joie ? indifférence ? désir ardent ? refus ?

Aujourd’hui, pris par l’urgence de nous transmettre le cœur de son message, Jésus frappe fort en nous annonçant sa passion et sa résurrection : souffrir, être rejeté, être tué… et puis ressusciter. Depuis le temps que nous écoutons cela et que nous le commentons, qu’est-ce qu’il reste en nous ? Comment est-ce que cela continue de faire sens ? De nous faire vivre ?

Mais déjà Jésus enchaîne en parlant de nous et nous invite à entendre ce que signifie le suivre. Renoncer à soi-même, prendre sa croix chaque jour. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra. Mais celui qui perdra sa vie à cause de moi la sauvera.

Programme alléchant s’il en est ! Peut-être que certaines ardeurs en seront freinées ?

Sauver, perdre ! Couple infernal de pile ou face. Cela a été le fond de commerce de l’Église pendant des siècles : nous faire peur avec la radicalité de l’issue ! Tu es du bon côté, ouf tu es sauvé ! Sinon, c’est l’enfer éternel !

Alors, si l’on reste dans cette logique, il nous faut mettre en place un programme. Un programme pour rester dans les bons papiers de Dieu, pour être du bon côté. Sauver s’éloigne au profit d’une tension : ne pas perdre ! Vous souriez ? Vous pensez que ce Dieu-là, personne n’y croit plus ? Pourtant il est régulièrement dans le cabinet de la psychanalyste que je suis. Sous des formes variées et subtiles, mais toujours prêt à faire rendre des comptes aux humains que nous sommes : culpabilité, honte, désir de perfection…

Je me souviens qu’à la prison – où j’ai passé plus de 17 ans – certaines personnes détenues étaient particulièrement inquiètes de ce que pouvait bien être le salut et comme dans leur détention elles mettaient en place une même logique : se tenir à carreaux pour gratter des permissions de sortir, des remises de peines… On ne sait jamais… Avec Dieu c’était pareil.

Sauver, perdre ? Que dois-je faire pour être sauvé ? Pour ne pas me perdre ? Ce ne sont pas forcément nos questions quotidiennes mais le carême nous les remet devant les yeux, le cœur, l’intelligence.

Convertissez-vous et croyez à l’évangile, nous dit-on lors de l’imposition des cendres. Est-ce ça qu’il nous faut faire ? Se convertir et croire ? Il semblerait. Mais peut-être, pour le vivre, aurons-nous à nous défaire du risque de prendre cela pour une injonction. Car ce n’en n’est pas une. Ce n’est pas un ordre, pas plus qu’un des nombreux « il faut » de la terre que nous nous mettons sur le dos. Il ne s’agit pas de devoir mais de désir. 

Celui qui veut sauver sa vie la perdra. Mais celui qui perdra sa vie à cause de moi la sauvera. Ce que Jésus nous offre est une parole puisée aux sources mêmes de la Vie. Il sait de quoi il parle, il sait quel est pour nous le bon chemin. Il nous invite à nous laisser faire par l’inversion apparente des mots et de leurs signifiants. Il sollicite notre désir et non notre volonté.

Sauver, perdre ? Nous l’avons bien remarqué, ces deux mots parlent de vie et de mort. C’est ce que rappelle la première lecture de ce matin : « Je prends aujourd’hui à témoin contre vous le ciel et la terre : je mets devant toi la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction. Choisis donc la vie, pour que vous viviez, toi et ta descendance, en aimant le Seigneur ton Dieu, en écoutant sa voix, en vous attachant à lui ; c’est là que se trouve ta vie. » (Dt 30, 19-20) N’est-ce pas exactement ce que nous dit Jésus dans l’évangile qui nous occupe ?

Sauver sa vie, c’est la perdre. Car là nous sommes tout seuls. Qui perdra sa vie à cause de moi la sauvera. À cause de moi : il y a quelqu’un, c’est au nom de quelqu’un, il y a une relation possible. Tout seul n’est pas une relation.

Qu’est-ce à dire sinon que sauver et perdre ne sont pas au même niveau. Le « à cause de moi » nous introduit au mystère du salut. Nous ne sommes sauvés que parce que nous entrons dans une relation. Nous sommes perdus quand nous croyons que nous n’en avons pas besoin.

Venez et voyez, a-t-il dit aux premiers disciples. Pas voyez et venez ! Il y a à découvrir en chemin, rien n’est donné d’avance sauf l’assurance que nous ne serons pas seuls, que quelqu’un marche avec nous.

Et si vous acceptez de rentrer en relation avec moi et de venir avec moi, alors vous saurez le chemin qui mène à vous ! Va vers toi-même dit Dieu à Abraham et non pas viens vers moi ! (Marie Balmary in Le sacrifice interdit) Il me semble que cela a quelque chose à voir avec l’aventure du salut que Dieu nous propose et que la liturgie nous permet d’approfondir.

Je termine par l’histoire de Martin qui avait tué à plusieurs reprises et sortait d’un procès très médiatisé. Il m’avait fait appeler pour me demander deux choses. « J’ai appris que ma victime était croyante et sa famille aussi, je voudrais que vous priez pour eux. Et que croyez-vous que Dieu fera de moi quand je me présenterai là-haut ? Ne me répondez pas trop vite. » Huit jours plus tard j’ai demandé à le voir. « Laissez-moi vous dire quelque chose d’abord. J’avais 11 ans et j’ai sauvé un homme qui se noyait. On m’a donné une médaille. Croyez-vous que cela va compter quand je me présenterai devant Dieu ? » Difficile réponse qui demande que l’on aille la chercher au plus profond de soi.

« Je crois en un Dieu qui ne désespère d’aucun Homme et qui attend chacun au rythme qui est le sien.» – « Alors si je suis perdu pour les hommes, je ne le suis peut-être pas pour Dieu ! »

Martin a accepté la possibilité d’une relation avec Dieu, lui qui avait tellement abimé la relation humaine !

Entrons joyeusement dans une relation renouvelée avec le Dieu de Jésus-Christ. C’est le sens du carême que de nous aider à nourrir le vivant en nous ! Le premier dialogue entre Dieu et l’humain commence par une question posée par Dieu même : « Où es-tu ? » Non pas qu’as-tu fait mais où es-tu ? 

Entendons cette question pour nous aujourd’hui : où es-tu toi Isabelle, toi ?

Auteur

CCBF