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Auteur
Anne SOUPA

Prix littéraire de la Conférence : « Bon Livre » n°9, 2018

Cette « Note de lecture » vous invite à vous procurer l’ouvrage, à le lire, afin de pouvoir voter pour le livre de votre choix, parmi les douze « bons livres » proposés par la Conférence.

Claude Plettner, Lettres à Paul de Tarse, l’homme du scandale.
Éditions du Cerf, 2018

Il y a dans ce livre, une sacrée vivacité. De ton, de vocabulaire, de pensée. Encore accentuée par le choix de l’auteure, celui d’écrire des lettres, comme en réponse à celles que Paul envoya aux jeunes communautés adeptes du Christ. Ces lettres, tout chrétien les connaît généralement par le passage qui en est lu lors de la liturgie dominicale. Mais grâce aux « lettres réponses » de Claude Plettner, nous quittons le monde pesant de ces « secondes lectures » presque surréalistes tant elles sont sorties de leur contexte, obscures à force d’être saucissonnées pour établir à tout prix un « raccord théologique » avec les deux autres lectures. Oui, par l’entremise de ce petit ouvrage peu intimidant et construit pour l’échange, nous comprenons Paul. C’est sans peine aucune que vous le suivrez, envahi par sa foi en un Christ jamais connu « par la chair », convaincu, sur la base de cette vision, que « la Voie » ouverte par le rabbi de Nazareth devait pouvoir atteindre des non Juifs, et obligé, par contrecoup, d’en découdre encore et encore avec les autorités juives. Malgré la « Bonne Nouvelle » dont il se disait porteur, Paul aura réussi à susciter autour de lui plus d’ennemis que d’amis. De page en page, ces tensions humanisent le grand homme et entraînent le lecteur à ses côtés.

La gratitude du lecteur va aussi au très lourd travail de fond qu’a dû demander à Claude Plettner la structuration simple et efficace de son propos. Quelle belle maîtrise de ce qui s’écrit sur le sujet ! Les quinze lettres de ce livre suivent, en gros, les étapes majeures de la vie de Paul et abordent les principales thématiques qui ont été les siennes, ou bien portent sur des sujets si universels qu’ils sont encore les nôtres aujourd’hui. Après une lettre introductive qui campe l’éblouissement vécu sur le chemin de Damas, Claude visite l’enfance de Paul, son milieu familial (avec tous les non dits qui informent peut-être autant que ce qui est dit), son fanatisme de persécuteur, et surtout le grand conflit qui l’opposa à Pierre, chef des apôtres et à Jacques, chef de l’Église de Jérusalem, au sujet de l’accueil des convertis non venus de la religion juive : fallait-il qu’ils soient soumis à la circoncision et aux rites de table ? La théologienne montre les blocages, les affrontements, la persévérance de Paul, malgré ses nombreux échecs (ou grâce à eux ?). Elle expose et se questionne elle-même, longuement, sur la place de la loi dans une vie de foi. En chemin, elle aborde une question très actuelle, celle de l’attitude de Paul envers les femmes, le décrivant divisé entre son audace naturelle et la nécessité toute pragmatique de s’inscrire dans la culture ambiante. Et grâce au choix du style épistolaire, elle peut, non seulement interpréter, mais aussi commenter et interpeler Paul, comme si elle était vraiment en sa présence et qu’elle lui disait un peu tout ce qu’elle pense.

En somme, lire ce petit livre plein d’esprit est une occasion exceptionnelle de se rendre proche de celui qui est reconnu comme le plus grand passeur de tous les temps. Faire passer « son Évangile », « sa Bonne Nouvelle », de l’univers juif à l’univers gréco romain, sur la foi d’une révélation personnelle – certainement suspectée par ceux qui avaient connu le Jésus de l’histoire – est un tour de force qui fascine, bien au-delà des cercles croyants. François Mitterrand, par exemple, disait son admiration pour Paul. Cette aventure du passage, menée par un petit homme qui se disait malingre, mais ne quittait jamais longtemps le manteau et le bâton du voyageur, qui se disait sans talents, mais avait une extraordinaire intelligence des situations, devient, lorsqu’elle est vécue au plus près, celle-là même du lecteur.

C’est ce que réussit à faire Claude Plettner, en 172 pages d’une érudition si bien assimilée qu’elle ne se voit plus et où ne reste que la chaleur du dialogue, de l’échange, et l’humour, qui n’est pas sans porter lui aussi un message théologique. Malgré le portrait assez fade de Paul (mosaïque du 5e siècle) reproduit en couverture du livre (mais il n’est pas facile d’en trouver de beau, ou simplement de vivant), Paul devient notre familier. C’est une belle aubaine.


Anne Soupa