Paul de Tarse, l’enfant terrible du christianisme (D. Marguerat)
Feuille de route n° 1 Octobre 2024
Chers amis, je suis heureuse d’ouvrir avec vous ce nouveau forum de lecture avec le livre de Daniel Marguerat, lu d’un œil critique ; nous nous appuierons pour cela sur quelques textes de Paul que nous lirons et discuterons. Vous êtes attendus sur le forum !
Voici le programme de ce mois d’octobre :
Préface, Chapitre 1 (« Moi, Saül, de la tribu de Benjamin), Chapitre 2 (« Une vie qui bascule »),
p. 9 à 64
Actes 9, 1-22 ; Galates 1, 1-24 (on peut aussi lire Actes 22, 6-21 ; Philippiens 3, 1-11)
Préface
Je partage pleinement le projet de Daniel Marguerat, tel qu’il l’expose dans sa Préface : débarrasser Paul de l’image véhiculée par la tradition catholique notamment, un homme austère, doctrinaire intransigeant, moraliste étroit et conservateur, misogyne etc., et lui rendre justice en relisant les textes du Nouveau Testament à nouveaux frais.
A vrai dire, Paul a toujours été une personnalité contestée, déclenchant des passions, soit pour lui, soit au contraire contre lui. Et cela dès le second siècle, où se dessinent des figures différentes de l’apôtre. Disons-le tout de suite : parce que Paul lui-même est un passionné, un « fou de Dieu », excessif, capable de déraper en paroles …, et pour cela même passionnant !
DM note que jusqu’ici, à quelques exceptions près (J. Beker), les recherches ont porté soit sur la dimension historique de Paul (Simon Légasse, Paul apôtre, Essai de biographie critique, 1991 ; Marie-Françoise Baslez, SaintPaul, artisan d’un monde chrétien, Fayard 2008 ), soit sur les idées et le message des lettres, la théologie de Paul (Paul, une théologie en construction, Labor et Fides, 2004).
L’enjeu au contraire est de retrouver la vie de l’homme derrière l’œuvre, d’autant plus que la théologie de Paul n’a rien d’une doctrine figée, d’un « catéchisme » ; elle se construit au fur et à mesure de ses voyages, dans les relations souvent tumultueuses avec les Eglises qu’il a fondées, en débat, en dialogue, en défense ardente de l’Evangile qu’il annonce et dont la réception est si difficile !
Derrière l’œuvre, un homme vit avec toutes ses convictions, ses engagements, ses émotions et ses passions, j’ajouterais volontiers, un homme entièrement saisi par la rencontre avec le Christ qui l’habite et l’anime, il y a chez Paul une dimension mystique et tout à la fois missionnaire indéniable.
Deux sources principales pour connaître Paul :
1) Les 7 lettres authentiques (Romains, 1-2 Corinthiens, Galates, Philippiens, 1 Thessaloniciens, Philémon). Je suis entièrement d’accord avec DM sur le fait que Colossiens, Ephésiens, 2 Thessaloniciens sont des lettres de disciples de la génération suivante, 1 et 2 Timothée et Tite, de disciples de la troisième génération : on parle de « deutéro- », ou même de « trito-pauliniennes ».
2) La première histoire du christianisme, les Actes des Apôtres, de la main de l’évangéliste Luc.
Les Actes des Apôtres ont été largement privilégiés dans la vulgarisation de la figure de Paul, car eux seuls donnent un cadre chronologique clair aux voyages missionnaires de Paul, puis à son départ comme prisonnier à Rome. Puis, au 20ème siècle, la critique historique a pris ses distances, soulignant les divergences et incompatibilités avec les données issues des lettres de Paul.
DM revient sur cette position, il va exploiter de façon critique les Actes, comme une véritable biographie de l’apôtre, reflétant l’image qu’on se faisait de Paul à la fin du 1er siècle (vers 90).
Il a raison de dire que celui qui cherche à connaître Paul devra « louvoyer entre les Actes et les écris pauliniens », chacune des deux sources devant être passée au crible de la critique.
Je dis tout de suite que je pense qu’il prête trop aux Actes des Apôtres… trop ou pas assez !
Luc n’est pas seulement un historien- biographe, c’est un véritable théologien, qui met en œuvre sa propre théologie de l’histoire, sa propre vision de l’Eglise et de la mission, dont Pierre, puis Paul deviennent les figures majeures (uniques d’ailleurs, et Luc oublie toute la mission vers l’Est !).
Il construit la figure de l’Apôtre comme un modèle parfait du converti du judaïsme. Et il le fait à partir d’une connaissance réelle mais partielle et réinterprétée du message de Paul dont il ne connaît probablement que des extraits, et déjà, la légende dorée.
Nous allons avec DM, essayer de dégager Paul des gangues idéologiques qui l’ont enseveli, odieux apostat pour les juifs, parfait homme d’Eglise pour les catholiques, parfait théologien du salut par la foi pour les protestantes. Elles craquent de partout, Paul les déborde largement et DM nous conduit ailleurs.
Chapitre 1
Je balise la lecture du chapitre au fil des paragraphes, pédagogiquement dotés de titres frappants, dont DM a le secret !
Reconnaissons-le : nul ne sait quand Paul est né ! L’âge, tiré d’une affirmation de Philémon et appuyé sur les sept tranches de vie de 7 ans de Philon d’Alexandrie, reste très imprécis. Le « vieil homme » de Philémon 9 aurait 55 ans… mais le psalmiste dit : « le nombre de nos ans soixante-dix, quatre-vingt pour les plus vigoureux » ! (Psaume 89, 10).
Plus sûre historiquement est la situation culturelle de Tarse, la présence d’une école stoïcienne, et la formation des jeunes gens de l’élite, qui se poursuit ailleurs dans l’empire Romain.
Le double nom de Paul reste aussi une énigme ; je penche plutôt pour la relation avec le proconsul de Chypre Sergius Paulus, même si l’incise d’Actes 13, 9 est bien obscure (lisez Actes 13, 4-12). On peut se demander avec Marie-Françoise Baslez comment Paul aurait été reçu chez un proconsul romain s’il n’était déjà en lien avec lui pour des raisons personnelles ? Les voyages de Paul n’étaient pas une marche au hasard, mais un parcours construit de lieux d’accueil en lieux d’accueil (synagogues, liens de la corporation de fabricants de tentes, liens familiaux et amicaux, on en a une confirmation archéologique à Antioche de Pisidie (voir DM p. 61).
Paul reste fier jusqu’au bout de sa filiation juive et de son obédience pharisienne : « fils de pharisiens » selon Actes 23, 6 (?) ; en tout cas Paul, lui, se revendique fièrement « pharisien selon la loi » (Philippiens 3, 5), certainement un choix d’adhésion personnel, et parmi les pharisiens les plus rigoureux !
Je souscris totalement à l’idée d’une formation poussée à la fois dans le judaïsme, et la rhétorique grecque, mais il me semble qu’à cette époque, plutôt que de retourner aux sources (Platon, Aristote), l’enseignement fonctionnait sous forme de « manuels » ou « compendium » de questions avec résumés des réponses données par différents auteurs anciens (on appelle ces manuels des « doxographies »).
Le citoyen romain : Luc fait de cette citoyenneté un pivot de l’intrigue des Actes des Apôtres, puisqu’elle permet à Paul d’échapper au fouet (16, 37 ; 22, 25-28), avec une part de mise en scène et d’invraisemblance (Paul lui-même dit avoir été fouetté trois fois, en 2 Co 11, 25, et dans une province loin de Rome, la citoyenneté romaine n’empêchait pas les sévices) ; mais elle permet surtout le départ à Rome comme prisonnier : jusqu’où est-ce vraisemblable ?
La citoyenneté elle-même paraît un fait certain, même si Paul, lui, n’en parle jamais ; la raison pour moi est assez claire : l’Empereur était appelé en grec Kurios, Seigneur, et Paul n’a pas d’autre Seigneur que le Christ Jésus !
Il faut certainement en retenir cette situation de Paul au carrefour de trois mondes culturels, juif, hellénistique et romain, ce qui lui permettra d’être le passeur de la foi chrétienne de son ancrage juif à l’universalisme grec culturel de l’oikouménè (la terre habitée) et à celui, social et politique de l’Empire romain.
Retour sur l’obédience pharisienne de Paul, mais surtout sur son idéal perfectionniste
Je souligne un vrai problème : les biblistes répètent : on ne connaît pas de pharisien en dehors de la Palestine… mais comment l’affirmer quand par ailleurs, notre connaissance des Pharisiens au 1er siècle, au dire des spécialistes juifs eux-mêmes (D. Boyarim, A. Ségal) repose essentiellement sur le témoignage du pharisien Paul… le Tarsiote ? (voir DM p. 28 )
DM donne en pages 29-30 ce qui faisait jusqu’à il y a peu consensus sur le pharisaïsme au 1er siècle avant et après J.C. Il faut en tenir compte tout en sachant que la recherche est en cours sur ce sujet et que ce consensus est largement remis en cause. Le pharisaïsme lui-même était traversé de divers courants, depuis les plus rigoristes (et Paul en était) jusqu’aux plus proches du peuple.
On sait les débats, au début du 1er siècle ap.J.-C.) entre les deux maîtres Hillel et Shammaï, et les débats de Jésus avec les pharisiens, dont il était proche.
La multitude des prescriptions de la loi orale, « la haie dont ils entourent la Torah » (p. 30) n’est pas seulement un idéal perfectionniste, mais la volonté de mettre tous les gestes de la vie quotidienne devant Dieu ; peut-être de correspondre à l’exigence de Lévitique 19 : « soyez saints, car Moi, Je suis saint » !
Paul a certainement fait partie d’un courant très exigeant, ambitieux, et passablement arrogant (voir Galates 1, 14 (« je surpassais tous ceux de mon âge…. »).
Je ne sais pas si la question d’un mariage ou veuvage de Paul est vraiment un « mystère », en tout cas lui-même souligne, sans hiérarchiser les situations, que Pierre et les autres avaient le droit d’emmener avec eux une femme « sœur » (= chrétienne !) (1 Corinthiens 9, 4-6), et que lui ne l’a pas fait !
Par contre, nous savons très bien de quoi Paul vivait : il a toujours tenu à gagner sa vie en travaillant de ses mains (comme fabricant de tentes), activité qu’il revendique dès la première lettre aux Thessaloniciens (1 Th 2, 9), et plus nettement encore en1 Co 9, 3-19.
Des Philippiens seuls, il accepte des subsides et de l’aide pour pouvoir ensuite poursuivre sa mission (Phl 4, 15-19).
Les dernières pages du chapitre s’interrogent sur la figure de Paul, le persécuteur des disciples du Christ, avec d’emblée une remarque fondamentale : Paul n’a persécuté aucun « chrétien » ; mais bien plutôt des juifs qu’il considérait comme coupables de mettre en cause et en danger l’identité d’Israël comme peuple saint, choisi par Dieu.
Je trouve tout à fait passionnant la réflexion sur les disciples du Dieu jaloux, les zélés (ils deviendront vers 60-66 des « zélôtes), qui se réclamaient du prêtre Pinhas (Nb 25, 6-13), une figure très présente lors de la guerre juive contre les rois grecs (167-164 av. J.C ; voir 1 Martyrs 2, 23-26) et depuis lors.
La haine du mal et la défense de la sainteté de Dieu autorisent alors les pires violences, et on est sidéré d’en trouver l’apologie chez un Philon d’Alexandrie…
On comprend mieux alors la finesse du récit de Luc qui place le discours de l’helléniste Etienne mettant en cause le Temple et ses sacrifices (Actes 7) au point de départ de la geste de Saul/Paul.
Et même si la mise en scène lucanienne d’un Paul mandaté par les grands prêtres de Jérusalem est totalement invraisemblable, DM a raison de montrer que Luc ne fait que confirmer ce que Paul lui-même reconnaissait en Galates 1, 13 : Paul a du sang sur les mains !
Et c’est bien du fait de cette violence excessive et de cette face sombre de sa vie que la rencontre avec le Christ va prendre la force d’un renversement qui remettra en cause pour Paul tout ce qui fondait son existence !
Chapitre 2 : une vie qui bascule
Ici nous rentrons dans la grande aventure !
Conversion ou vocation ? Il ne suffit pas de remplacer ces mots par « retournement », car il s’agit bien de deux conceptions très différentes d’un événement et de l’orientation d’une vie.
DM rappelle avec raison que l’imaginaire chrétien repose entièrement sur le triple récit lucanien (Actes 9, 1-19 ; 22, 6-21 et 26, 12-18), une mise en scène dramatique et spectaculaire (pas toujours cohérente d’un récit à l’autre), à laquelle la tradition ajoutera au 12ème s. le cheval !
L’autopsie d’une vision : Il parcourt ensuite de façon fort intéressante les différentes « explications » qui ont été données de la « vision » de Paul, et penche pour les études de G. Theissen sur la psychologie de la religion.
Je résiste assez fermement : car ce que l’on fait là, c’est l’autopsie du personnage Saul/Paul construit par le récit lucanien, sans s’interroger sur les principes mêmes de cette construction littéraire.
Il faut d’abord, et DM le fait aussitôt, se tourner vers les données de Paul lui-même, ce que Paul en dit, en restant d’ailleurs circonspect, Paul est toujours en situation de défense, largement polémique, lui aussi sait utiliser la rhétorique et les moyens de la persuasion.
Sa lecture des textes de Paul est alors découpée et cadrée par les quatre paramètres des études du phénomène de la conversion religieuse :
capitulation du sujet, changement du système de signification, validation par un nouveau groupe d’affiliation, mise en scène du récit de conversion.
Mais justement y a-t-il eu conversion ? Et jusqu’où ces paramètres s’imposent-ils au texte ?
Je vous propose de lire ou de relire soigneusement d’abord les paragraphes p. 48 à 54 :
Ce que Paul en dit
La cassure
Jésus n’est pas maudit
L’appel des nations
Puis de revenir sur les textes eux-mêmes en comparant les récits d’Actes 9, 1-18 et de Galates 1, 12-17
Actes 9, 1-18
1Saul, ne respirant toujours que menaces et meurtres contre les disciples du Seigneur, alla 2demander au Grand Prêtre des lettres pour les synagogues de Damas. S'il trouvait là des adeptes de la Voie, hommes ou femmes, il les amènerait, enchaînés, à Jérusalem.
3Poursuivant sa route, il approchait de Damas quand, soudain, une lumière venue du ciel l'enveloppa de son éclat. 4Tombant à terre il entendit une voix qui lui disait : « Saoul, Saoul, pourquoi me persécuter ? » 5– « Qui es-tu, Seigneur ? » demanda-t-il. « Je suis Jésus, c'est moi que tu persécutes. 6Mais relève-toi, entre dans la ville, et on te dira ce que tu dois faire. » 7Ses compagnons de voyage s'étaient arrêtés, muets de stupeur : ils entendaient la voix, mais ne voyaient personne. 8Saul se releva de terre, mais bien qu'il eût les yeux ouverts, il n'y voyait plus rien et c'est en le conduisant par la main que ses compagnons le firent entrer dans Damas 9où il demeura privé de la vue pendant trois jours, sans rien manger ni boire.
10Il y avait à Damas un disciple nommé Ananias ; le Seigneur l'appela dans une vision : « Ananias ! » – « Me voici, Seigneur ! » répondit-il. 11Le Seigneur reprit : « Tu vas te rendre dans la rue appelée rue Droite et demander, dans la maison de Judas, un nommé Saul de Tarse ; il est là en prière 12et vient de voir un homme nommé Ananias entrer et lui imposer les mains pour lui rendre la vue. » 13Ananias répondit : « Seigneur, j'ai entendu bien des gens parler de cet homme et dire tout le mal qu'il a fait à tes saints à Jérusalem. 14Et ici il dispose des pleins pouvoirs reçus des grands prêtres pour enchaîner tous ceux qui invoquent ton nom. » 15Mais le Seigneur lui dit : « Va, car cet homme est un instrument que je me suis choisi pour répondre de mon nom devant les nations païennes, les rois et les Israélites. 16Je lui montrerai moi-même en effet tout ce qu'il lui faudra souffrir pour mon nom. » 17Ananias partit, entra dans la maison, lui imposa les mains et dit : « Saoul, mon frère, c'est le Seigneur qui m'envoie – ce Jésus, qui t'est apparu sur la route que tu suivais – afin que tu retrouves la vue et que tu sois rempli d'Esprit Saint. » 18Des sortes de membranes lui tombèrent aussitôt des yeux ; il retrouva la vue et reçut alors le baptême ; 19puis, quand il se fut alimenté, il reprit des forces.
Repérez dans ce texte la mise en scène dramatique, les éléments de merveilleux, et surtout l’importance des médiations qui permettent à Paul de passer d’une tradition religieuse à une autre.
Peut-on parler de conversion ?
Notez aux versets 17 et 18 les gestes de « l’initiation chrétienne ».
Galates 1, 12-17
11Car, je vous le déclare, frères : cet Evangile que je vous ai annoncé n'est pas de l'homme ; 12et d'ailleurs, ce n'est pas par un homme qu'il m'a été transmis ni enseigné, mais par une révélation de Jésus Christ.
13Car vous avez entendu parler de mon comportement naguère dans le judaïsme : avec quelle frénésie je persécutais l'Eglise de Dieu et je cherchais à la détruire ; 14je faisais des progrès dans le judaïsme, surpassant la plupart de ceux de mon âge et de ma race par mon zèle débordant pour les traditions de mes pères.
15Mais, lorsque celui qui m'a mis à part depuis le ventre de ma mère et m'a appelé par sa grâce a jugé bon 16de révéler en moi son Fils afin que je l'annonce parmi les païens, aussitôt, loin de recourir à aucun conseil humain 17ou de monter à Jérusalem auprès de ceux qui étaient apôtres avant moi, je suis parti pour l'Arabie, puis je suis revenu à Damas. 18Ensuite, trois ans après, je suis monté à Jérusalem pour faire la connaissance de Céphas et je suis resté quinze jours auprès de lui, 19sans voir cependant aucun autre apôtre, mais seulement Jacques, le frère du Seigneur.
Notez le refus de toute médiation (v. 11)
A partir du v. 15, peut-on dater et localiser l’événement ? Et d’ailleurs y a-t-il eu un « événement » extérieur ou une expérience intime ?
Au verset 15, Paul s’applique littéralement le récit de la vocation du prophète Jérémie (Jérémie 1, 1-5), mais aussi de façon indirecte celle du prophète serviteur d’Isaïe 49, 1ss : (« Dieu qui m’a mis à part dès le ventre de ma mère, et m’a appelé par sa grâce pour m’envoyer vers les païens »). Qu’est-ce que cela signifie ?
Un vocabulaire de « révélation » (en grec « apocalypse » v. 11 et 16), et non de « vision » : il s’agit dans la culture contemporaine d’une révélation par Dieu de la fin des temps. Ici une révélation de « son Fils » (voir au v. 12 : « une révélation de Jésus Christ ») ; Jésus Christ est l’objet de cette révélation.
L’étrange expression du verset 16 « révéler son Fils en moi » peut évoquer la découverte intime par Paul d’une filiation nouvelle.
Comparer les deux présentations, et aussi ce qu’en dit D. Marguerat.
Je soulignerais volontiers chez Paul le double aspect de continuité avec la grande tradition prophétique juive et de rupture pour l’entrée dans une création nouvelle. La découverte que le Crucifié méprisé et maudit est vraiment le Fils envoyé de Dieu a retourné Paul. Il y lit l’ouverture à tous, païens y compris, d’une nouvelle filiation.
DM poursuit alors l’étude des années obscures qui ont suivi la conversion/vocation de Paul. Les Actes des Apôtres recoupent et développent le séjour en Arabie heureuse (Pétra) évoqué en Galates 1, 17, et le premier bref séjour (15 jours) à Jérusalem pour « enquêter » Céphas et voir Jacques de Jérusalem, le frère du Seigneur, comme l’écrit Paul en Galates 1, 18-19. La principale raison de ce séjour ne serait-elle pas d’enquêter auprès des témoins oculaires de la vie de Jésus, que Paul n’a pas connu ?
Le séjour à Antioche (sur l’Oronte) est essentiellement documenté par Luc en Actes 11, 25-26 qui déploie peut-être la brève mention de Paul en Galates 1, 21 : « ensuite je suis allé dans les régions de Syrie et de Cilicie. DM insiste beaucoup sur la conception traditionnelle de ce séjour, peut-être fondateur pour la théologie paulinienne : certes, Paul dira à deux reprises (repas du Seigneur en 1 Co 11, 23 et kérygme en 1 Co 15, 3) : « je vous ai transmis ce que j’ai reçu -du Seigneur », que l’on peut rapporter au temps vécu avec Barnabé à Antioche… Mais il ignore totalement le nom de « chrétiens » reçus par les croyants d’Antioche (Actes 11, 26).
Et DM reconnaît honnêtement qu’à trop entraîner les lecteurs sur le fait que « Paul porte l’héritage théologique des Hellénistes d’Antioche », il risque de les conduire « sur des eaux imaginaires » (p. 63).
Le premier voyage missionnaire, au départ encore d’Antioche, n’est documenté que par Luc. Nous verrons que Paul n’en dit à peu près rien. Je vous laisse lire le récit et les analyses de DM dans les pages 58 à 62 : il suit les Actes des Apôtres avec le séjour à Chypre, qui conduit Paul à Antioche de Pisidie, certainement sur les recommandations du proconsul Sergius Paulus. Ici DM s’appuie sur l’archéologie et sur les travaux de M. F. Baslez.
Pour Luc, dans les Actes, c’est le moyen de mettre en place la double difficulté à laquelle se heurte la mission paulinienne :
-Dans les synagogues, la division rapide du public de juifs et de craignant-Dieu, avec des conversions, mais aussi une opposition virulente, qui s’acharnera sur Paul de ville en ville.
-Devant un public païen, l’omniprésence de la superstition et de l’assimilation aux divinités locales (voir le séjour à Lystres en Actes 14, 8-20, DM p. 60).
L’hostilité de la majorité des juifs pousse Paul vers les païens, mais ceux-là ne sont en rien préparés à accueillir la Bonne nouvelle d’un Dieu unique et de son alliance.
De cette double difficulté, Paul se fera lui-même le témoin dans sa première lettre aux Thessaloniciens.